A Yamoussokro, cette imposante statue devant l’une des plus grandes écoles d’Afrique renseigne plus sur ce qu’a fait l’homme que sur ce qu’il fut…
Le 7 décembre 1993 s’éteignait le Bélier. Né le 18 octobre 1905 à Ngokro, Dia Houpheït alias Felix Houpheit Boigny a construit le miracle ivoirien à partir du réinvestissement dans les infrastructures de base des exportations massives de matières premières (cacao) ivoiriennes dans une conjoncture favorable.
Médecin, planteur et syndicaliste , sa vision politique modérée et réaliste (surtout sur la question de la décolonisation) épousait un pragmatisme économique qui fut de la Côte d’Ivoire l’eldorado des cadres et des ressources humaines qualifiées de la sous région.
Modéré et conciliant tant avec le Club de Casablanca, partisan d’une option radicale de rupture avec les ex-colonisateurs, qu’avec le club de Monrovia, militant d’une relation négociée avec les maîtres d’hier, le génie bâtisseur Baoulé a marqué son époque (1960-1993) par la construction d’édifices publics, d’infrastructures de transport et de grandes écoles).
Sa vision de l’Etat fort, actionnaire et investisseur, allait de pair avec sa conception de la nationalité, plutôt citoyenne qu’héritée, plutôt progressive que figée, répondant à un ensemble de valeurs et non seulement transmissible par le sang. Peut-être, Nana Boigny était-il en avance sur son temps, lui qui invitait les noirs américains et tous les déshérités et opporimés du monde à venir prendre part au miracle ivoirien.
Cet afflux de ressources humaines dans un environnement libéralisé ne peut être minoré dans l’analyse politique et économique de ce miracle ivoirien que le président Alassane Ouattara veut recréer dans un autre contexte il est vrai. Houpheït a été le premier chef africain à préconiser la citoyenneté sur le modèle américain. Le premier africain aussi à expérimenter le modèle actuel européen de raccourci dans l’accumulation du capital humain mondial. Il faut vingt ans pour former une génération d’ingénieurs, d’informaticiens et de techniciens qualifiés.
L’Union Européenne actuelle puise son déficit d’investissement en capital humain à la périphérie, là où le capital humain bien formé (Plus de gényco béninois à Paris qu’à Cotonou) est à l’abandon. La Côte d’Ivoire de Houpheït Boigny fut le seul endroit sous les tropiques où les conditions d’accueil et de valorisation ont créé un flux durable pour le capital humain africain. C’est dire que le miracle ivoirien, fondé sur la citoyenneté au détriment du nationalisme, le mérite plutôt que la dictature des origines, l’ivoirité (dans le bon sens) plutôt que l’ethnocentrisme, avait cette dimension d’ouverture et d’approche inclusive qui sera vilipendée dans la guerre des dauphins déclenchée à la mort du patriarche.
En parcourant aujourd’hui Yamoussokro et son lac artificiel menacé par les mauvaises herbes, son interminable avenue centrale et ses nids de poule, ses élégantes écoles de commerce et d’agriculture aux murs lézardés, on constate le prix payé par toute une Nation pour cet long intermède qui a figé la nation la plus prospère de l’Afrique de l’Ouest dans une guerre et gué-guerre de 15 ans.
Pendant que ce docteur pragmatique construisait son pays sur des bases larges et universalistes, son voisin guinéen, Ahmed Sekou Touré, sous la hantise permanente des tentatives de coups d’Etats, vrais, souvent imaginaires, allait muer en un dictateur implacable qui finira par se retourner contre ses compagnons de lutte. Le plus emblématique de ses collaborateurs, Diallo Telli, alors secrétaire général de l’OUA, sera englouti par le camp Boiro où il mourra de faim et de soif. Dans la Guinée révolutionnaire, les moyens de l’Etat étaient au service de la pérennité d’un régime fragile en froid avec Dakar et Abidjan, considérées comme deux postes avancés de l’impérialisme.
Houpheit sera le chef de file des modérés que rejoindra vite le sénégalais Léopold Sedar Senghors. La crise entre Conakry d’une part, Dakar et Abidjan d’autre part, atteindra son paroxysme avec le coup d’Etat manqué perpétré par le Portugal (Opération Mar Verde en 1970) en représailles au soutien affiché de Sekou Touré aux leaders de la lutte pour l’indépendance des colonies portugaises (Guinée Bissau et Cap Vert) en Afrique de l’Ouest.
