Par Nefertiti Sy Cheikh Mokhtar
L’interrogatoire que subit un client désirant ouvrir un compte dans certaines de nos agences bancaires subsahariennes rappelle parfois l’ambiance du commissariat de police.. Mais où avez-vous gagné cet argent? Peut-on avoir la photocopie de la CIN certifiée? Est-ce bien vous sur cette photo?
« Ah non, la maison refuse toute photo provenant d’un smartphone, il nous faut un scan classique! Nous aurons besoin aussi d’un certificat de résidence. -Ben oui, la carte d’identité ne suffit pas! Faites-vous établir une attestation de résidence par votre chef de quartier puis allez la légaliser au commissariat de police!
En revenant, si vous pouvez apporter avec vous une copie d’une facture d’électricité. Autre chose, pouvez-vous légaliser l’attestation de travail et, bien sûr, l’attestation de salaire… et nous remplir une demande manuscrite ? » Remplissez ce formulaire en deux exemplaires avec la mention « lu et approuvé ».
Et, à la fin, l’inspecteur Maigret sort son coup du foulard: » Non, je ne peux pas vous garantir que l’ouverture du compte et de mon ressort. C’est une commission dont je ne suis pas membre qui statue.
Bref, on peut continuer cet échange à l’infini. Les banques sont encore aux bonnes vieilles méthodes du comité populaire de l’URSS. La réception musclée, hautaine, fuyante et souvent peu professionnelle est encore de règle en dépit de la multiplication des campagnes de publicité vantant le modernisme.
Une opération de retrait du cash ( préférée à la coûteuse carte bancaire) prend banalement une matinée. À voir les salles bondées de ces chères banques, l’on se dit que ce sont des milliers d’heures de travail perdues dans l’attente de l’argent. Pour les banques qui ont tendance à se rémunérer sur les commissions, c’est de la destruction de PNB. Pour les entreprises et le pays, c’est de la destruction de la valeur et de la croissance.
Pour en revenir à l’ouverture du compte, une carte d’identité suffit chez Orange Money, qui donne accès aujourd’hui au compte bancaire (recevoir et envoyer du cash). Les banques devraient adopter ce modèle simple et fiable d’ouverture de compte. Sinon, la bancarisation sera encore à 10% en 2030.
6 commentaires
Nos banques sont lourdes en procédures c’est un fait.
Toutefois, les banques ne sont pas les seules responsables. En effet, les banques sont soumises à une réglementation stricte d’abord du fait de leur activité de collecte de l’épargne publique, ensuite du fait de leur incidence sur l’économie.et enfin, pour lutter contre le financement de la criminalité.
Les banques sont amenées à connaitre leurs clients.
Comment connaitre son client où il n’y existe pas d’adressage ?
Comment connaitre son client quand la fraude (même à l’identité) est monnaie courante ?
Aussi, nous notons que nos systèmes juridiques et judiciaires sont défaillants, poussant encore plus les banquiers à la prudence.
Il serait donc judicieux de pousser la réflexion, afin de faciliter l’accès aux services bancaires.
Je tire le chapeau à la BCEAO qui a rendu gratuit certaines prestations bancaires. On attend juste l’application de cette nouvelle norme, en espérant qu’elle ne mettra pas en péril l’activité bancaire du fait de la baisse des commissions.
Monsieur Allechi,
Merci pour votre contribution fort intéressante. Il est vrai que la méfiance est accrue par le manque de fiabilité de l’adressage et de la carte d’identité. Même si la plupart des pays de l’UEMOA ont basculé dans la CIN biométrique réputée infalsifiable. Vivement donc l’attente de la fameuse liste des services gratuits.
La rédaction
Chers collègues banquiers, adaptez-vous !
M. Nefertiti Sy Cheikh Mokhtar,
En tant que praticien et analyste du secteur bancaire, votre billet m’a interpellé. Sur certains points, vous avez parfaitement raison. Le temps d’attente moyen aux guichets de nos agences bancaires est trop long.
Et il n’est pas rare, sous l’effet de la douceur de l’air conditionné des halls des banques, de croiser des clients affaissés et profondément endormis par une si longue attente. Donc il y a un vrai travail à faire par les établissements bancaires pour améliorer la qualité de service à leurs guichets. Ceci est d’autant plus important que dans une banque de détail, plus de 90% de la clientèle ne dépasse pas le front office du guichet. Donc, c’est là où se joue l’image et la réputation d’une banque. Pas dans les bureaux feutrés et soigneusement décorés de la direction générale.
