En ce 8 mars, s’il y a une catégorie sociale peu apte à revendiquer ses droits, c’est bien « la femme au foyer ». Quand ce statut est assumé, il n’a rien de victimaire. Après tout l’on a dénombré 7300 propriétaires de comptes de la banque HSBC dont la profession indique « femme au foyer ». La princesse saoudienne Lolowah al-Faisal al-Saud, vice-présidente du conseil d’administration de la première université privée pour les femmes en Arabie saoudite, arbore fièrement ce statut de femme au foyer. Idem pour cette mystérieuse camerounaise, femme au foyer, qui détiendrait 3 millions de dollars dans les comptes de la banque HSBC.
En Afrique, dit l’adage, la femme au foyer, illetrée ou non, gère les comptes du ménage comme le ministère des Finances et les entrées et sorties comme le ministère de l’Intérieur. « Je suis directrice générale d’une banque et je gagne trois fois plus que mon mari. C’est pourtant lui qui dirige à la maison, en tant que chef de ménage », indique Bintou, malienne, la quarantaine épanouie, deux doctorats dans le CV, avec l’éternel regret d’une femme dont les nombreux déplacements professionnels ne lui ont pas permis de voir grandir les enfants.
Quant à Tako D, agriculteur sénégalaise, elle s’est mariée à 17 ans dans les années 70 puis s’est consacrée au petit commerce où elle s’est formée toute seule à la comptabilité, domaine où son mari, fonctionnaire municipal bien loti, ne comprenait rien. « Aujourd’hui, je suis à la tête d’une PME, j’emploie quinze personnes, mais je reste toujours femme au foyer aux côtés de mon mari, désormais retraité. A mon avis, la profession la plus noble reste l’éducation des enfants ».
A l’occasion de ce 8 mars, nous avons posé la question à une dizaine de femmes cadres du Maghreb, de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Le constat est unanime: la femme aspire à l’égalité avec son homologue masculin et à la liberté de choisir son destin. L’accès au foncier n’est pas encore garanti. Dans le droit coutumier de la vallée du Fleuve Sénégal (Mali, Mauritanie, Sénégal), la terre, liée au patronyme, non cessible, se transmet uniquement par la lignée paternelle. Cette vieille conception qui a résisté à la culture de la crue et de la décrue est ébranlée (mais tient toujours) par l’avénement de l’agriculture motorisée. L’irrigation et les efforts capitalistiques qu’elle exige a modifié le rapport de force social sans remettre en cause les pratiques socio-culturelles inégalitaires en matière d’héritage et d’accès au foncier. Cette dualité entre droit coutumier et droit moderne rythme la vie de la femme africaine actuelle.
Si elle n’est plus déposée en caution de bonne foi dans les grands traités entre royaumes (entre l’émir du Trarza et le Roi du Walo), la femme reste encore une valeur d’échanges à travers le mariage qui scelle, non seulement l’union des coeurs dans sa conception occidentale, mais aussi l’union des clans et la reproduction des pactes anciens. « Mon père exigeait 12 vaches pour ma dot. Il l’a obtenu d’arrache pied », raconte cette célèbre journaliste de l’extrême nord-camerounais, appartenant à une tribu chrétienne. « Je suis journaliste et aussi femme au foyer. Je m’occupe de mes enfants et de mon mari. Lui aussi s’occupe bien de nous. Les fonctions époux-épouses sont complémentaires. »
En fait, comment assurer les droits de la femme au foyer surtout quand elle est illetrée et dépendante financièrement de son mari? Celui-ci a le droit de prendre jusqu’à 4 femmes (droit musulman) selon des conditions difficiles à remplir et peut encore répudier en milieu traditionnel et semi-traditionnel. Le divorce qui suppose un tribunal et des frais d’avocat est dissuasif d’autant que, dans des milieux où le mariage est une affaire de clans, trainer son mari en justice, est synonyme de scandale et de déchéance sociale.
Femme au foyer: un mythe dévalorisant inventé par le féminisme radical?
En dépit des pesanteurs sociales, les jeunes femmes citadines, vivant dans des univers qui ont brouillé les pratiques claniques, se battent souvent pour obtenir la garde de l’enfant et une pension là où la société traditionnelle consacrait automatiquement la garde au mari. « Le féminisme à l’Occidental qui suppose l’interchangeabilité de l’homme et de la femme dans ses conceptions extrêmes ne me branche pas. Par contre, je suis pour l’égalité, c’est ce qui fera évoluer nos sociétés », rétorque Clarisse, cadre dans une société de vente de tissus Wax à Lomé.
