Par Dov Zerah
La semaine dernière, je vous ai parlé du Brésil. Aujourd’hui, je vais vous entretenir de l’Afrique du Sud. La croissance sud-africaine, comme celle brésilienne est en retrait par rapport à celle des années quatre-vingt-dix et deux mille. Tel est également le cas des trois autres BRICS, à savoir la Chine, l’Inde et la Russie.
D’une manière générale, le repli de la croissance dans ces pays a entrainé une atonie de la croissance mondiale. L’Afrique du Sud démontre comme le Brésil que cette diminution de la tendance de croissance n’est pas seulement conjoncturelle, mais structurelle, le modèle de développement de chacun de ces pays ayant atteint ses limites.
Les années à 5% ont permis à l’Afrique du Sud d’être un maillon important de la chaîne de valeur minière mondiale, un fournisseur mondial de composants automobiles (sièges et pots catalytiques), un acteur régional majeur pour les services financiers et le commerce de détail….de devenir un pays émergent !
Mais la croissance est passée de 2,5% en 2012, à 1,9% en 2013, 1,1% en 2014, et pour 2015, une croissance de 1,8% est attendue. Mais, rien n’est moins sûr.
Le ralentissement économique est principalement imputé aux grèves qui ont affecté les mines, la métallurgie et l’industrie manufacturière en 2013-2014, à la baisse du prix des matières premières, ainsi qu’à la situation économique mondiale.
Le nouveau gouverneur de la Banque centrale n’a pas hésité à déclarer : «Les perspectives de croissance en Afrique du Sud restent sombres (…) et il y a un risque modéré de les revoir à la baisse».
De son côté, le nouveau ministre des Finances a déclaré, le 13 novembre 2014, que le pays allait connaître deux années « difficiles » et « douloureuses » pour retrouver une situation saine des finances publiques soutenir ses projets d’investissements. «Du fait de la consolidation de nos finances publiques, nous n’allons pas nous montrer faciles. Nous réduisons les dépenses, c’est-à-dire la croissance des dépenses, pas l’austérité, car nous voulons retrouver de la marge de manœuvre… nous avons juste besoin de deux ans pour retrouver la marge de manœuvre financière perdue à cause de la crise. Ce sera douloureux pendant deux ans, mais une fois retrouvée la marge de manœuvre financière, nous devrions être à nouveau sur les rails et capable de financer l’investissement avec les ressources adéquates», a-t-il ajouté.
Même le Président Jacob Zuma a reconnu que les problèmes nationaux et internationaux allaient empêcher d’atteindre l’objectif d’une croissance économique de 5%. Or, l’Afrique du Sud a besoin d’une croissance durable de 6 à 7% sur plusieurs années pour réduire un taux de chômage de 25%, de 65% des 15-24 ans.
Au-delà d’une baisse de la croissance, le pays est confronté à de fortes tensions inflationnistes depuis plusieurs années : 5,7% en 2012, 5,8 en 2013, 6,3 en 2014. En 2015, elle devrait être inférieure au plafond de 6% fixé par la banque centrale, mais rien n’est moins sûr compte tenu de la hausse des tarifs publics, notamment de l’électricité (+13% prévus en avril 2015).
Le pays doit faire face à des déficits jumeaux :
– le déficit budgétaire est passé de 4,3% du PIB en 2012 à 4,9% en 2014, et devrait dépasser les 5% en 2015. Malgré ces dérapages budgétaires, l’endettement public est encore inférieur à 50% du PIB.
– le déficit des comptes courants est passé de 5,2% en 2012 à, 6% en 2014, et devrait diminuer à 5% en 2015. La devise sud-africaine, le rand, s’est fortement déprécié, ce qui devrait permettre un redémarrage des exportations.
Mais l’Afrique du Sud est surtout confrontée à de graves problèmes structurels dus notamment à un manque d’infrastructures dans tous les domaines : ports, transports urbains et interurbains, gestion des déchets tant liquides que solides, et surtout dans la production d’électricité.
Bien que disposant avec ESKOM, d’une compagnie de stature internationale, l’Afrique du Sud doit faire face à deux problèmes : une capacité de production insuffisante, ce qui entraine des délestages réguliers dans les grandes villes, et une dépendance trop forte à l’égard du charbon, ce qui crée de gros problèmes environnementaux. L’achèvement de la centrale électrique de Medupi devrait soulager la situation. Le Président Jacob Zuma a déclaré qu’Eskom avait reçu instruction de passer du diésel au gaz comme source d’énergie, et que le pays se tournera à l’avenir vers les énergies renouvelables, dont l’énergie nucléaire. L’Etat s’est engagé à soutenir ESKOM par une injection de capital, pour conforter sa situation financière fragilisée par plus de 20 Mds$.
Les secteurs industriels qui ont souffert de longs mois de grèves, devraient remonter la pente. Mais rien n’est moins sûr, car il faudrait dépasser les obstacles résultant de la pénurie de main d’œuvre qualifiée, d’un secteur public composé de plusieurs entreprises en difficultés, d’une administration inefficace, de la criminalité et de la corruption qui handicapent le climat des affaires.
Au-delà de l’environnement général pour les entreprises, c’est plus globalement le pacte social post apartheid qui est de plus en plus contesté. La persistance du chômage, l’accentuation des inégalités sociales, la généralisation de la pauvreté suscitent une contestation profonde qui s’est manifestée avec les mouvements de grève, mais également les incertitudes politiques… des incertitudes qui se sont traduites par des incidents comme celui de novembre 2014 qui a entrainé l’intervention de la police pour calmer un opposant qui avait violemment pris à parti le président au Parlement.
Les conflits sociaux qui ont secoué l’Afrique du Sud en 2012 ont certes perdu de leur violence en 2013 mais se sont poursuivis en 2014, et ont touché de nombreux secteurs, avec de lourdes conséquences pour les relations entre employeurs et salariés. Un véritable redémarrage de l’économie sud-africaine exige un rétablissement de la confiance entre employeurs et salariés, et plus globalement une redéfinition du pacte social.
Dov ZERAH