Par Adama Wade
Le Maroc fait partie des pays africains qui ont le plus progressé durant ces 15 dernières années. Le PIB est passé de 35 milliards de dollars en 2000 à 96, 7 en 2012 selon la Banque Mondiale. Un bond économique impressionnant mais tempéré par le creusement des inégalités.
« Notre modèle de développement a atteint un niveau de maturité qui l’habilite à faire une entrée (…) méritée dans le concert des pays émergents ». C’est l’une des phrases fortes du discours de Mohammed VI, le 20 août 2014, à l’occasion du 61 anniversaire du retour de feu Mohammed V de son exil malgache où l’avait confiné l’administration coloniale française en 1953 pour contrer les velleités des indépendantistes. » Les prochaines années seront décisives » souligne le souverain chérifien appelant à ne pas rater » le rendez-vous avec l’histoire ».
Évoquant les avancées du secteur productif, Mohammed VI a donné le groupe OCP (Office Chérifien des Phosphates), leader mondial dans son domaine, en exemple.
Un hommage est aussi rendu à ces entreprises du public et du privé, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui contribuent à l’ élan dynamique du Maroc.
Les énormes progrès du royaume dans les domaines des infrastructures ont été relevés par le roi qui est revenu aussi sur les inégalités et les disparités sociales. Un problème déjà abordé, fin juillet, lors du discours marquant le 15 ème anniversaire de son accession au trône. « Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses. Des riches qui bénéficient des fruits de la croissance et s’enrichissent davantage, et des pauvres restés en dehors de la dynamique de développement et exposés à plus de pauvreté et de privation », a insisté le souverain.
Nous ne voulons pas d’un Maroc à deux vitesses
Quelques jours avant la fête du trône, le Maroc a reçu le rapport PNUD de L’IDH qui le classe 129ème mondial sur 187 pays classés selon l’indice du développement humain. Si le revenu par habitant dépasse les 6900 dollars, le temps de scolarisation est de 4 ans et demi seulement, au détriment souvent des femmes dont 20% parviennent aux études supérieures (contre 36%) pour les hommes. Avec une espérance de vie qui dépasse les 70 ans, le royaume qui jouit d’une stabilité remarquable renforcée par une ouverture démocratique accélérée depuis le printemps arabe (arrivée des islamistes modérés au pouvoir), est classé derrière l’Irak (120e), l’Egypte (110) ou encore l’Algérie (93).
Ce classement plutôt sévère a soulevé les critiques d’officiels favorables à un remplacement du thermomètre du PNUD. Des positions rigides qui n’ont pas influencé le roi Mohammed VI dont le diagnostic, fait lors du discours de la fête du trône, est venu couper court au débat sur la pertinence des critères du PNUD.
Le souverain appelle les acteurs à une accélération des orientations sociales édictées depuis l’adoption du mėga-plan INDH (Initiative nationale pour le développement humain) en 2005. Neuf ans après, rien n’a changé selon le PNUD qui dissocie évolution du PIB et amélioration sociales et humaines. S’il ne tenait qu’aux critères de croissance, de la mise à niveau des infrastructures et de la modernisation du système financier, le Maroc qui évolue dans la catégorie des nouveaux émergents ( derrière les BRICS et des pays comme la Turquie), serait classé premier en Afrique.
Évolution du PIB
En l’espace de quinze ans, la structure économique du pays a profondément changé. L’exportateur net d’agrumes, de phosphates et de poissons congelés a réussi une remarquable insertion dans les chaînes de valeur de la mondialisation grâce à des orientations sectorielles conçues sur la base de contrats programmes avec un suivi et une supervision permanente du cabinet royal.
Des câblages pour l’Airbus À 380, à la réalisation de la plus grande usine Renault de voitures économiques dans le monde (le royaume a été choisi au détriment du Brésil), en passant par la fabrication des composantes électroniques, le Maroc d’aujourd’hui n’a plus grand chose à voir avec celui qui vit un jeune roi succéder à Hassan II en juillet 1999.
Infrastructures
À l’époque, le réseau autoroutier marocain se limitait à l’axe Casablanca-rabat sur 100 km. L’économie du pays reposait encore, comme du temps du Lyautey, sur la pluie et les exportations agricoles. Le secteur Textile et Habillement , héritage des politiques de substituions des exportations des années 70, s’essayait à la sous-traitance, l’œil rivé sur la fin des accords multifibres de 2005 perçue alors comme une inévitable catastrophe. C’était sans compter sur la capacité d’anticipation des industriels marocains qui ont su se repositionner de la sous- traitance à la co-traitance et au branding.
À l’époque, les 68 000 lits d’hôtels que comptaient le pays recevaient bon an mal an quelque 1 à 2 millions de touristes dont des allemands qui ne sortaient pas de leurs hôtels d’Agadir, station balnéaire qui dépassait alors Marrakech et le circuit des villes impériales.
Quand les bases de la vision 2010 visant à atteindre le cap des 10 millions de touristes furent posés en 2000 à l’occasion d’une Nuit du Tourisme présidée par ‘Mohamed Benamour, que de débats passionnés mais constructifs. Les 6 stations balnéaires du plan Azur n’ont certes pas tous vu le jour. Mais qui ne connaît pas la station Mazagan d’El Jadida réalisée par le milliardaire Sud-africain Sol Kerzner? La station Saidia, perle de la Méditerranée, concçue par l’espagnol Fadesa puis cédée à des promoteurs marocains, a rebattu les cartes d’un Oriental où le tourisme se limitait à cinq mois sur douze.
