Par Florent Gbongué *
*Florent Gbongué est doctorant à l’ISFA et chef de projet Risk-Management à la SIB– groupe ATTIJARIWAFA BANK. Contact : florent.gbongue@gmail.com
En Afrique subsaharienne francophone, le système bancaire est en plein essor grâce à l’apparition de groupes qui adoptent une stratégie agressive du marché. Le taux de bancarisation avoisinant 10 % présage des perspectives de croissance du secteur. Toutefois, cette mutation doit s’accompagner d’outils de gestion des risques efficaces en adéquation avec la stratégie de la banque, de la réglementation bancaire locale et de la réglementation Bâloise. Ces outils de gestion des risques sont d’une part une exigence de la réglementation locale et d’autre part un moyen d’accompagnement de la stratégie de la banque spécialement dans le financement des PME-TPE qui représente une population à haut risque. Dans l’espace UMOA[1], la pertinence de cette question se résume à l’article 18 de la circulaire n° 003-2011 / CB / C relative à l’organisation du système de contrôle interne des établissements de crédit de l’UMOA. En zone CEMAC, elle est abordée à l’article 29 du règlement COBAC R-2001 / 07
Après l’indépendance, le secteur bancaire africain comprenait uniquement les banques européennes. Il a fallu attendre les années 1980 pour voir apparaître les banques locales. Il s’est ensuite fortement dégradé à cause des grandes difficultés qu’ont connues les banques étatiques et du repli partiel des grands groupes étrangers. Après les crises généralisées de liquidité et de solvabilité des années 1970 et 1980, le secteur bancaire africain a connu de profondes mutations. Tandis que certaines banques européennes quittaient l’Afrique (Crédit agricole), parallèlement, des groupes locaux, régionaux et multirégionaux se sont progressivement transformés respectivement en groupes régionaux et en groupes bancaires panafricains, grâce à l’émergence de marchés régionaux et de leur intégration financière (cf. Beck et al [2009]). Aujourd’hui, le secteur bancaire est donc dominé par trois types d’acteurs à savoir les banques européennes (la Société Générale, BNP, Barclays), les banques panafricaines à capitaux essentiellement africains et diversifiés (STANDARD BANK GROUP, ATTIJARIWAFA BANK, ECOBANK, GROUPE BMCE-BOA, UBA, ACCES BANK, GROUPE BOA) et les banques multirégionales et régionales affichant une stratégie d’expansion opportuniste comme le GROUPE BGFI BANK. AFRILAND FIRST GROUP, DIAMOND BANK GROUP, etc.
Pendant que certaines banques européennes adoptent une position attentiste accentuée par une certaine aversion au risque, conséquence des nouvelles normes réglementaires que doivent respecter leurs maisons-mères, les banques panafricaines, régionales et locales affichent une stratégie plus agressive. Ainsi, elles cherchent à pénétrer de nouveaux segments de marché (PME) et à toucher des cibles jusque-là exclues du système bancaire (populations rurales). Ainsi, elles déploient des services innovants (e-banking), développement de solutions monétiques, etc.). Elles développent leur réseau commercial en multipliant les agences et conçoivent des produits adaptés à leurs segments de clientèle, etc.
Le dynamisme du secteur bancaire est soutenu principalement par la stabilité politique, la croissance de l’économie, la qualité de l’environnement des affaires. Selon la banque africaine de développement, l’Afrique a conservé en 2013 un taux de croissance moyen d’environ 4 % – une performance supérieure à celle de l’économie mondiale (3 %). Cette croissance devrait s’accélérer à cause de la résilience du continent face aux turbulences internationales et régionales observées ces années précédentes, poussant la BAD à anticiper un taux de croissance moyen respectivement de 5 %, 6 % en 2014 et 2015. Il est aussi soutenu par une bonne régulation du secteur.
Ces dernières années, nous assistons à une évolution des comportements et des modifications structurelles aboutissant à la création des commissions bancaires et la mise en place d’un meilleur suivi des risques de contrepartie dans la plupart des banques commerciales (cf. DERREUMAUX [2013]).
A titre d’exemple, nous pouvons citer la commission bancaire de la zone UEMOA et celle de la zone CEMAC qui assure la surveillance du système financier de l’Afrique de l’Ouest et de l’Afrique centrale. Toutefois, des efforts restent à faire pour améliorer la gestion des banques et la régulation du système bancaire. Nous pensons notamment à l’application des règles de surveillance bancaire internationales (les normes de Bâle II, les règles internationales d’information financière (IFRS)).
