Entretien exclusif accordé à Financial Afrik par Mohamed El Kettani, président directeur général d’Attijariwafa Bank.
Monsieur le président, six ans après la reprise des filiales du Crédit Agricole en Afrique subsaharienne, quel est aujourd’hui le chemin parcouru ?
De prime abord, c’était un formidable défi pour notre Groupe d’avoir à gérer, en une seule opération, la prise en main, l’intégration et puis le développement de cinq établissements bancaires ayant, de surcroit, des positions de références dans leur pays d’implantation et cela, dans des délais relativement courts. Dès la signature du contrat de cession avec le Crédit Agricole, les équipes se sont mobilisées pour prendre les manettes de ces banques, rassurer la clientèle, réorganiser les structures selon les normes du Groupe, engager un plan de développement ambitieux en terme d’extension du réseau de recrutement de nouvelles clientèles, de lancement de nouveaux produits et bien entendu, de transformation en profondeurs des modes de gestion et de traitement par l’implantation d’un nouveau système d’information. L’objectif majeur étant de respecter nos engagements en tant que repreneur industriel soucieux de créer davantage de valeur pour toutes les parties concernées. En répondant à votre question, je me rends compte que lorsqu’on a le « nez sur le guidon », on n’a pas forcément l’appréciation de la distance parcourue tant le travail est intense et multiforme mais, force est de constater qu’avec cette opération, Attijariwafa bank a franchi une étape importante de son développement en passant du statut d’un Groupe financier leader sur le marché marocain à celui d’un Groupe africain de référence, leader au Maghreb et dans les régions UEMOA et CEMAC. Cette extension géographique a eu évidemment un impact significativement positif sur notre taille et nos performances, mais également sur notre manière de travailler et notre vision du business qui est devenu encore plus marqué par le potentiel et les opportunités de développement du continent. Pour conclure, je dirai que le chemin parcouru a renforcé nos capacités et nous permet désormais d’envisager des objectifs encore plus ambitieux en terme de développement pour les prochaines années.
Avec le recul, comment percevez-vous le fameux risque africain et l’environnement bancaire du continent en particulier ?
En vérité, en aucune manière il ne diffère du risque que nous rencontrons par ailleurs et sa gestion obéit aux mêmes règles que celles communément admises au sein du Groupe. Certes, il faut bien comprendre les environnements dans lesquels on évolue, assurer une bonne proximité avec les clients, respecter les standards de la profession pour l’appréciation du risque, tarifer au juste prix, assurer un suivi régulier et adopter un process de distribution adapté pour avoir un risque acceptable. Nous n’avons eu aucune surprise sur la production nouvelle, depuis maintenant une dizaine d’années que nous œuvrons hors du Maroc. Ceci nous donne davantage de sérénité et de motivation pour poursuivre notre expansion géographique sur de nouvelles régions en Afrique.
Le financement de l’import-export représente l’une des activités majeures des banques africaines. Sur ce point, quelles sont les innovations apportées par votre banque?
Du fait de sa relative complexité, le financement de l’import-export est un business très convoité par les banques tant il fidélise la clientèle lorsqu’elle trouve la qualité de service, les produits, le coût compétitif et la disponibilité de la devise.
Attijariwafa bank, du fait de sa présence d’une manière significative dans plusieurs pays en Afrique, de sa filiale européenne installée dans sept pays européens et de ses multiples partenariats avec des banques mondiales, propose aujourd’hui une offre quasiment unique aux opérateurs en import-export dans nos pays de présence et cela vers ou à destination de n’importe quel pays de la planète. L’innovation réside dans la capacité à mobiliser les financements, dans l’information instantanée du client, dans la couverture contre les risques de change ou autres, et bien évidemment, dans l’accompagnement complet du client jusqu’au dénouement final de ses opérations. Nous avons créé une plateforme qui agit pour le compte de l’ensemble des filiales bancaires du Groupe et apporte des solutions adaptées pour les opérations complexes ou présentant des singularités.
Les banques subsahariennes contribuent très peu au financement de leur économie. En zone UEMOA, cette contribution est de 21% contre 85% au Maroc. D’après vous, quels sont les leviers à actionner pour améliorer ce ratio ?
Le principal levier demeure celui de la bancarisation. Le taux de bancarisation est généralement inférieur à 10% alors qu’au Maroc il avoisine les 65%. Nous avions annoncé au démarrage de notre expansion en Afrique notre volonté de multiplier le nombre d’agences et partant, les opportunités de bancariser la population mais aussi de financiariser l’économie. De cette manière, on élargit le volume de la population éligible au crédit et on améliore le ratio d’endettement sur PIB. Par ailleurs, d’autres actions entrant dans le rôle des autorités sont bien entendu nécessaires pour dynamiser l’économie. Cela va des incitations fiscales, de la création de fonds de garanties, de la promotion de certains secteurs économiques vitaux pour le pays, de la disponibilité de l’énergie électrique, l’amélioration du classement Doing Busines, etc.
