Jeudi dernier, le CAC 40 a perdu 2,81 %. De son côté, l’indice européen Euro Stoxx a reculé de 2,55 %. Toutes les autres bourses européennes ont chuté également. Comment expliquer un tel repli ?
Les raisons pourraient être nombreuses.
La croissance européenne est atone, la Chine a certes une croissance de 7,5-8 %, mais cela est insuffisant pour le pays, les pays émergents, Brésil, Inde et Afrique du Sud sont en difficulté, la Russie est en risque de récession, la croissance en Afrique marque le pas, notamment en Afrique occidentale à cause du virus Ebola…Seuls les Etats-Unis connaissent une forte croissance.
Mais cela n’explique pas le recul des bourses.
Les risques géopolitiques sont nombreux : la crise en Ukraine, les guerres en Irak et en Syrie, les incertitudes en Lybie, la fragilité de la situation dans le Sahel, les problèmes de l’Argentine avec sa dette…et la liste n’est pas exhaustive.
Mais cela n’explique pas le recul des bourses.
Tous les observateurs justifient le mouvement boursier par la conférence de presse du Président de la Banque centrale européenne, la BCE, M. Mario Draghi, et surtout par ses silences.
C’est extraordinaire que des silences puissent occasionner un tel mouvement identique à celui des moutons de Panurge. Tout d’abord, c’est particulièrement significatif des attentes soulevées par M. Mario Draghi, et d’une certaine façon cela est très rassurant, voire encourageant.
Depuis dix-huit mois, le Président de la BCE se démène pour sauver l’euro, favoriser la croissance, et éviter toute sur appréciation de l’euro. Au fil des mois tous les regards se tournent vers lui, tous les espoirs reposent sur lui. Aussi des silences, des imprécisions peuvnt créer le doute !
Rentrons un peu plus dans le détail.
Pour relancer la croissance en favorisant le crédit aux entreprises, la BCE a décidé, il y a trois semaines, de proposer 400 Mds€ aux banques européennes à des taux très faibles.
Ce qui est extraordinaire, c’est que les opérateurs accordent une telle importance aux décisions de la BCE. Une bonne politique monétaire est nécessaire pour favoriser la croissance, mais cela n’est pas suffisant. Un crédit facile ne crée pas automatiquement de la demande susceptible de pousser les entreprises à investir, et donc à emprunter.
Il est probable que les banques européennes utiliseront cette facilité, mais aucune assurance n’est donnée que cela se traduira par une augmentation du crédit et de l’investissement.
Jeudi, les opérateurs attendaient un programme de rachat d’ABS (Asset backed securities), des titres détenus par les banques et garantis par les crédits accordés à leurs clients. Après avoir ouvert des disponibilités pour favoriser le crédit aux entreprises, la BCE se propose de racheter des blocs de créances bancaires. On parle même d’un programme sur deux ans de 400 Mds€ pour un marché potentiel de 1 000 Mds€.
Cette décision a soulèvé deux séries d’oppositions.
Les Allemands craignent que la BCE ne rachète de mauvaises créances, comme en son temps les subprimes, et fragilise son bilan. La Bundesbank ne veut pas que la BCE devienne une bad bank, une structure de défaisance des banques européennes. Pour répondre à cette critique, Mario Draghi promet de concentrer les interventions sur des blocs de créances simples et transparents. Techniquement, cela apparait comme un retour contrôlé de la titrisation.
La BCE a aussi indiqué qu’avant tout rachat, ces créances seront évaluées par recours à des experts indépendants. Cela est critiqué par la Banque de France qui refuse cette externalisation, et propose, pour procéder à cette appréciation, les solides compétences qu’elle a en ce domaine.
Ces oppositions ont fait que la BCE n’a pris aucune nouvelle décision, et qu’aucun montant du programme n’a pu être annoncé. Du coup, la déception des observateurs a été très forte et les opérateurs ont sur réagi avec ce mouvement boursier. Rien ne justifiait la violence de ce mouvement boursier.
Il est grand temps de reconnaître que Mario Draghi ne peut pas tout faire, que la politique monétaire ne fait pas toute la politique économique, et que la croissance repose aussi sur la fiscalité, la dépense publique, les conditions du financement de la protection sociale, les modes de fonctionnement des marchés…Au moment de faire leurs arbitrages, les observateurs auraient tout intérêt à s’appuyer sur les fondamentaux économiques, plutôt que de rejouer les moutons de Panurge sur la base d’une parole ou, à plus forte raison d’un silence.
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