Au niveau du dispositif Bâle II, les commissions bancaires de l’UEMOA et de la CEMAC préparent leurs banques à son application en élaborant une série de questions à leur attention dont les réponses permettront d’apprécier l’état d’avancement. Enfin, la concurrence bancaire doit être encouragée pour favoriser l’innovation financière en Afrique (cf. BECK [2013]).
- Le pilotage technique des risques des banques subsahariennes francophones
Le pilotage technique est un ensemble d’outils (conçus à partir de modèles mathématiques) dont le but est de quantifier les conséquences financières d’un événement incertain et d’évaluer le capital requis pour en faire face. C’est un moyen de création de valeur pour toute entreprise soumise à des risques liés à ses activités.
- Panorama des risques bancaires dans la zone UEMOA / CEMAC
Avec des économies presque similaires, les banques de l’espace UEMOA et CEMAC présentent le même profil de risques, avec quelques petites différences. Pour les identifier, nous nous intéresserons à l’article 2 de la circulaire n° 003-2011 / CB / C et du règlement COBAC R-2001 / 07 relative à l’organisation du système de contrôle interne des établissements de crédit de l’UEMOA et de la CEMAC. Le tableau ci-dessous synthétise les risques observés dans chaque espace économique :
Risque de crédit | Risque de concentration | risque de marché | risque de liquidité | risque de taux d’intérêt global | risque de règlement | risque opérationnel | risque juridique | risque de non-conformité | Risque de change | |
UEMOA | x | x | x | x | x | x | x | x | x | |
CEMAC | x | x | x | x | x | x | x | x |
Nous avons énoncé supra les risques auxquels sont soumis les banques de la zone UEMOA / CEMAC en évoquant quelques différences. Si les établissements financiers de cette zone présentent un profil de risque légèrement différent, en revanche, elles sont soumises à trois principaux risques à savoir les risques de crédit, de liquidité et opérationnel. Nous appelons par « risque principal », tout risque provoquant des pertes financières importantes. En zone UEMOA / CEMAC, la majorité des pertes observées proviennent de ces risques principaux
Le risque de contrepartie
En Afrique subsaharienne francophone, les banques sont en majorité des banques commerciales, et l’octroi de crédit constitue leur activité principale. Il s’agit du risque le plus important auquel ces banques sont confrontées. Dans la réglementation du système financier de l’UMOA, ce risque est évoqué dans les articles 19 à 23 de la circulaire n° 003-2011 / CB / C. Toutefois, l’article 19 résume la vision ultime du régulateur. Elle stipule que : « Les établissements de crédit doivent disposer d’une procédure de gestion du risque de crédit qui tient compte du profil de risque de l’établissement et de politiques et procédures prudentes permettant l’identification, la mesure, le suivi et le contrôle du dit risque. L’appréciation du risque de contrepartie repose non seulement sur la situation financière du bénéficiaire, sa capacité de remboursement et le cas échéant, sur les garanties reçues, mais également, en ce qui concerne les entreprises, sur une analyse de l’environnement, de l’actionnariat et des dirigeants. ». Dans l’espace CEMAC, le risque de crédit est explicité dans les articles 34 à 38 du règlement COBAC R-2001 / 07. Dans la pratique, ce risque est observé sur les lignes de crédit de la banque. La décision d’octroi de crédit est prise principalement en analysant l’historique de la situation du client. Cette analyse porte généralement sur des éléments quantitatifs et qualitatifs en rapport avec la relation.
