Ca y est ! C’est la reprise
En cette rentrée les sujets ne manquent pas entre les effets collatéraux des risques géopolitiques et la croissance européenne en panne.
J’ai retenu de vous entretenir du combat entre l’Argentine et deux fonds d’investissement, Eliott management et Aurelius, si caractéristiques de la finance internationale. Nous sommes face à un exemple emblématique de la mondialisation.
Ces fonds ont une activité très précise. Ils rachètent les dettes décotées des pays en difficulté, et travaillent pour récupérer les sommes nominales.
Prenons l’exemple particulier de la dette argentine. Lorsqu’au début des années 2000, l’Argentine a connu des difficultés financières au point de ne pouvoir rembourser sa dette, celle-ci s’est immédiatement décotée. Ces fonds ont alors pris le risque d’acheter la dette dépréciée auprès de créanciers qui ne souhaitaient plus attendre le remboursement de leurs placements. Jusque-là rien d’extraordinaire. De tout temps, certains n’ont pas hésité à racheter des créances décotées, et attendre le retour à meilleure fortune du débiteur pour réaliser leur créance et faire un gain substantiel.
La différence avec des pratiques ancestrales tient dans une démarche plus spécifique. Après avoir acquis ces créances, le fonds mobilise des juristes, banquiers, et consultants divers et variés, pour contraindre l’Etat à honorer sa dette.
Avocat et banquier d’affaires, Paul Singer, patron et animateur du fond Eliott management, croit au droit et au contrat, et force ses débiteurs à les respecter. Il refuse toute négociation avec l’Etat. Il a eu gain de cause avec la République démocratique du Congo, le Pérou ou la Zambie
Cette approche a conduit certains à qualifier ces fonds de « fonds vautours » ou « fonds voyous », et à les prendre en exemple de cette finance internationale dont l’activité est strictement et uniquement financière sans aucune création de valeur réelle.
Néanmoins, dès lors qu’il n’y a rien d’illégal dans cette activité, rien ne justifie de polémiquer, et il faut gérer le problème, car problème il y a, et il est symptomatique de la globalisation.
En refusant toute négociation avec l’Etat, le fonds ne participe à aucune opération de rééchelonnement de dettes, et encore moins il ne signe aucune opération de réduction de dettes. Par cette approche intransigeante, ces fonds peuvent bloquer un Etat à retrouver une situation satisfaisante avec ses prêteurs et les marchés.
Les deux fonds font partie des 7% de créanciers qui ont refusé en 2005 et 2010 d’accorder à l’Argentine une décote de 65%. La solidarité des créanciers privés est remise en cause. Les réfractaires critiquent la faiblesse des créanciers qui souhaitent préserver leur volume d’affaires avec l’Etat. De leur côté, ceux qui négocient n’apprécient faire des efforts susceptibles d’aider l’Etat et de permettre aux irréductibles de récupérer leur mise sur le dos des créanciers conciliants. Ce type de comportement peut avoir d’importants effets déstabilisateurs.
Les deux fonds Eliott management et Aurelius réclament à l’Argentine près d’1,5 Mds$. Au-delà de leur demande d’un strict respect des contrats, ces fonds n’hésitent pas à dénoncer cette décote alors que le pays a connu une croissance exceptionnelle dans les années 2000 ; Ils mettent également en exergue certains comportements des dirigeants argentins ayant participé aux négociations avec les banques.
Ils ont eu gain de cause devant la justice américaine, et le pays pourrait être déclaré en défaut de paiement, ce qui constituerait indiscutablement un des principaux événements de l’été. L’argentine a les moyens de payer cette somme, mais ne le fait pas car elle veut éviter de se trouver confrontée à une demande identique des 7% de créanciers récalcitrants, et la somme à payer est de 15 Mds$, la moitié des réserves de change du pays.
Ce combat juridico-financier intervient à un mauvais moment pour le pays marqué par une récession de 2,5%, une inflation de 30%, et une dépréciation du péso de plus de 20%. Le pays n’a pas de marge de manœuvre, et ne peut pas prendre de grand risque avec les marchés.
Tout en insistant sur les effets d’une éventuelle défaillance de l’Argentine, on ne peut pas être interpellé par le destin de ce pays. Une des puissances en 1950, ce pays n’a cessé de décliner à cause de politiques économiques contre productives. Certains devraient méditer l’histoire économique et financière de l’Argentine des soixante dernières années, qui a cherché, à plusieurs reprises à s’affranchir des règles économiques.
Certains n’hésitent pas à prétendre qu’il ne faut pas rembourser les créanciers qui ont racheté la dette argentine dépréciée, au seul motif qu’ils ont parié sur un retour à meilleure fortune. Ils l’ont fait bien évidemment avec un objectif de plus-value, mais en quoi est-ce critiquable ? En quoi cela peut-il justifier de ne pas respecter ses obligations de remboursement ?
Certains n’hésitent pas à soutenir que la dette « est inacceptable » au seul motif qu’elle aurait été contractée dans les années quatre-vingt-dix lorsque les autorités argentines appliquaient des politiques libérales comprenant la liberté de change qui a facilité l’exode des capitaux. Drôle de raisonnement niant la continuité de l’Etat quel que soit le gouvernement, et introduisant une instabilité juridique entre créanciers et emprunteurs.
C’est ce raisonnement qui avait conduit en 1917 les soviets à refuser de payer la dette de leur pays au motif qu’elle avait été contractée par les tsars. Cela a écarté l’URSS et la Russie des marchés financiers pendant près de 90 ans.
Non, la solution est ailleurs !
Nous sommes face à un véritable cas de gouvernance mondiale. La situation exige une initiative du Club de Londres qui regroupe les créanciers privés des Etats pour déterminer de nouveaux contrats et éviter les comportements des récalcitrants.
Dov Zerah (Newsletter numéro 11)