A la tête du cabinet Battajon, dont le bureau central a quitté Paris pour s’ installer à Kinshasa depuis septembre 2014, Romain Battajon, par ailleurs président fondateur du réseau ABLE (Africa Bsuiness & Legal Expertise), répond à nos questions sur l’évolution du climat des affaires en Afrique.
Votre cabinet vient de s’installer à Kinshasa. Qu’est ce qui explique ce choix pour la RDC?
Je précise que mon cabinet est installé en RDC depuis 2007, mais qu’il s’agissait jusque-là d’un cabinet secondaire, mon cabinet principal étant jusque-là à Paris, tandis que, depuis septembre 2014, le cabinet de Kinshasa est devenu mon cabinet principal, et je m’y suis installé à temps plein, étant par ailleurs inscrit depuis 7 ans au barreau de Kinshasa/Matete.
Pour répondre à votre question sur le choix de la RDC, il se trouve que j’ai travaillé en RDC quelques temps avant de devenir avocat, et que j’y avais laissé des émotions, des amis, des moments de vie professionnelle intenses, qui me manquaient une fois rentré en France. Outre cette passion personnelle pour la RDC, c’est aussi dans ce pays que j’ai vraiment commencé, comme avocat, à traiter des dossiers africains, avant d’autres pays du continent. Logiquement, donc, c’est par cet ensemble de liens personnels et professionnels avec la RDC que le choix s’est imposé à moi lorsque j’ai estimé nécessaire, pour être plus efficace dans mes activités d’avocat d’affaires en Afrique, de m’installer sur le continent au lieu de piloter mes activités depuis Paris. Par ailleurs, il m’a toujours paru comme une évidence que la RDC présente le double avantage de disposer de potentialités économiques immenses, tout ou presque étant à faire dans ce pays, et d’avoir une jeunesse dynamique, de plus en plus ouverte sur le monde, et souhaitant prendre en main son destin. Destin que j’ai, depuis longtemps, souhaité contribuer à forger, à ma modeste mesure.
Par le passé, ce vaste pays a fait l’actualité par ses contrats déséquilibrés avec des entreprises minières chinoises et avec d’autres entités. Qu’en est-il actuellement ?
Rappelons que des contrats déséquilibrés furent passés tout autant avec des entreprises chinoises qu’avec des entreprises occidentales, à une époque où la RDC était sous perfusion financière et donc en position d’extrême faiblesse pour mieux négocier les contrats portant sur l’exploitation de ses ressources naturelles. Un travail de renégociation a été décidé, fortement suggéré par les bailleurs de fonds multilatéraux, et la situation s’est en partie améliorée concernant certains contrats léonins. Néanmoins, l’Etat congolais demeure financièrement assez faible et ne peut donc toujours pas négocier des contrats à des conditions, financières et/ou juridiques, suffisamment avantageuses. De plus, il est un fait avéré que beaucoup de contrats d’envergure, que ce soit dans le secteur minier ou dans d’autres secteurs structurants (énergie, infrastructures, télécommunications, etc.), sont négociés directement au niveau gouvernemental sans le soutien de conseillers spécialisés (avocats, banquiers d’affaires, économistes, ingénieurs, notamment).
Dans quelles mesures l’OHADA a-t-il contribué à l’amélioration du climat des affaires dans les pays membres et dans les secteurs miniers et pétroliers ?
Je n’apprends rien à vos lecteurs en disant que l’OHADA a permis aux 17 Etats membres de cette organisation de se doter d’un corpus de règles moderne, par-rapport aux textes antérieurs, obsolètes pour beaucoup, qui s’appliquaient avant l’entrée en vigueur des actes OHADA, notamment en droit des sociétés, en matière de garanties du crédit, de recouvrement de créance, de comptabilité ou encore de règlement des litiges par la voie de l’arbitrage.
L’impact que ces règles nouvelles ont eu sur l’attractivité des pays de la zone OHADA aux yeux des investisseurs a été démontré par diverses études, et, sur le terrain, ces règles sont ressenties positivement par les entreprises et par les juristes, même si des difficultés d’application demeurent dans certains pays.
