Entretien réalisé par Awa DIALLO
Le CAMES a réuni ses partenaires techniques et financiers les 28 et 29 octobre 2014 dans la capitale gabonaise. Attendu pour présider les travaux, le chef de l’Etat burkinabè n’est jamais arrivé. CEO de Knowdys Consulting Group, Ababacar MBENGUE dévoile l’essentiel de ce qu’il faut retenir du CAMES, de l’Université de demain et de la chute de Blaise Compaoré.
Awa DIALLO : Pourriez-vous nous rappeler ce que c’est que le CAMES, ses missions, et son bilan à ce jour?
Ababacar MBENGUE : Ababacar MBENGUE : Le CAMES (Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur) est une organisation intergouvernementale africaine, presque cinquantenaire, dont la mission est de promouvoir, coordonner et harmoniser les systèmes d’enseignement supérieur et de la recherche des pays membres.
L’idée de créer un organisme pour harmoniser l’enseignement supérieur et veiller à sa qualité en Afrique subsaharienne d’expression française et à Madagascar a germé dans les premières années des indépendances africaines. En 1966, une résolution de la Conférence des Ministres de l’Éducation Nationale tenue à Paris a donné mandat à une Commission consultative d’experts pour réfléchir de manière approfondie sur la réforme de l’enseignement supérieur en Afrique et à Madagascar.
Les conclusions de la réflexion de cette Commission ont conduit les Chefs d’États des pays membres de l’Organisation Commune Africaine et Malgache (OCAM) à décider la création du « Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur » (CAMES) lors de la Conférence de Niamey (Niger) tenue les 22 et 23 janvier 1968. La Convention relative au statut du CAMES et son organisation a été signée par 16 Chefs d’État et de Gouvernement, le 26 Avril 1972 à Lomé (Togo). Aujourd’hui, le CAMES compte 19 pays membres répartis entre l’Afrique Centrale, l’Afrique Occidentale, la Région des Grands Lacs et de l’Océan Indien.
Après bientôt 50 ans d’existence, le CAMES est unanimement reconnu pour sa crédibilité et considéré comme un modèle particulièrement réussi d’intégration panafricaine en matière de mutualisation des ressources de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’objectif initial des pères fondateurs de mettre sur pied un cadre de réflexions concertées, d’actions harmonisées et de mutualisation des ressources a clairement été atteint.
Fort de ce succès, il reste maintenant au CAMES de relever les nouveaux et immenses défis posés à l’enseignement supérieur et la recherche africains dans l’Afrique et le monde du 21e siècle. En clair, il s’agit pour le CAMES de parvenir à mettre l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation africains au service du développement de l’Afrique.
Vous venez d’assister à la Table ronde des partenaires techniques et financiers du CAMES à Libreville. Quelles en sont les principales résolutions?
Il faut souligner que la Table ronde des partenaires techniques et financiers du CAMES qui vient de se dérouler les 28 et 29 octobre 2014 à Libreville (Gabon) constituait une première, à un double titre : pour la première fois, le CAMES s’est doté d’un Plan stratégique de développement, élaboré dans les meilleures règles de l’art (à travers une large concertation interne et externe) ; ensuite, pour la première fois également, le CAMES est allé à la rencontre de ses partenaires techniques comme financiers, traditionnels comme récents, pour échanger de manière approfondie autour de ce plan stratégique de développement.
Il est classique de sortir de ce genre de manifestations avec des déclarations de principes. Ainsi, les très nombreux partenaires techniques et financiers présents à la table ronde ont fait des promesses de financement ou et/ou de soutien technique.
Mais, au-delà des promesses, ce qui fait de cette Table ronde un succès total, c’est qu’elle aura constitué une base solide pour une mise en œuvre opérationnelle efficace et efficiente du Plan stratégique de développement du CAMES. Les échanges approfondis, au-delà d’avoir permis aux acteurs de mieux se connaître, s’apprécier et se souder autour d’un projet très ambitieux et mobilisateur, ont permis d’identifier plusieurs axes d’action concrète concernant la mobilisation des partenaires comme les États, les organismes d’intégration régionale, les entreprises, les universités publiques et privées, les enseignants et les étudiants. D’autres axes d’action concrète concernent le travail de communication autour du CAMES et de son Plan stratégique de développement, le déploiement du fundraising ainsi que la mise en place d’une équipe de suivi-évaluation de la mise en œuvre du plan stratégique de développement du CAMES.
En tant que CEO de Knowdys Consulting Group, quel regard portez-vous sur l’avenir du CAMES?
Le CAMES a devant lui un avenir immense. À l’image des défis auxquels est confrontée l’Afrique. Mais cet avenir-là, il lui appartient de le construire. Lui-même. Pas seul, naturellement. C’est tout le sens du compagnonnage avec les nombreux partenaires techniques et financiers. Simplement, comme j’ai eu à l’exprimer lors de la Table ronde de Libreville, aucun des partenaires, techniques comme financiers, n’à d’agenda aussi noble, central, primordial que celui porté par le CAMES : libérer l’Afrique par le développement des connaissances, des compétences, la formation, la recherche et l’innovation.
