Né le 9 octobre 1906 à Joal et mort le 20 décembre 2001 à Verson, Leopold Sedar Senghor a enrichi la langue française des mots en «ité » et en «itude». Premier noir à intégrer le cercle des immortels de l’académie française, l’écrivain qui l’habitait a inspiré l’homme politique.
A défaut d’être un grand bâtisseur, Senghor fut concepteur de la Sénégalité, de sa sénégalité riche de plusieurs affluences. Ce tirailleur de la langue française développait la même approche qu’un Kateb Yacine qui considérait la langue du colon comme un «butin de guerre». Nègre, aussi fondamental que l’était un Aimé Césaire, l’auteur de «Femme noire, femme nue, vêtue de ta couleur qui est vie » puisait son génie dans la modération et dans sa vision d’un métissage culturel qui ne serait pour l’ancien prisonnier de guerre des allemands que la synthèse de plusieurs vies et de plusieurs soufrances.
A la différence d’un Ahmed Sekou Touré qui arracha son indépendance tout de suite et totalement, le premier président sénégalais était un défenseur de l’Union Française qui a voté «oui» au référendum de 1958 et qui a su attendre son heure.
Chantre de la négritude ou du néocolonialisme selon ses détracteurs, le fils de Joal était surtout un poète réaliste qui a douloureusement fait le rapport de force et en a fait une sorte de religion intérieure qu’il portera tout le long de son régne. Les chants pour une civilisation de l’universel ont par la suite repoussé les horizons de la la négritude, ce concept césairien qui n’était, au tout début, que «la simple reconnaissance du fait d’être noir ».
Grâce au mouvement parisien de l’Etudiant noir, le stigmate de l’expression «nègre » s’est transformé en emblème récusé par la génération qui a succédé à Senghor. «Le tigre ne proclame pas sa tigritude, il bondit sur sa proie et la mange » lance un Wolé Soyninka, cette volubile plume nigériane, qui a créé un courant profond dans l’écriture noire en racontant dans ses œuvres la vie de tous les jours sans se reférer à la «souffrance noire».
C’est Wolé Soyninka qui sera couronné par le Prix Nobel de Littérature, honneur qui fuira toujours l’écrivain sénégalais doublé de l ‘homme politique qui ne partageait pas la même vision qu’un Cheikh Anta Diop. De là vient sans doute une césure entre l’admirateur du «discours de la méthode » et les écrivains africains plus prosaïques et moins métissés. Le Premier festival des arts nègres, cette fresque vivante organisée à Dakar en 1966, dans ses dimensions culturelles et politiques, restera l’œuvre majeure que Senghor a légué à ses compatriotes.