L’introduction de la nouvelle Moudawana (code du statut personnel) dans un pays musulman comme le Maroc en 2004 a rééquilibré les rapports au sein du couple. La famille est placée désormais sous la responsabilité conjointe du mari et de la femme et non plus exclusivement sous celle du père. Le consentement de la première épouse devient obligatoire en cas de polygamie.
Dans l’ancien code, l’époux devait subvenir aux besoins de sa femme et celle-ci lui devait obéissance. Dans le code révisé, l’époux doit subvenir aux besoins du ménage et les deux époux doivent gérer mutuellement les affaires du foyer. En cas de divorce, le conjoint qui obtient la garde des enfants conserve la maison familiale. Notons que la possibilité pour la femme de transmettre sa nationalité à son conjoint, d’abord ignorée par le code revisé, n’a été rendue possible qu’en 2006 au terme d’une intense campagne.
Le diplôme ne fait pas le bonheur conjugal ?
Est-ce la connaissance de leurs droits qui font que les femmes diplômées ont du mal à trouver chaussure à leur pied ou à faire durer leur couple, s’interroge Nawal B, directrice d’une agence événémentielle, 40 ans, qui hésite encore à quitter le domicile familial ? « On peut fumer désormais en public, mais vivre seul dans un appartement en n’étant pas mariée attire les regards du voisinage », poursuit-elle.
Quant à M.N, journaliste tunisienne, elle a vu son mariage voler en éclats à cause des horaires « impossibles » et des voyages fréquents à l’étranger qui dérangeaient d’abord sa belle -mère. Celle-ci lui reprochait de ne pas être bonne cuisinière, ce qu’elle admet sans la moindre once de gêne. « Je n’ai rien contre la femme au foyer. J’estime seulement qu’on doit avoir le choix de l’être ou de ne pas l’être. Pour ma part, j’ai choisi de me consacrer à ma carrière ».
Le taux élevé de célibat des femmes dans la tranche 30-40 ans traduit-il une contradiction sociale irrésolue entre la femme moderne et une société qui se veut moderne mais où l’institution du mariage est encore régie par des reférences traditionnelles? Petite évolution au Maghreb cependant, l’institution des femmes imams en Algérie et au Maroc a démocratisé, du moins en théorie, l’accès aux institutions religieuses, ce qui est pour le moment impensable au Sénégal, au Mali et au Nigeria, bastions de l’islam noir.
Bien sûr, l’évolution des lois ne signifie pas évolution des mentaliés. Au Maroc, ceux qui militent pour la femme au foyer font légion. Citons le premier ministre marocain, Abdellilah Benkirane, qui estimait lors d’une séance plénière au parlement marocain en juin 2014 que « les femmes ont un rôle plus important à jouer dans leurs foyers pour l’éducation des enfants », proposant de donner aux nouvelles mamans un congé de maternité de deux ans.
Signalons que le premier ministre marocain, islamiste modéré du parti PJD, est soutenu par un français sur cinq qui estiment que la place de la femme est au foyer(sondage du ministère français des Affaires sociales, le DREES, publié ce 8 mars). Le même sondage révèle que les français des deux sexes estiment faire confiance à une femme infirmière plutôt qu’à la femme pilote, de quoi faire retourner Simone de Beauvoir dans sa tombe.
En France, la femme touche 20% de moins que l’homme dans des postes similaires, ce qui montre la forte résistance des mentalités face au droit. L’Académie française (99% d’hommes), gardien du temple de la littérature française, reste, elle, en dehors du temps. Tout d’ailleurs comme la majorité des conseils d’administration des banques, des compagnies d’assurance qui n’ont pas encore succombé à l’ère de la parité mécanique qui a vogue dans les parlements et qui ferait fuir des femmes de talent qui ne veulent pas être le produit de la promotion par les quotas.
Finalement, le statut le plus reconnu en Afrique c’est la femme au foyer, reproduit par les premières dames africaines qui s’occupent à leurs fondations et oeuvres de bienfaisance pendant que monsieur tient les rênes du pays. De sylvia Bongo Ondimba du Gabon à Marème Faye Sall du Sénégal, la junte féminine ne fait que reproduire des pratiques de division du travail largement entérinées par les traditions africaines.