» L’Afrique est entrain de passer à une phase d’autonomie totale »
En prélude des RIDAA (Rencontres Internationales sur le Droit des Affaires en Afrique) qui se tient à Paris, le 5 décembre, sur le thème « Made In Africa », nous avons interpellé Benoit Le Bars, co-Fondateur du cabinet Lazareff Le Bars, sur les grands axes de ce forum. Entretien.
–Le forum RIDAA porte sur «Le Made In Africa». Quel contenu juridique et économique donnez-vous à cette expression ?
Avec les RIDAA 2014 nous offrons aux participants une occasion unique de rencontrer tous les acteurs de l’esprit d’entreprise africain, qu’ils soient décideurs politiques, experts et juristes, entrepreneurs, journalistes et lobbyistes ou acteurs de la société civile. Il était essentiel de mettre en présence ces différentes parties prenantes car le « Made In Africa » est un signe fort de l’évolution actuelle de la croissance Africaine. L’Afrique est en train de passer à une phase d’autonomie totale sur de très nombreux projets. Le continent n’est plus celui de la seule vente des matières premières, il est devenu un véritable marché, au sens économique du terme, où se retrouvent tous les éléments constitutifs d’une vraie dynamique. Une classe moyenne, des professionnels éduqués et compétents, des jeunes formés et innovants, un soutien politique tendu vers la recherche de projets porteurs pour l’avenir et permettant d’améliorer les infrastructures et faire évoluer le quotidien comme le futur de leurs concitoyens. Le sens juridique et économique de ce concept est là : le droit vient servir des projets menés de plus en plus par des Africains pour des Africains, qui savent maintenant s’exporter.
Comment se porte l’environnement des affaires en Afrique. Quelles sont les principales réformes qui vous ont marqué cette année ?
Ce qui frappe en Afrique en 2014 ce ne sont pas tellement des réformes ponctuelles mais un mouvement de fond. De très nombreux pays ont, par exemple, lancé des projets pour l’accompagnement des activités innovantes, nombre d’entre eux ont de vrais programmes ambitieux en matière d’infrastructures, de grands groupes internationaux ont véritablement annoncé des projets de grande ampleur pour l’Afrique et dans de nombreux pays en même temps. Parallèlement, des réformes sectorielles ont lieu dans le domaine minier, dans l’éducation, pour les infrastructures et aussi pour la justice. Tout ceci est révélateur d’une grande maturité et d’une approche très pragmatique des attentes comme des nécessités du temps actuel. Tous ces mouvements sont porteurs d’espoir car ils font de l’Afrique le premier marché pour les Africains eux mêmes, et pour le reste du monde. C’est toute la dynamique sud-sud qui devient une réalité, et quelques grands pays comme le Maroc ou les Emirats font montre d’un fort volontarisme pour accompagner cette dynamique.
–Les projets PPP font partie du vocabulaire quotidien des ministres africains. Pensez-vous que les négociateurs africains disposent de toute l’expertise juridique pour s’offrir des contrats équilibrés ?
Les autorités Africaines savent bien s’entourer, et leurs conseils, qu’ils soient locaux ou étrangers, sont souvent très compétents. En matière de projets d’infrastructures ou de PPP, le problème est souvent ailleurs. Ces techniques juridiques et contractuelles sont issues des pays anglo-saxons et comme tels font appel à des référentiels ou à des réflexes juridiques qui ne sont souvent pas ceux de professionnels formés dans un environnement de droit civil. Plus qu’un problème de conseils il s’agit souvent d’une question de culture.
De plus, ces types de projets sont en recul ces derniers temps car ils sont souvent complexes à mettre en place et d’un maniement délicat sur le plan financier. Aussi, la dynamique de croissance des économies passe par des montages plus connus et souvent plus testés, que sont les concessions ou les contrats internationaux sur appel d’offres. La structuration est alors plus simple, elle peut se faire sous le contrôle d’une autorité indépendante chargée de réguler un secteur d’activité, comme dans les télécoms ou les Mines par exemple, et permet la pérennité de projets destinés à durer et à forger le visage de l’économie des pays concernés.
–L’Union Africaine dénonce la fuite illicite des capitaux provoqués en grande partie selon le rapport Thabo Mbeki par les multinationales. Comment faire pour emmener ces acteurs vers plus de transparence ?
Le mouvement pour la transparence est déjà en route et doit être poursuivi. La régulation de ces situations passe par une application des règles de gouvernance des grands groupes et une stricte conformité aux législations en matière de lutte contre la criminalité d’affaires. Les sanctions doivent aussi venir de l’extérieur. Aujourd’hui, le risque de réputation est souvent bien plus préjudiciable que la perte d’un contrat dans un pays donné. Pour une société cotée sur un marché financier, un tel risque signifie une perte de valeur des titres mais aussi un préjudice d’image qui peut s’avérer extrêmement fort et durable. Outre l’impact qu’il peut avoir en terme de conséquences financières directes, un tel effet met aussi à mal la motivation des équipes, fragilise les organisations et peut faire que des salariés clefs quittent l’entreprise ou se sentent en danger car ils n’adhérent plus au projet porté par ses dirigeants. Ainsi, l’ensemble des Etats doit continuer à accompagner la réglementation en la matière et faire respecter les règles au niveau national comme international. Les groupes internationaux ne négligent pas du tout ces questions. Il suffit de voir l’ampleur des recrutements de personnes chargées de ces questions, la mise en place de normes internes et de chartes pour les salariés, le temps de formation consacré à ces questions, pour comprendre qu’ils y sont sensibilisés. Mais comme toute réforme, il faut le temps qu’elle passe du stade de méthode nouvelle à une règle de fonctionnement courante. Nous devons faire œuvre de patience.
Encadré
Benoît Le Bars est un expert reconnu en matière d’arbitrage international, dans des procédures institutionnelles et ad hoc, de règlement des litiges internationaux et de conseil en Afrique (notamment OHADA). Distinguished Adjunct Professor of Law à la Vermont Law School (USA) et Maître de conférences en droit privé, il mène de front une activité universitaire et d’avocat international, à la fois en qualité d’arbitre et de conseil. Il a également une solide expérience dans le domaine du droit des contrats et projets internationaux, du commerce international et des procédures contentieuses. Depuis plusieurs années, outre sa pratique en Europe de l’est et dans les pays hispanophones, Benoît Le Bars est très impliqué en Afrique. Sa connaissance inégalée du droit OHADA ainsi que sa passion pour le continent l’ont conduit à créer un magazine trimestriel dédié au droit des affaires en Afrique, le MIDAA (Magazine International de Droit des Affaires en Afrique), ainsi qu’une conférence annuelle, destinée à l’ensemble des acteurs du monde des affaires, les RIDAA (Rencontres Internationales du Droit des Affaires en Afrique), organisées dans différents Etats africains. Il est également l’auteur du manuel Droit des sociétés et de l’arbitrage international – Pratique en droit de l’OHADA (Joly-Lextenso – 2011), l’ouvrage de référence en la matière et l’un des auteurs du Traité du Droit du Commerce International (Lexis Nexis – 2011), primé par l’académie des sciences morales et politiques.