De même si Taghazout n’a pas encore vu le jour, la destination voisine d’Agadir s’est, elle, renouvelée en front de mer avec des palaces de luxe à profusion. Le numéro un mondial, l’allemand TUI, y investit doublement dans l’hôtellerie et les dessertes aériennes. De même le fonds américain Colony Capital a fait son entrée au Maroc aux côtés du groupe français Accor.
Bref, pour toutes ces orientations sectorielles et stratégiques, le roi a su à chaque fois s’entourer de cadres de haut vol à l’instar d’Adil Douiri, l’homme qui a révolutionné le tourisme marocain. De la même trempe qu’un Karim Ghellab, qui avait fait sauter les verrous de la logistique ( dont la cherté était alors décriée par la Banque Mondiale) en imposant une réforme établissant l’unicité de la manutention et la fin des goulots d’étranglement portuaires, d’Anas Alami, actuel patron de la Caisse de Dépôt et de Gestion, qui a transformé Poste Maroc en une institution financière performante, le jeune Douiri avait affronté la baronnie d’un secteur qui avait peur du changement. Il faut le dire, d’un point de vue politique, la transformation du Maroc n’aurait pas été possible sans une forte caution politique du Palais et sans un suivi quasi quotidien du roi omniprésent dans les grands chantiers. C’est au prix de bras de fer avec les syndicats et les corporatistes que des monopoles ont été brisés dans tous les domaines, du transport aérien (la Royal Air Maroc a été forcée de changer de modèle et de créer une compagnie low cost pour s’adapter à l’open sky et à la libéralisation du ciel en 2006), au transport maritime (l’armement marocain n’a pas résisté au Choc au bénéfice de l’usager?) en passant par le TIR (Transport international par route). C’est au prix de ces bras de fer que la bataille de la logistique est remportée rendant possible les processus de délocalisation dont a bénéficié le Maroc à travers ses plateformes et ses hubs technologiques.
L’on est sorti ainsi de l’économie cyclique rythmée par l’agriculture et le tourisme, les phosphates et la pêche, des balances de paiement équilibrées par les transferts des travailleurs marocains, pour tomber dans une structure plus transversale et devant, en principe, mobiliser plus de marocains dans la création des richesses.
Quinze ans après l’accession de Mohammed VI au trône , l’électrification et l’eau potable concentrent un réseau de plus de 95%. Le réseau autoroutier va de Rabat à Tanger (au Nord), d’ Oujda à Nador dans l’oriental, puis vers Marrakech et Agadir dans le Sud. La réalisation de ce programme autoroutier au rythme de 140 km par an s’est faite sous l’encadrement de la société ADM (Autoroutes du Maroc) qui assure la construction et l’entretien du réseau grâce au système de péage (jamais suffisant pour équilibrer ses comptes) et aux dotations étatiques. La construction de ces autoroutes a été d’un apport considérable en termes de transferts de savoir faire pour le secteur BTP. Pour permettre aux entreprises locales de participer aux appels d’offres, les tronçons ont été saucissonnés en petits lots ( cas de l’axe Settat-Marrakech) permettant à l’offre locale de concurrencer les turcs, les français et autres concurrents étrangers.
Les Telecoms : deux deals marquants
Dès la fin des années 90, le Maroc a misé sur les Telecoms, les nouvelles technologies et les plateformes offshoring en général. Une deuxième licence GSM est attribuée à un consortium emmené par le banquier Othman Benjelloun, patron de Finance.com, holding contrôlant la BMCE Bank, en partenariat avec l’espagnol Telefonica et Portugal Telecom. Au passage, l’Etat a encaissé 11 milliards de dirhams . En 2001, c’est Vivendi qui opère son entrée au Maroc en rachetant 35% du capital de Maroc Telecom pour 2,3 milliards d’euros, prélude à une campagne africaine qui voit l’ex monopole public s’installer en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso et au Gabon six ans plus tard. L’explosion de la téléphonie mobile qui fait suite à ces deux deals majeurs décloisonne les rapports entre agents économiques et dope la consommation intérieure.
le logement social
L’autre volet de ce qu’il est convenu d’appeler la Movida Mohammed VI est le programme du logement social au rythme de 120 000 unités par an à coup d’incitations fiscales et d’accès au foncier à des conditions favorables. Un programme volontariste qui a vu l’émergence de grands groupes à l’instar du promoteur immobilier Addoha. Ce champion du logement social, qui vient de faire une croissance verticale en investissant dans le ciment, s’est introduit en Bourse le 6 juillet 2006 affolant tous les compteurs. En effet, au premier jour de la cotation, une demande de 48 milliards de dirhams a été exprimée sur une offre de 2,7 milliards exprimant toute la confiance des ménages et des institutionnels sur ce programme social. Un élan général qui a aussi profité au système financier en processus continu de fusion dès le début des années 2000.
La naissance des mastodontes bancaires (Attijariwafa Bank, BMCE, BCP) a sonné l’heure de l’Afrique, véritable alternative à la concentration du marché marocain.
Mais entre temps, l’enthousiasme s’est retombé à l’instar de la Bourse de Casablanca secouée par la crise financière internationale ( 2008-2012) et actuellement en phase de convalescence (+3,7% depuis le 1er janvier 2014). D’ici 2020, la Movida Mohammed VI devrait atteindre un niveau palier en créant plus d’emplois et plus de social. En somme, un nouveau cap.