Dans les secteurs minier et pétrolier, les retombées positives de l’OHADA furent par exemple l’instauration de meilleures règles de gouvernance dans les sociétés, un modèle unique de comptabilité applicable dans l’ensemble des pays OHADA, la possibilité de recourir à un système de sûretés plus fiable, donc facilitant la structuration des financements.
En dépit des progrès enregistrés dans la gouvernance, l’Afrique reste à la traîne sur la corruption comme exprimé dans les rapports réalisés par Transparency. S’agit-il seulement d’un problème de perception ?
Le célèbre communicant Richard Attias a publié récemment une tribune pour dire en effet qu’il y a un fossé entre l’Afrique perçue et l’Afrique réelle, surtout quant à la perception du risque. Concernant la corruption, je n’irai pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un problème de perception, car elle est bien réelle, et occupe une place quotidienne, et il importe donc d’adopter des stratégies de prévention et d’évitement pour les entreprises qui travaillent en Afrique. Mais d’une part, je suis surpris que l’on pointe particulièrement l’Afrique quand on parle de corruption, alors que les entreprises font face au même degré de corruption lorsqu’elles vont en Chine, en Russie, au Moyen-Orient ou encore au Brésil. D’autre part, au même moment que la sortie du rapport de Transparency International, l’OCDE a publié un rapport sur la corruption, marqué notamment par le constat, basé scientifiquement sur l’analyse de 400 affaires réelles, que les pots de vin sont généralement versés pour remporter des contrats auprès d’entreprises détenues ou contrôlées par l’État dans les pays économiquement avancés, bien plus que dans les pays en développement, et que la plupart des corrupteurs et des corrompus viennent… des pays riches ! Logiquement, donc, je ne pense donc pas que vous puissiez réellement dire que l’Afrique est à la traîne sur la corruption.
Un éminent économiste français vient de dire que l’Afrique est à la veille de ses Trente Glorieuses. Partagez-vous cette assertion relativement optimiste compte tenu du niveau de vie des Africains et de la lente évolution de leurs revenus ?
L’économiste français Nicolas Baverez a utilisé cette référence de l’histoire économique dans un récent article, et, tout en ne doutant pas de l’aspect positif de cette métaphore dans l’esprit de M. Baverez, je pense qu’il est assez anachronique de se référer à une période qui remonte entre 70 et 40 ans en arrière. Pour rebondir quand même sur cette citation, je crois que l’Afrique n’est pas à la veille d’une période glorieuse, mais qu’elle y est déjà, et que cette période a de sérieuses chances de durer bien plus que trente ans. Une grande majorité de la population vit encore, certes, dans un état de chômage, du moins officiel, et avec une espérance de vie insuffisante par-rapport aux pays développés. J’entendais aussi, il y a quelques jours, un gérant français d’un fond d’investissements basé en Chine dire qu’il fallait attendre encore longtemps pour voir décoller l’Afrique comme l’Asie avait décollé, au plan économique, en rappelant que, malgré une croissance soutenue ces dernières années, le PIB cumulé des 54 pays du continent africain était à peu près équivalent à celui de l’Allemagne. Néanmoins, la tendance de fond est évidemment positive en Afrique, à travers par exemple : l’émergence d’une classe moyenne, évaluée aujourd’hui à environ 300 millions de personnes, qui va grossir d’année en année, avec des besoins de consommation exponentiels ; le développement inéluctable des infrastructures, qui devrait logiquement générer de l’emploi ; des élites économiques, culturelles, et, de plus en plus je l’espère, politiques, de mieux en mieux formées et de plus en plus conscientes que l’Afrique a un rôle central à jouer au 21ème siècle. « Rome ne s’est pas faite en un jour« , selon l’expression bien connue, donc soyons patients et constructifs (qualités certes rares en ce moment en France), car le reste du monde nous prouve d’année en année que cet avenir meilleur est aussi possible pour l’Afrique !
Propos recueillis par Adama Wade