Mais si cette ambition est forte, nourrie par l’idée fondatrice des créateurs du CAMES, enrichie par les réalisations concrètes des acteurs du CAMES au premier rang desquels figurent les universités et instituts d’enseignement et de recherche, les enseignants et les chercheurs, les États et les partenaires, le CAMES ne pourra être à la hauteur de sa mission et son ambition qu’à la condition d’effectuer des mutations sensibles. Comme les civilisations, toutes les organisations sont mortelles ! Pour survivre dans un environnement radicalement différent de celui des années soixante, le CAMES devra se professionnaliser davantage, augmenter son agilité, devenir une organisation plus entrepreneuriale, plus efficace, plus efficiente, plus réactive, plus créative. Tout en veillant à préserver son âme, il devra se mettre à l’image du monde contemporain et à venir. Car, comme le savent si bien les lecteurs de Cheikh Hamidou Kane, il ne suffit plus d’avoir raison pour gagner. Le CAMES devra s’adapter ou périr. La bonne nouvelle est qu’il peut s’adapter sans perdre son âme.
Le siège du CAMES est à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Comment avez-vous vécu le changement d’Exécutif dans ce pays ?
Cette question nous déplace vers un registre purement personnel et pas du tout institutionnel. Elle a néanmoins le grand mérite d’attirer l’attention sur le fait que nos institutions sont encastrées dans le monde réel. En tant qu’institution interafricaine, le CAMES est immergé dans l’Afrique réelle. À l’image de quelques autres États parmi les 19 pays membres du CAMES, le Burkina Faso a accordé un appui substantiel et multiforme au CAMES, notamment en accueillant son siège et en ayant abrité plusieurs de ses manifestations. Si vous analysez la genèse du CAMES et si vous observez son mode de gouvernance, vous mesurez tout le poids des États dans son identité, son essence et son existence. Après tout, le CAMES a été initialement fondé comme une organisation intergouvernementale africaine et il reste une organisation intergouvernementale. En tant que telle, l’institution CAMES traite avec les pouvoirs exécutifs en place. Qui plus est, elle est sous l’autorité entière des pouvoirs exécutifs en place, à travers le Conseil des Ministres de l’enseignement Supérieur et/ou de la Recherche.
Maintenant, sur un registre purement personnel, comme beaucoup d’Africains, je vis le changement en cours au Burkina Faso avec, à la fois, beaucoup de fierté, de vigilance et d’espoir. C’est naturellement une grande fierté et un grand espoir pour beaucoup d’Africains de voir l’expression populaire reconnue et respectée dans nos pays. Mais il est également bien connu que la démocratie est une pente à remonter et que la trajectoire est rarement linéaire. Il ne fait cependant aucun doute que la tendance sera nécessairement celle de la prise en compte de l’expression populaire.
Si j’ai utilisé la clé de lecture de l’expression populaire (en somme, de la démocratie ou de la règle de la majorité), il n’est pas exclu que le problème des changements non consensuels de constitution soit davantage un problème de légitimité.
En tout état de cause, quand bien même il eût été préférable de ne pas avoir tenté de changer une règle centrale du jeu (la constitution) de manière non consensuelle, il est toujours heureux que l’exécutif en place ait finalement renoncé à son projet.
Après le « Printemps arabe », les événements du Burkina Faso marquent-ils, d’après vous, le début d’un « Automne africain »?
Ni « Automne africain » ni « Printemps noir », possiblement. Je ne pense pas que le rythme doive être forcément celui des saisons des zones tempérées. En vérité, il s’agit surtout là de refus de la trituration des Lois fondamentales. Et ces refus s’exprimeraient plutôt au rythme des échéances électorales, notamment les élections présidentielles, qu’en fonction de l’inclinaison de la terre par rapport au soleil et autres affaires d’équinoxes ou de solstices.
En clair, il ne me semble pas probable que l’on assiste à une déferlante de mouvements insurrectionnels par effet de contagion directe et immédiate. Je pense plutôt que nous sommes en présence de populations majoritairement légitimistes, voire légalistes. Par contre, il est quasiment certain que les velléités de modification non consensuelle des Lois fondamentales vont diminuer fortement voire pratiquement disparaître très rapidement. Je vois à cela deux raisons : d’un côté, le niveau d’exigence démocratique des populations va augmenter ; de l’autre côté, les craintes de conséquences d’un échec plus probable qu’auparavant vont dissuader de passer à l’acte des dirigeants éventuellement tentés par des modifications non consensuelles.
À propos
Ancien du Prytanée Militaire de Saint-Louis du Sénégal et de HEC Paris, Professeur Agrégé en sciences de gestion, et CEO de Knowdys Consulting Group, le Sénégalais Ababacar MBENGUE a été Président du Jury du Concours d’Agrégation en Gestion du CAMES en 2011 et 2013.