Le risque de liquidité
La crise des subprimes de 2007 nous a montré que les banques sont constamment confrontées au risque de liquidité, et le passage de Bâle II à Bâle III, intégrant principalement des ratios prudentiels de liquidité en ait une illustration. La zone UMOA / CEMAC ne déroge pas à la règle et la réglementation prudentielle de l’UMOA aborde la question à l’article 25 : « Les établissements de crédit doivent disposer de politiques et de procédures pour mesurer et gérer le risque de liquidité, sur une base permanente. Ils doivent à cet effet suivre leurs positions de liquidité au jour le jour et établir des plans d’urgence pour faire face à toute crise de liquidité, sur la base de différents scénarios … ». Quant à la zone CEMAC, le régulateur recommande aux banques de se doter d’un dispositif permettant à tout moment d’évaluer leur risque de liquidité. Ce dispositif doit permettre un suivi permanent des échéanciers des engagements ou des exigibilités de l’établissement en rapport avec la situation de marché et des ressources disponibles à chaque échéance. Les banques doivent s’assurer que leurs disponibilités couvrent en permanence leurs exigibilités (cf. Article 33 du règlement COBAC R-2001 / 07). En pratique, les établissements de crédit disposent d’une direction financière intégrant généralement une entité « trésorerie » chargée de gérer au jour le jour la liquidité de la banque, soit en trouvant de la liquidité pour la banque en cas d’indisponibilité, soit en trouvant des opportunités d’investissement en cas de surplus de liquidité.
Le risque opérationnel
Il fait partie des trois principaux risques auxquels sont confrontés les banques de la zone UMOA / CEMAC. En outre, la réglementation de l’UMOA définit le risque opérationnel à son article 26 comme suit : « En matière de gestion de risques opérationnels, les établissements de crédit doivent définir des politiques et procédures conformes à leur profil de risque et à l’évolution du marché. Ces mesures incluent de manière non limitative, une surveillance particulière des risques de fraudes et de détournements, une couverture adéquate des valeurs par des polices d’assurance, des plans de continuité et de reprise de l’activité en cas de sinistre majeur, un dispositif de sécurité physique et logique du système d’information et des infrastructures de télécommunication, ainsi qu’un encadrement précis des activités externalisées prévenant de manière efficace les pertes opérationnelles. Le risque juridique doit également être pris en compte dans les procédures de gestion du risque opérationnel.». En outre, ce risque n’est pas détaillé dans la réglementation prudentielle de la CEMAC. Cependant, les banques de l’espace UMOA / CEMAC sont fréquemment victime de ce risque dont les pertes sont souvent très importantes. Les causes proviennent principalement du non respect des procédures de la banque et le renforcement des dispositifs peut contribuer à la réduction de ce risque. De plus la qualité et le professionnalisme du personnel commercial et opérationnel laissent souvent à désirer ce qui engendre parfois des erreurs humaines graves. La source de perte la plus récurrente provient principalement des fraudes. Par conséquent, les banques de l’Afrique subsaharienne ont d’énormes progrès à réaliser dans ce sens car la banque d’aujourd’hui doit être capable de prévenir les fraudes (cf. DERREUMAUX [2013]).
Si les banques de l’espace UMOA / CEMAC disposent de dispositifs de contrôle interne, même si à ce niveau, beaucoup restent à faire pour améliorer leur efficacité, les efforts doivent être dorénavant mis sur la quantification des risques. Au regard de la réglementation locale, il s’agit d’une obligation pour les banques. Notons que l’article 18 de la circulaire n° 003-2011 / CB / C de l’UMOA recommande aux banques de l’Afrique de l’ouest, de disposer d’outils d’évaluation des risques adaptés à leurs activités dont le but est de déterminer la perte potentielle ou avérée, ainsi que tout dommage d’une autre nature, que leur réalisation pourrait engendrer. Quant à l’article 29 du règlement COBAC R-2001 / 07, elle contraint aussi les établissements de crédit de l’Afrique centrale à mettre en place des systèmes d’analyse et de mesure des risques en les adaptant à la nature et au volume de leurs opérations afin d’appréhender les risques de différentes natures auxquels ces opérations les exposent et notamment les risques de crédit, de taux d’intérêt, de règlement, d’illiquidité et de marché. Les outils de gestion des risques dont les banques ont besoin dans l’urgence sont les systèmes de notation interne, les modèles de gestion actif-passif et de quantification du risque opérationnel, que nous verrons plus bas.
