Par Guy Gweth *
Au 1er mars 2015, trois Etats sur cinq dans le monde ont une stratégie africaine assumée. Comme pour la plupart des femmes, c’est à l’annonce de ses fiançailles que les prétendants se bousculent. L’Afrique qu’ils ont négligée est devenue leur pierre d’angle.
Des petites aux grandes puissances, des petits aux grands émergents, 60% des pays non africains dans le monde sont en possession d’un document présentant leur stratégie africaine au 1er mars 2015. Ce chiffre devrait dépasser les 80% d’ici 2020, d’après nos estimations. De Coca-Cola à Nestlé, de L’Oréal à Carrefour, de China Telecom à Bank of America en passant par PwC, Rio Tinto ou Glencore-Xtrata, etc., ce désir d’Afrique est matérialisé dans des plans stratégiques dont les mots-clés sont : «avenir», «croissance», «marché», «commerce», «partenariat».
L’attractivité de l’Afrique à l’égard des multinationales et des investisseurs étrangers est donc partie pour durer. Elle va en s’améliorant. Malgré les contraintes, la plupart des gouvernements ne ménagent aucun effort pour créer, promouvoir et vendre leur «marque-pays». La Banque mondiale estime que cinq économies sur les dix meilleurs pays réformateurs entre 2013 et 2014 sont situées en Afrique subsaharienne. «La région, affirme la Banque, représente également le plus grand nombre de réformes facilitant la pratique des affaires dans cet intervalle».
Témoins de cet intérêt : les médias. Au cours des trois dernières années, l’Afrique a vu naître «CCTV Africa», «Forbes Africa», «Deutsche Welle Africa», «Le Point Afrique» ou encore «Le Monde Afrique»… A la suite des jeunes pousses comme «Financial Afrik», «Ventures Africa» ou «Agence Ecofin», ils se sont engouffrés dans le numérique d’influence. Une petite allusion à un blogueur africain et c’est toute la blogosphère tropicale qui s’enflamme. Certains surfent sur l’égo des «idiots utiles» pour répandre leur influence en Afrique de manière virale.
Malgré leur ancrage, leurs réseaux et leur influence remarquables, de vieilles dames comme «Jeune Afrique», «RFI» et quelques-unes de leurs cadettes telles que «CNBC Africa» ou «Les Afriques» doivent absolument innover pour résister à l’assaut des autres grands médias internationaux subitement touchés par le désir d’Afrique. La bataille finale qui s’annonce sur le web va certainement se solder par de grands regroupements. L’Afrique devra y trouver sa place, pas simplement comme consommatrice, mais aussi productrice de contenus essentiels.
La faille, c’est que les Africains sont les derniers à mesurer la place accrue du continent dans l’échiquier économique mondial. Très honorés de répondre présents aux Sommets bilatéraux ou multilatéraux à l’étranger, les décideurs africains du siècle dernier repoussent l’idée d’un «Sommet Afrique-Afrique» visant à analyser le subit intérêt porté au continent afin d’en tirer une stratégie commune. Il leur manque deux clés : l’amour et la confiance, cette «institution invisible qui régit le développement économique», selon le bon mot de Kenneth Arrow.
Heureusement, plus un sursaut n’est impossible en Afrique. Un vent de démocratie numérique souffle sur le continent, porté par le mobile, qui peut tout remettre à plat du jour au lendemain. Ceux qui étoufferont cette révolution pacifique rendront inévitables les révolutions violentes. Désormais, l’Afrique peut croire en l’instant psychologique où sa jeunesse changera de logiciel sans crier gare. Elle peut croire en sa capacité à effacer le disque dur de la dictature et de la colonisation mentale. Elle peut croire que la génération actuelle verra et vivra cet avènement.
Les vieux «sages» qui, malgré leur «afro-optimisme» de salon, continuent de jurer par la supériorité de l’Etranger seront partis d’ici 2025. Il faut travailler à tout désinfecter pour que les plus jeunes n’en soient pas contaminés. Une rude bataille a lieu actuellement à l’école, dans la production des connaissances et dans les médias. Il faut impérativement la remporter pour que les jeunes Africains deviennent eux-mêmes le changement qu’ils veulent voir en Afrique. En cas d’échec, l’histoire se maquillera et changera de vêtements pour mieux se reproduire.
Comme le prévoyait l’immortel Sankara, le plus important, c’est d’amener le peuple africain à «avoir confiance en lui-même, à comprendre que, finalement, il peut s’asseoir et écrire son développement ; il peut s’asseoir et écrire son bonheur ; il peut dire ce qu’il désire. Et en même temps, sentir quel est le prix à payer pour ce bonheur.» Une femme aussi consciente des défis qui l’attendent ne peut être que plus autonome et donc plus désirable. Si elle était l’avenir de l’homme, il faudrait repasser demain. L’Afrique est la pierre angulaire du présent.
*Guy Gweth est Responsable de « Doing Business in Africa » à l’Ecole Centrale de Paris et consultant en intelligence économique chez Knowdys Consulting Group: www.knowdys.com.
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