La réconciliation entre les trois capitales interviendra en 1978 à Yamoussoukro. (Nous voilà dans cette ville … », entonne Sekou Touré. « Non, c’est un village », lui rétorque son hôte).
Aujourd’hui, Yamoussokro et sans commune mesure avec Conakry
L’écart s’était déjà creusé et continue de se creuser entre la Côte d’Ivoire et la Guinée. Aujourd’hui encore, l’image de Sekou Touré oscille entre le sanguinaire du camp Boiro et le chef syndicaliste du non au Général de Gaulles. Staline ou Lula, deux figures irréconciliables qui ont incarné tour à tour et en des époques différentes une certaine idée du socialisme.
L’histoire longue des peuples et des Nations ne retiendra sans doute du leader Malinké que le trait révolutionnaire. Mais, cinquante ans après le soleil des indépendances, Conakry garde peu de témoignages visibles et utiles du règne sans partage de Sekou Touré. En dépit de son potentiel minier colossal, la Guinée de l’après Sekou Touré manque encore de tout: un raccordement à l’électricité à parfaire, peu d’infrastructures routières et un rôle de l’Etat vidé de son sens.
À l’inverse, la Côte d’Ivoire de Houpheit Boigny, premier producteur mondial de cacao, a laissé un héritage durable. En 2014, en dépit de quinze ans de quasi-guerre civile entre les dauphins putatifs réels et imaginaires, l’œuvre de Houpheit était encore intacte d’Abidjan à Yamoussoukro. Plus qu’à Conakry et à Accra, c’est ici que le génie du bâtisseur s’est révélé à travers plusieurs projets dont l’autoroute Abidjan -Yammousokro entamé par Houpheit et achevé par Alassane Ouattara, son ancien premier ministre qui revendique aujourd’hui, à raison peut-être, son héritage spirituel.
Le succès de Houpheit Boigny provient de son pragmatisme politique et diplomatique si vanté par le grand capital mais critiqué par les mouvements africains et arabes qui lui reprochaient de flirter avec Pretoria et Tel Aviv. En plein conflit israélo-arabe, il n’hésitait pas à aller prendre un bain purificateur dans les eaux du Jourdain en compagnie des dirigeants de ce pays banni alors par l’OUA. Ses contacts avec le régime honni de l’Apartheid étaient fréquents. Ce dialoguisme à toute épreuve qui frôlait la traîtrise sera l’un des traits marquants de la politique de Houpheit.
Sur le plan économique, le succés du médecin -planteur provient de son interprétation du sens de l’Etat et de ses relations privilégiées avec le bloc de l’Ouest. En dépit de son libéralisme affiché, Houpheit Boigny a toujours prôné un État fort. Les 22 sociétés d’Etat ou à participations publiques érigées durant son long régné seront des leviers puissants qui lui permettront de transformer son pays.
Le coup d’arrêt interviendra dans les années 80 avec la Politique d’ajustement structurel ( PAS,) la dévaluation du Franc CFA et le processus du désengagement de l’Etat des entreprises publiques.
Celui-ci s’affaiblit et reculé abandonnant le terrain aux multinationales entre 1980 et 2000. La CAISTAB (Caisse de stabilisation des prix de cacao qui garantissait aux producteurs des revenus réguliers) fut démantelée. Le service publique (santé et éducation) fut réduit à sa plus simple expression.
Sous Houpheit, les multinationales s’arrêtaient aux ports et attendaient les fèves de Cacao transportées des champs aux points d’exportation par de la logistique ivoirienne. Aujourd’hui, les multinationales ont pris les plantations d’assaut. La libéralisation édictée par la Banque Mondiale a fait reculer le pays sur la chaîne de valeur du cacao au profit des multinationales. Les revenus des paysans se sont effondrés de 50% entre 1990 et 2000 selon les rapports officiels. Or, Le vrai combat du président Alassane Ouattara, comme de tout politicien qui se pose en successeur du président Houpheït, passe par le cacao.
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