« Le lestage de la charge fiscale supportée par les entreprises affaiblit leur capacités d’investissement »
La Côte d’Ivoire fait le pari d’une croissance à deux chiffres en 2015. La loi de finances table sur un taux de 10% en 2015 (contre une estimation de 9% en 2014) tiré principalement par les investissements. Joseph-Désiré Biley, président de l’influente Fédération Nationale des Industries et Services de Côte d’Ivoire (FNISCI), commente pour Financial Afrik, le budget 2015 de son pays. Interview…
Monsieur le Président de la FNISCI, le budget 2015 de la Côte d’Ivoire s’équilibre en ressources et en charges à 5 014,33 milliards de francs CFA. Quelle lecture la FNISCI fait-elle de ce document ?
Le budget 2015 exhale un parfum d’optimisme. Il y transparaît l’ambition du gouvernement ivoirien de donner de la vigueur à la forte croissance qu’enregistre le pays. A cet effet, l’objectif de croissance fixé est donc de 10%. Dans cette logique, le budget de l’Etat pour l’exercice commençant est en hausse de 13,8% par rapport à l’année dernière à 5 014,33 milliards de FCFA,. Le gouvernement justifie cette augmentation d’enveloppe par la poursuite d’actions de renforcement des infrastructures socio-économiques de base, de promotion de l’emploi, d’amélioration de l’offre de santé et d’éducation ainsi que d’appui au développement du secteur agricole.
En relation avec ces actions, nous notons un accroissement des dépenses d’investissement de 14,57% à environ 1 500 milliards et une augmentation des dépenses de personnel de la même amplitude à 1 347,44 milliards. Et, pour financer ces charges, la dette publique et les autres dépenses, le gouvernement table sur des recettes fiscales globales de 2 754 milliards. Une perspective qui fait craindre au secteur industriel, un alourdissement de la charge fiscale que vont devoir supporter à titre principal, malheureusement, les seules entreprises du secteur formel.
Qu’est ce qui fonde cette crainte d’autant que la pression fiscale en Côte d’Ivoire est en deçà de la norme de 17% du Pib au sein de l’Uemoa?
Comme nous le faisions remarquer tantôt, l’évolution du budget se note principalement au niveau de l’accroissement des charges de personnel et des dépenses d’investissement. Evidemment que cela induit insidieusement une hausse des besoins financiers de l’Etat, dont la couverture reste assurée, année après année, par la perception d’impôts. Le lestage de la charge fiscale supportée par les entreprises, corollaire de cette situation, obère la compétitivité des entreprises industrielles particulièrement et rogne leur marge d’autofinancement avec, au final, un affaiblissement des capacités réelles d’investissement de ces dernières. La question n’est pas de dire que le taux de pression fiscale demeure en deçà des 17% du Pib qui est la norme communautaire dans l’espace Uemoa. Car, en terme réel, c’est un lourd fardeau pour les entreprises.
L’annexe fiscale pour la gestion 2015, n’institue cependant pas de nouveaux impôts ?
Effectivement ! Seulement ne pas instituer de nouvelles taxes n’est pas synonyme de réduction ou de stabilité des charges fiscales. C’est là le piège de cette situation. Car les aménagements d’impôts existants, -sous les formes de réajustements de taux, d’élargissement de l’assiette, et/ou de fixation de valeurs plancher-, qui sont opérés par l’administration fiscale aboutissent au même résultat que la création de nouveaux impôts : le renchérissement de la charge fiscale supportée par les entreprises. La raison étant, que ces « liftings » fiscaux sont motivés plus généralement, d’abord et avant tout, par un souci d’accroissement des ressources de l’Etat.
Bon an, mal an, les recettes fiscales constituent en moyenne 69% des ressources domestiques du budget de l’Etat. A priori, cela n’est nullement une mauvaise chose en soi. Seulement il est une réalité de l’économie ivoirienne qui veut que les impôts directs soient la principale source des recettes fiscales de l’Etat dans un contexte où un large pan de cette économie échappe à la fiscalité. Dans ces circonstances, les aménagements divers d’impôts auxquels le gouvernement recourt de plus en plus soumettent les entreprises du secteur formel à une forte charge fiscale qui, d’une manière ou d’une autre, amenuise leur capacité d’investissement, voire de création d’emploi.
L’annexe fiscale 2015 n’adresse pas moins, pour autant, des préoccupations particulières, sommes toutes, essentielles du secteur industriel?
Comparativement aux années 2013 et 2014, l’annexe fiscale 2015 est d’un bien meilleur cru, pourrait-on dire, pour le secteur privé, il faut en convenir. D’ailleurs nous apprécions à sa juste valeur, l’effort du gouvernement, particulièrement du ministre en charge du budget, qui courant juillet dernier avait reçu en séance de travail des délégations du secteur privé, notamment le patronat ivoirien et la FNISCI, à cet effet. Certes, quelques-unes des préoccupations des entreprises, -notamment en matière de remboursement des crédits de TVA, d’ajustement de l’impôt foncier a la charge des entreprises de promotion immobilière, de renforcement des garanties accordées aux contribuables en matière de recours contentieux, ou d’élargissement à tous les secteur d’activité de l’économie nationale, du bénéfice d’exonération de TVA pour les biens acquis par crédit-bail dont jouissaient préalablement les seuls professionnels des secteurs agricole et agro-alimentaire-, sont effectivement adressé par l’annexe fiscale pour la gestion 2015. Pour autant, ces mesures sont-elles suffisantes ? Bien entendu que non. La préoccupation fondamentale du secteur industriel, qui est aussi celle de l’ensemble du secteur privé ivoirien, d’un équilibre optimal entre dispositions favorables à l’entreprise et à l’investissement et mesures visant à assurer des recettes appropriées à l’Etat pour lui permettre de financer les investissements publics, demeure malheureusement entière.
