Par Adama Wade
Paru en plein milieu du dernier sommet de la Francophonie, le livre sur les mémoires d’Abdou Diouf est une sorte de bréviaire sur la férocité des intrigues de la cour. Tout est question, évidemment, de hauteur de vue.
Du palais présidentiel qu’il fut forcé de quitter au lendemain de sa défaite, en mars 2000, après 20 ans de pouvoir, le président Diouf a pu entrevoir dans l’entre-deux tours fatal, l’opportunisme des courtisans. » Mon Dieu faites que je ne gagne pas les élections » s’est-il arrivé à demander devant le spectacle, florentin, du sauve qui peut vers le nouveau prince.
Ce livre est apolitique ou presque. C’est le récit des relations fluctuantes de l’homme d’Etat, d’un administrateur au parcours exceptionnel avec son entourage. Les portraits des grandes baronnies de la vie politiques locale sont livrées avec le petit détail croustillant qui fait rire le tout Sandaga.
Djibo Ka, Mustapha Niasse et Ibader Thiam, trois figures tutélaires de la démocratie Senegalaise, ne sont pas ménagés. Au contraire d’un Abdoulaye Wade dont le caractère dominant est décrit d’un trait de plume. C’était au lendemain du renversement du président gambien, Daouda Kereba Diawara, victime d’un coup d’Etat alors qu’il était parti assister au mariage du Prince Charles. Sollicitée pour le ramener au Senegal à bord d’un avion, l’armée de sa Gracieuse Majesté refusera prétextant que le déplacement du President gambien n’avait rien d’officiel. Qu’à cela ne tienne, Abdou Diouf enverra l’armée Senegalaise pour redonner le pouvoir à celui qui l’avait presque perdu. Abdoulaye Wade qui s’était ému de cette décision en public dira à Diouf en aparté: « Si j’étais à ta place, j’aurais fait la même chose, vraiment j’aurais agi comme tu l’as fait. Cependant, si tu le répètes, je le démentirais ».
Ceux qui n’ont retenu de ce livre que son côté sensationnel, le fameux coup de poing de Moustapha Niasse à Djibo Ka, s’amputent, volontairement à notre avis ,d’une dimension régionale où reviennent les hautes figures qui ont marqué l’Afrique de ces dernières années. De Houpheit Boigny qui s’étonnait pourquoi l’on ne servait pas les plats nationaux senegalais au Palais, à Kadhafi qui pensait qu’une minorité chrétienne opprimait une majorité musulmane au Senegal jusqu’à Léopold Sedar Senghors qui avait choisi son successeur dès 1964 et qui voulait pousser les frontières de l’Afrique de l’Ouest jusqu’au Zaïre afin de diluer la puissante fédération du Nigeria dans une CEDEAO dont il était tiède défenseur.
Ce livre nous révèle que souvent les crises régionales voire les guerres entre Etats sont les choc de simples égos surdimensionnés et non d’intérêts stratégiques. Le nigerian Obasanjô, vexé de n’être pas reçu par son hôte senegalais au pied de l’avion, apprendra heureusement par la suite que son fax annonçant son escale au Senegal avait été oublié sur la machine d’un fonctionnaire indélicat.
Il y a aussi le President Alpha Omar Konaré, qui refuse de faire le voyage de Dakar pour accueillir Jacques Chirac aux côtés des présidents senegalais et nigériens. « Tu peux m’appeler à 03 heures du matin pour me dire Alpha viens me voir je prendrai n’importe quelle voie de locomotion, pour venir. Mais je ne peux pas accepter que Jacques Chirac me convoque à Dakar comme un Gouverneur Colonial », dira le fier Bambara.
Le subjectif reste prégnant dans les rapports entre Etats. Saddam Hussein signera 50 millions de dollars pour permettre à l’Organisation pour la Mise en Valeur du Fleuve Senegal ( OMVS) de boucler le financement de son barrage suite à une poignée de mains avec Abdou Diouf au sommet Islamique de Taïf. L’organisation régionale sera d’ailleurs paralysée pendant longtemps par les exigences des mauritaniens méfiants à l’égard de leurs cousins sénéegalais. Les lignes electriques nées des barrages sur le fleuve ont finalement obéi à la géopolitique, faisant une bifurcation sur le territoire mauritanien pour revenir après en territoire sénégalais.
En homme de compromis, le President Diouf ne verra pas venir les conséquences politiques d’une dévaluation de 50% dont il croit encore aujourd’hui que l’opinion publique sénégalaise, au contraire de la gabonaise, était favorable. C’était en 1994 et cette décision allait accélérer la marche vers l’alternance.
Le modus operandi montre que nos chefs d’Etat ne décident pas mais signent. « En effet, écrit Diouf, le Sénégal a vu l’interruption de l’aide de la Banque Mondiale arrivée à échéance en juillet 1993 et en plus de cela, dès septembre 1993, nous avons reçu une lettre d’Edouard Balladur nous disant (je veux dire les Etats de l’Afrique de l’Ouest Francophone), que la France ne pourrait pas continuer à aider ceux d’entre nous qui n’auraient pas signé un accord avec le FMI. ».
Le reste est un jeu de pression conjointe des institutions de Bretton Wood. Diouf écrit : « Monsieur Camdessus m’a fait savoir que malgré les efforts surhumains que nous avions faits, cela ne suffisait pas. Vous avez atteint la limite de l’ajustement réel me dit-il, la seule chose qui peut vous aider, c’est l’ajustement monétaire ; je n’en étais pas convaincu car j’avais quelque part aussi, l’impression qu’on voulait nous pousser à la dévaluation, parce que cela réglait les problèmes de la Côte d’Ivoire. Puisque depuis plusieurs années, Houphouët ne vendait plus ; le café et le cacao étaient stockés et la Côte d’Ivoire étouffait et cela ne pouvant plus continuer, il n’y avait que la dévaluation qui pouvait la sauver et une dévaluation très forte, d’au moins cinquante pour cent. »
.Lors de la réunion entérinant la dévaluation, c’est encore Diouf, l’homme du compromis, qui sera chargé de convaincre Bongo: « Je lui ai parlé, mais il n’était pas totalement d’accord parce qu’il trouvait que son opinion publique était contre.Tandis qu’en ce qui concerne l’opinion publique sénégalaise, beaucoup de gens étaient acquis à la dévaluation, même parmi les milieux économiques et dans la presse. ». Bref c’est du Abdou Diouf, bon élève, major de sa promotion jusqu’au bout.