Systèmes de notation interne
Pour répondre aux exigences de leur réglementation locale, les banques de la zone UEMOA / CEMAC doivent être capable de mesurer leur risque de crédit en estimant trois paramètres de risque en occurrence la probabilité de défaut (PD), la perte étant donné le défaut (Loss given default (LGD)) et l’exposition au défaut (Exposure at default (EAD)) (cf. ENGELMANN ET RAUHMEIER [2006]) au moyen des systèmes de notation interne. Actuellement, les banques maghrébines estiment la probabilité de défaut de leurs contreparties grâce au rôle important joué par leurs banques centrales dans la mise en application du dispositif Bâle II. En outre, les réflexions sur l’estimation des paramètres de risque n’ont pas encore démarré dans la zone UEMOA / CEMAC. Ces banques cherchent plutôt à mettre en place un dispositif de notation interne basé sur une approche « scorecard » (cf. SIDDIQI [2006]). L’analyse de la situation actuelle dans la zone UEMOA / CEMAC montre que les systèmes de notation interne existent dans les filiales des banques européennes et panafricaines (Société Général, BNP PARIBAS, ECOBANK, ATTIJARIWAFA BANK). Toutefois, Ce projet est en cours de réflexion dans certains groupes régionaux et locaux sous la pression de leur commission bancaire.
Modèles de gestion actif-passif
Le modèle de gestion actif-passif est le second outil de gestion des risques. Il permet de maîtriser le risque de liquidité et de taux de la banque. Connu sous le nom de « Asset Liability Management (ALM) », il est utilisé dans les banques occidentales. Cette pratique est rarement appliquée dans les banques de l’Afrique subsaharienne francophone. En pratique, l’utilisation des modèles ALM ne pourra se faire qu’avec l’impulsion du régulateur (les commissions bancaires). Nos banques ont beaucoup à gagner en développement ces outils qui sont une source indéniable de création de valeur en ce sens qu’ils pourront d’une part contribuer à réduire l’impact du risque et d’autre part, ils serviront à tarifier leurs produits.
Modèles de quantification du risque opérationnel
Les réglementations de l’UEMOA et de la CEMAC ne sont pas explicites sur les aspects quantitatifs du risque opérationnel, en revanche leurs banques doivent être capables de le prévenir et d’estimer sa perte espérée, afin de calculer un capital risque agrégé adapté à leur profil de risque et in fine le ratio McDonough, leur permettant ainsi de se conformer à l’esprit de Bâle II. Le dispositif Bâle II propose trois méthodes de calcul des exigences de fonds propres au titre du risque opérationnel : l’approche simple (Basic Indicator Approach ou BIA), l’approche standard (TSA) et l’approche mesure avancée (AMA). Sur ce dernier point, le lecteur pourra se référer à PANJER [2006] pour le développement d’un modèle interne relatif au risque opérationnel
Le système bancaire en Afrique subsaharienne francophone a connu de nombreuses mutations depuis les indépendances. Malgré ces avancées importantes, les banques sont exposées à des positions de risques élevés pouvant mettre en péril leur solvabilité. Elles sont aussi confrontées à de nombreux défis (le financement des PME, le financement de l’habitat, la bancassurance, le E-banking, etc.). De plus, les banques doivent accentuer leur rôle dans le développement des entreprises en mettant à leur disposition, une panoplie d’instruments financiers (capital-investissement). Elles doivent être encore capable par l’innovation de développer la banque de détail en pénétrant les segments non encore bancarisés notamment celles des zones rurales et à facilitant aussi les financements de masse. Pour être au rendez-vous de ces challenges supra, le risque doit être dorénavant au cœur du management de ces banques comme c’est le cas dans les pays du Maghreb. Le pilotage technique est une solution incontournable dans la réalisation de ces challenges. De plus, il répond aux normes de la réglementation locale et par extension aux règles internationales du dispositif de Bâle II, permettant de mettre en place des outils capables de capter efficacement la dynamique des risques de crédit, de liquidité et opérationnel.
Nécessité de recruter des experts du risque dans les banques subsahariennes francophones.
La conception de ces outils doit être faite par des spécialistes du domaine. Ainsi, les actuaires et les Risk-Managers ont un rôle très important à jouer. Le paysage bancaire a évolué en ce sens que la banque d’hier n’est plus la banque d’aujourd’hui, par conséquent, les banques doivent songer à recruter des experts du risque autour d’une entité Risk-Management dont le but sera de répondre aux exigences quantitatives de la réglementation locale comme c’est le cas dans les banques des pays développés.
[1] L’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) était une zone monétaire regroupant sept pays d’Afrique de l’Ouest : la Côte d’Ivoire, le Dahomey (Bénin), la Haute-Volta (Burkina Faso), le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Sénégal. Elle fut créée le 12 mai 1962. Le 10 janvier 1994 elle fut remplacée par l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).