Par Ndiakhat NGOM,
Le 1er mars dernier, une équipe de chercheurs de l’Institut français pour la recherche et le développement (IRD) a publié dans la revue « Comptes rendu de l’Académie américaine des sciences » (PNAS) des résultats qui confirment ce qu’on savait déjà en épistémologie des sciences biologiques et médicales : l’origine simiesque du virus VIH, c’est-à-dire sa transmission à partir du singe.
En fait, on avait identifié, depuis longtemps, chez près de 30 espèces de singes africains, des rétrovirus (virus de l’immunodéficience simienne, SIV) parents au virus de l’immunodéficience humaine (VIH). L’homme a 99% de lien génétique avec le singe bonobono, et 98% avec les grands singes (gorilles). On avait identifié (de façon certaine) 4 groupes différents du VIH. Les deux premiers (dont le VIH-1 M, responsable de 40 millions d’infection) et N, étaient connus, et ont pour réservoir biologique les chimpanzés. Restaient les deux autres.
L’équipe de l’IRD les a identifiés (groupes O et P) à partir de l’étude génétique des déjections de gorilles d’Afrique centrale. Au cours de l’évolution phylogénétique (histoire des êtres vivants), le SIV, non létal pour ses hôtes, est devenu pathogène lors de sa migration /mutation vers l’homme. Pour ce qui est du franchissement des barrières entre les deux espèces, l’hypothèse du « cut-hunter » (chasseur qui s’est coupé) ou « bushmeat theory » (théorie de la viande de brousse), en vogue depuis 15 ans, semble la plus probable.
Quant à l’homologie entre le VIH et le SIV, le séquençage génétique, via le principe de « l’horloge moléculaire », a montré que le transfert a eu lieu, probablement, dans une fourchette comprise, entre 1890 et 1940. Sur le comment ou la cause de la pandémie et de l’épidémie, c’est plus compliqué. Trois thèses s’affrontent, mais ne peuvent être dégagées du contexte colonial, voire racialiste (raciste ?) de leur époque.
La première est l’argument iatrogène (contamination médicale) qui voudrait que pendant la colonisation, l’Afrique était le laboratoire indiqué pour les puissances coloniales pour mener des recherches (époque des fameux chasseurs de virus) ou lutter contre certaines infections (maladie du sommeil, le pian). C’est l’époque de la « médecine de masse », avec les campagnes de vaccination ou de recueil de sang, sans aucun respect des lois bioéthiques.
Les seringues non stérilisées étaient à usage multiple. Le matériel à usage unique n’a commencé que dans les années 60. Des spécialistes, comme le primatologue Preston Marx, l’épidémiologiste Ernest Drucker et Jacques Leibovitch, en France, défendent cette thèse. Ed Hooper indexe, par exemple, les reins de chimpanzé utilisés pour préparer les vaccins oraux contre la polio.
L’argument culturaliste met l’accent sur la sociologie des mutations urbaines, et les us et coutumes africains. Mais revêt, par certains aspects, un côté lourd, voire raciste, en pointant l’idée d’une sexualité non contrôlée, voire débridée, des Africains. Ce qui aurait permis au virus d’embraser la ville. La colonisation aurait, en effet, désorganisé, déstructuré la famille africaine, des années 50, par l’ouverture des villages aux nouvelles villes (Léopoldville), la promiscuité, une population galopante, la prostitution intensive, etc.
Sans trop s’attarder sur le paramètre excessif de « l’hyper-hétéro-sexualité » défendu par certain, il est reconnu que la contamination du SIDA par le sang est plus efficace (meurtrière) que celle par la sexualité. Ce qui n’annule pas pour autant l’argument sexuel, mais minore sa puissance.
Enfin, il y a l’argument « complotiste », plus réactif, et qui reprend la thèse iatrogène, mais pour évoquer un dessein caché de limiter les naissances, voire perpétrer un « génocide doux », via des expériences scientifiques, comparables à celles du Docteur Wouters Bason, sous l’apartheid sud-africain.
L’ONUSIDA évoque (modérément) aujourd’hui une stagnation du nombre de malades, autour de 33 millions (avec près de 2 millions de décès par an, soit le double du paludisme). Mais à l’instar de l’Unesco et de l’Union européenne, l’Union africaine devrait installer une commission de bioéthique pour jouer un rôle d’alerte pour les maladies émergentes (Sida) ou réémergentes (Ebola).
Rappelons qu’en février 1927, le savant russe IIya Ivanov avait inséminé (sans résultat) deux femelles chimpanzés avec du sperme humain, pour avoir des hybrides. II pensait que la brousse africaine était le lieu de copulation débridée entre chimpanzés mâles et des femmes africaines, en vertu de son hypothèse foireuse de leur appartenance simiesque commune.
Aujourd’hui encore, des réflexions sur une bioéthique spécifiquement africaine devraient être une priorité politique absolue.
Ndiakhat Ngom
Professeur de philosophie et de sciences politiques
Ancien consultant à l’Unesco et à Amnesty International (France)
ndiakhatngom@gmail.com