Par Mohamed Moubarak
Alors que l’ONU met en garde contre une famine imminente en Somalie, il est important d’examiner le bilan des organisations d’aide quant à leur réponse aux situations d’urgence dans le pays. Cela aidera à déterminer ce qu’il faudrait faire pour aider les communautés locales à mieux se préparer.
Comment nous en sommes arrivés là ?
Le travail des organisations humanitaires en Somalie est en partie blâmable dans la mesure où il a engendré une sur-dépendance de nombreux anciens fermiers à l’aide alimentaire, plutôt que le maintien d’une autosuffisance plus durable grâce à la culture continue de leurs fermes.
Les organisations d’aide sont critiquées car elles importent de la nourriture et la cède gratuitement aux agriculteurs au moment où ils sont sur le point de récolter leurs cultures. Cela a contribué à décourager la culture des aliments de base bon marché, et a également contribué à la mise en faillite de petits agriculteurs. Cela explique pourquoi Al-Shabaab a déclaré qu’il avait interdit le Programme Alimentaire Mondial (PAM) d’opérer sur son territoire.
Au cours de la dernière famine en 2011, Al-Shabaab a été fortement critiqué pour avoir interdit le PAM d’opérer sur son territoire. Bien que répréhensible, son action ne suffisait pas, à causer la pénurie de nourriture dans les grandes zones contrôlées par le groupe.
Les lois antiterroristes du gouvernement des États-Unis ont également rendu extrêmement difficile le travail des organisations humanitaires sur le territoire d’Al-Shabaab sans enfreindre la loi des États-Unis. Cela a conduit de nombreuses organisations d’aide se concentrer sur Mogadiscio. Le résultat a été un énorme gaspillage et le vol de l’aide alimentaire, avec beaucoup d’aide détournée directement vers les centres commerciaux de la capitale.
Certaines ONG locales, ainsi que celles de la Turquie et du Golfe ou des pays arabes, ont aidé à installer un système de transfert d’argent par « SMS » pour envoyer des fonds directement aux personnes dans le besoin. Cela a aidé d’innombrables personnes à acheter de la nourriture et à survivre à la famine. L’inconvénient est que cela a créé une population dépendante à l’aide dans le sens où beaucoup de gens vivent encore de cette charité même si elles n’ont jamais été touchées par la famine, ou déplacées.
Beaucoup de camps de personnes déplacées qui ont été mis en place à Mogadiscio étaient en effet des camps-fantômes qui n’étaient peuplés que lorsque l’aide était sur le point d’être distribuée. Cela signifie que peu de bénéficiaires de l’aide étaient des gens vivant dans les épicentres de la famine. En conséquence, peu d’aide a atteint ces derniers et beaucoup d’entre eux sont morts.
Alors que Al-Shabaab a en quelque sorte contribué à exacerber la famine, un aspect de sa réponse a été efficace dans l’aide et la réinstallation d’une minorité de la population touchée par la famine. Le groupe a mis en place des camps de personnes déplacées à l’intérieur de son territoire, le plus important étant dans la région de Lower Shabelle. Après que la famine ait disparu, il a distribué la valeur de 3 mois de nourriture et d’argent aux personnes déplacées et les a réinstallées à leurs places d’origine. C’est peut-être une réinstallation mal planifiée, mais elle a été celle qui aurait dû être répliquée par les organisations d’aide à Mogadiscio.
Famine à l’horizon
Au cours de la dernière année il y a eu moins de pluie que prévu dans de nombreuses régions du sud et du centre de la Somalie. Les agriculteurs dépendent en grande partie de la pluie pour irriguer leurs plantations. L’irrigation artificielle étant trop coûteuse pour eux, comme pour les nomades, ils sont dépendants du niveau des pluies pour fournir de l’eau potable et des pâturages à leurs animaux.
Comme moins de pluies signifie moins de pâturages, les nomades sont les premiers à être touchés, la quantité de lait de leurs chameaux et vaches diminue, ce lait qui pourrait être vendu pour acheter de la nourriture. Puis, comme leurs animaux commencent à mourir, ils se déplacent à la recherche de terres plus vertes, ce qui conduit inévitablement à des affrontements de clans autour des pâturages. Dans des zones de la région de Middle Shabelle, à la fois Al-Shabaab et l’AMISOM ont armé à différents moments les communautés agricoles locales qui ont eu des problèmes avec les nomades pratiquant du pâturage sur leurs terres. Ces communautés sont susceptibles d’entrer en conflit alors que la situation s’aggrave. La famine devrait donc non seulement causer la mort par la faim, mais aussi provoquer des conflits armés pour les ressources, y compris pour de l’aide alimentaire.
Que peut-on faire?
Comme la situation de pré-famine dans des villes comme Wajid et Hudur dans la région de Bakool l’a montré, Al-Shabab peut encore imposer sa politique sur les zones qu’il ne contrôle pas. Les deux villes ont été assiégées pendant près de 3 mois, les prix des denrées alimentaires sont devenus trois fois supérieurs à ceux à Mogadiscio. Le gouvernement somalien a envoyé des dizaines de camions d’aide alimentaire dans les villes, mais pour rester coincés à Baidoa. Al-Shabab contrôle encore la campagne et entre régulièrement en embuscade avec les troupes alliées.
Cela signifie que l’on ne peut pas espérer que l’aide alimentaire fournie par le PAM arrive aux zones libérées de Al-Shabab si la situation se détériore. En outre, il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que le gouvernement américain change ses lois antiterroristes à temps pour éviter une famine.
Étant donné la faiblesse du gouvernement, l’insécurité et l’instabilité continueront d’être un problème en Somalie. Elles continueront à intensifier la famine. L’impulsion du recul de la famine incombe aux organisations humanitaires en aidant à la réinstallation des victimes qui proviennent de zones de paix. La mauvaise gestion et le détournement de l’aide alimentaire devraient être contrôlés et sanctionnés.
Mohamed Moubarak, analyste politique et fondateur de l’ONG anti-corruption Marqaati
Article publié en collaboration avec Libre Afrique