Pour la partie relative à la réglementation, M.Paul Allechi a donné les réponses appropriées. Les banques sont soumises au « KYC », diligence contenue dans le dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et de lutte contre le financement du terrorisme.
J’ajoute simplement que le mobile money pose et posera, de façon plus aigue, un problème de réglementation dans notre zone si des mesures correctives et de contrôle ne sont pas prises par le régulateur. Collecter les dépôts, distribuer des micro-crédits, faire des transferts… sont des activités réservées, en l’état actuel de la règlementation, aux établissements de crédit. Dans un récent débat sur Africable, j’ai attiré l’attention de la Banque Centrale de faire évoluer la réglementation pour l’adapter à ces nouvelles pratiques pour ne pas exposer notre zone à des pratiques décalées.
Enfin, pour votre information, je vous propose un extrait à propos sur un article que j’ai publié sur FA intitulé « Afrique francophone: la gouvernance bancaire en question »
“La banque travaille, pour la plus grande partie de son activité, avec de l’argent qu’elle a emprunté”. Autrement, pour que cela se tienne pour définitivement dit, les banques ne prêtent que les dépôts de leurs clients. Plus exactement, la réglementation les autorise en tant que financeurs de recourir aux ressources collectées auprès de leurs déposants jusqu’à 92% du montant des prêts octroyés à leurs clients. Cette intermédiation, sur la base 100, devrait coûter à ses actionnaires au moins 8.
Le banquier français Michel Mathieu nous fait accéder à sa hauteur : « Il ne faut jamais perdre de vue que la banque travaille, pour la plus grande partie de son activité, avec de l’argent qu’elle a emprunté à ses déposants et épargnants et qu’elle se doit de restituer soit à première demande, soit à l’échéance contractuelle. »
Le banquier français précise les contours de la responsabilité de l’exploitant bancaire : « Le Banquier est un professionnel de «l’argent». Il est à ce titre réellement ou virtuellement averti, compétent, informé. Ainsi, il ne peut pas se prévaloir de son ignorance, d’une analyse insuffisante, d’une erreur…pour tenter d’échapper à sa responsabilité, dès lors que les trois conditions – faute, préjudice, lien de causalité – sont réunies. » Il poursuit : « Le Banquier ne saurait donc pas se prévaloir de son ignorance pour éluder sa responsabilité. Selon une formule connue et en sa qualité de professionnel, il savait, il aurait dû savoir, il ne pouvait pas ne pas savoir. »
On ne peut donc s’inviter ou s’improviser professionnel uniquement par envie ou par simple intuition. Ce rappel pour dire que les banques sont certes des entreprises, mais des entreprises bien particulières. Elles travaillent une matière première d’une nature toute singulière. Elle est à la fois physique dans sa manifestation et immatérielle dans sa nature : la confiance.
A ce titre, les banques ne peuvent être gérées comme des épiceries même si, il soit indiqué, du point de vue commercial, qu’elles en aient l’agilité. Plus que toute autre entreprise, les établissements de crédit ont besoin de règles, écrites et transparentes, pour exister et se développer. Le métier de banquier est donc exigeant et il requiert de celui qui l’exerce d’abord de la rigueur et de la probité morale bien avant d’autres critères mis pourtant, très souvent, en avant pour le recrutement de cadres dirigeants comme le parcours académique et professionnel, si ce n’est la loyauté vis-à-vis du maître de céans même si elle doit contrevenir à l’intérêt général. »
Enfin, pour la gratuité de certains services bancaires décidée par l’Autorité monétaire, après une large consultation au sein de la profession, et qui est déjà en vigueur, les impacts sur la promotion de la bancarisation dans la zone s’apprécieront dans quelques années. Mais pour ce qui est de l’impact sur les comptes de gestion des banques, le RDV est pris pour le 31 décembre 2015.
CBCISSE
Merci M. Cissé. Mme Nefertity C.M et non monsieur promet de revenir rapidement sur le sujet de la » révolution d’octobre », à savoir cette liste de gratuités publiée par la BCEAO. En fait, il y a gratuité et gratuité.
La Redaction
Toutes mes excuses inamissibles à Mme Nefertiti Sy Cheikh Mokhtar. Je reste ouvert à tout échange sur le sujet.
Bien dit M. Cissé