Votre développement en Afrique s’est finalement limité aux pays francophones. Pourquoi ce «tropisme» linguistique ? A quand des filiales d’Attijariwafa bank en Afrique anglophone et lusophone ?
Les banquiers sont reconnus pour leur prudence, car ils ont la responsabilité de l’argent des épargnants et la charge de financer l’économie. Toute croissance doit donc apporter de la valeur et ne compromettre d’aucune manière ce qui a été préalablement acquis. Il y va de la survie du système dans son ensemble quand il s’agit d’une banque de la taille d’Attijariwafa bank. Le développement en Afrique francophone avait été privilégié par notre Groupe, en premier, en raison de la proximité entre autre linguistique. Aujourd’hui que la partie francophone est couverte, nous entamerons le reste des régions qui sont devenues, par la force des choses, beaucoup plus proches géographiquement, et c’est une évidence, mais également économiquement car elles inter-agissent avec nos pays d’implantation. Plusieurs opportunités sont à l’étude et nos équipes préparent de nouvelles acquisitions et/ou implantations en « green field » pour les prochains mois.
L’année dernière, vous avez entériné des accords avec Bank of China et avec l’américaine Exim Bank, OPIC et City Bank. Quelles sont les répercussions de ses accords sur votre institution, ses filiales en Afrique et vos clients en général ?
Pour toutes nos relations et partenariats, nous réfléchissons région et donc sommes soucieux d’apporter de la valeur à tous nos clients qu’ils soient sénégalais, tunisiens ou maliens pour ne citer que ceux-là. Les accords signés prévoient des ouvertures sur nos différents pays de présence et offrent les mêmes possibilités à nos clients où qu’ils se trouvent. Ainsi, à titre d’exemple, l’accord avec Bank Of China permet à tous nos clients du continent de profiter de l’accord conclu avec cette banque pour leurs opérations d’importation ou d’exportation en terme de qualité de service, de tarification etc…
La presse fait régulièrement état de négociations entre QNB et Attijariwafa bank pour un possible partenariat capitalistique. Qu’en est-il ?
Depuis le temps que la presse en parle, si tel était le cas cela aurait été fait. Je crois que certaines personnes ont l’imagination fertile. Dès qu’elles ont vu que nous avons conclu un accord de partenariat commercial avec QNB, elles l’ont traduit en une prise de participation. Il n’en est rien.
Au Maroc, la finance islamique refait son retour après le lancement des produits alternatifs en 2007. Quelles sont les perspectives d’Attijariwafa bank dans ce domaine ?
Attijariwafa bank est le premier Groupe bancaire à s’être intéressé à la finance participative en distribuant, dès 2008, des produits conformes avec ce que permettait alors la réglementation au Maroc. Par la suite, sous couvert d’un agrément de notre tutelle au Maroc, il y a eu la création de notre filiale Dar Assafaa, qui dispose d’un réseau propre à travers plusieurs villes du royaume et de moyens dédiés exclusivement et distribue des produits islamiques dans le cadre réglementaire actuel. Maintenant que la loi bancaire est en cours de promulgation dans les prochains mois, les équipes de Dar Assafaa sont en train de finaliser la transformation de cette filiale en véritable banque, en totale conformité avec la nouvelle loi et « ChariaaCompliant ».
Dernier mot, quels sont vos pronostics pour le secteur bancaire marocain avec Casa Finance City et la concrétisation de la stratégie de hub global de la finance ?
Aujourd’hui, la preuve est faite que le Maroc, de par son positionnement géographique, de son développement économique qui le place en terme de niveau de progrès entre les pays occidentaux et le reste du continent, de par sa proximité culturelle et son capital sympathie avec quasiment tous les pays frères d’Afrique, est un véritable maillon sur lequel, les pays qui aspirent à émerger, peuvent s’arrimer valablement pour renforcer leurs capacités financières et leur attractivité pour les investisseurs. En outre, CFC cadre parfaitement avec notre stratégie de développement sur le reste du continent et aujourd’hui, notre Groupe a déjà créé plusieurs filiales qui ont obtenu les agréments nécessaires et travaillent pour le compte de nos implantations hors du Maroc. D’autres opérateurs marocains et étrangers sont fortement intéressés car ils voient, en CFC, un véritable accélérateur et facilitateur de leurs projets de croissance en Afrique. C’est donc avec force et conviction que nous suivons l’évolution de cette place financière qui, à coup sûr, contribuera à l’émergence de l’Afrique.
Propos recueillis par Adama Wade
(Paru dans Financial Afrik du 15 septembre au 15 octobre).