Doit-on comprendre que la FNISCI subodore de réels risques que les prévisions gouvernementales d’un taux d’investissement global de l’ordre de 17% du Pib en 2015, ne se réalisent pas ?
Nous disons, à priori, non ! Le montant global des investissements projeté par le gouvernement en 2015 est de l’ordre de 3 260,43 milliards de FCFA. Moins de 8% de ces investissements vont être assurés par l’Etat dans le cadre du financement des chantiers publics. Le reste devrait provenir du secteur privé. La dynamique économique affichée par la Côte d’Ivoire, incline plutôt à dire qu’il n’y a pas de gros risque que les projections d’investissement, tant public que privé, en 2015 ne soient pas réalisées, voire même dépassées en ce qui concerne le secteur privé. Surtout que dans les secteurs manufacturiers et de la construction, les tendances au cours des deux dernières années montrent clairement un renforcement des capacités productives.
Le vrai challenge de l’investissement, de l’analyse de la FNISCI, n’est pas celui du terme immédiat. La FNISCI l’appréhende plutôt à l’aune de l’ambition légitime affirmée par le Côte d’Ivoire d’être, dans cinq ans, soit en 2020, un pays émergent ! Et dans cette perspective-là, un système fiscal dont la sève nourricière principale est son portefeuille d’impôts directs, -ce qui l’amène fatalement, à considérer les entreprises d’abord et avant tout comme des sources de recettes fiscales-, ne peut faire durablement le lit de la croissance forte, vigoureuse, continue et inclusive nécessaire pour que la Côte d’Ivoire réalise son ambition.
C’est-à-dire en clair ?
C’est-à-dire en clair que, nous avons un défi à relever, sans attendre plus longtemps : celui de trouver cet équilibre optimal dont je parlais tantôt entre un système fiscal qui soit favorable à l’entreprise et à l’investissement, tout en dégageant suffisamment de recettes pour financer les investissements publics qui contribuent au développement local, national et à l’attractivité de l’économie.
En effet, l’investissement public qui alimente notablement à la croissance économique ivoirienne depuis quatre ans, va aller s’amenuisant à partir de 2017. Et obérer, dans ce contexte, les capacités d’investissement des entreprises au travers d’une fiscalité à très forte inclinaison accroissement des rendements des impôts directs, pose, à moyen et long termes, une hypothèque plutôt sérieuse, de notre point de vue, sur l’atteinte du cap économique que s’est fixé le pays. Il s’agit d’un défi posé non pas aux seuls pouvoirs publics ivoiriens, mais avec lui, aussi au secteur privé. Le gouvernement en a la claire conscience qui a commis une commission spéciale pour tracer les sillons de la nécessaire réforme du système fiscal ivoirien. La FNISCI veut juste espérer que le travail de qualité fait par cette commission sous la présidence de l’émérite fiscaliste, Lambert Kessé Féh, connaisse une mise en œuvre diligente dès ses conclusions officiellement remises au gouvernement.
2020, c’est tout juste dans cinq ans, comme vous l’indiquiez tantôt. Pensez-vous que la Côte d’Ivoire puisse tenir son pari d’être un pays émergent à cette échéance ?
Avec la volonté tout est possible. Une économie émergente est le plus souvent caractérisée par certains critères : une forte contribution à la croissance économique mondiale, une économie diversifiée qui ne repose pas sur l’exportation de matières premières brutes, une amélioration des conditions de vie de la population, une participation active aux échanges internationaux, l’influence diplomatique… Evidement que la Côte d’Ivoire le voudrait qu’elle ne pourrait objectivement satisfaire tous ses critères au cours des cinq années qui nous séparent de 2020.
Mais le défi de l’émergence en 2020 est tenable par la dynamique du PIB du pays. Les projections budgétaires tablent sur une croissance de 10% cette année. Il faudra, à tout le moins maintenir ce cap au cours des prochaines années. Cela est dans nos moyens. Il faut juste, entre autres prérequis, favoriser le développement d’un secteur privé dynamique et très compétitif, en libérant, par la mise en place d’un écosystème fiscal et réglementaire incitatif, les capacités internes à l’épargne et à l’investissement. Les projections dans le cadre de la programmation budgétaire et économique pluriannuelle de la Côte d’Ivoire pour la période 2015 – 2017 font apparaître une croissance moyenne annuelle du Pib nominal du pays de 12%. C’est dire si, le pays dispose d’atouts réels pour réaliser un pan cette ambition dont, la première affirmation ouverte, date de la période 1998/1999.
Propos recueillis à Àbidjan par Arthur Kouadio