Paul Derreumaux, économiste et banquier est le fondateur de Bank Of Africa dont il est le président d’honneur. Pour cet observateur averti de la vie financière du continent, un nouveau cycle d’élargissement devrait succèder à la phase de stabilisation actuelle observée dans le secteur bancaire.Interview:
En 2014, les stratégies ont plus porté sur la croissance organique et la rentabilité que sur la croissance externe. Sommes-nous à la fin d’un cycle ?
Il y a un peu de cela. Pendant les années 2005/2010, l’extension géographique des principales banques africaines s’est accélérée sous la double impulsion de la volonté de croissance des quelques réseaux existants, notamment ouest africains, et de l’entrée en lice de groupes marocains et nigérians qui s’implantaient alors en Afrique subsaharienne.
Ce fut l’époque de la «décompartimentalisation» des implantations et de la constitution de puissants groupes régionaux et, parfois, continentaux. Cela a représenté pour les investisseurs des mises de fonds très importantes, tant pour les acquisitions ou créations d’établissements que pour le développement des banques déjà en place. La priorité était donc ensuite de rationaliser, voire de restructurer, les nouveaux ensembles constitués pour en consolider l’organisation et la rentabilité. C’est l’étape que vivent actuellement les groupes les plus puissants. Un nouveau cycle d’élargissement devrait succéder à cette phase de stabilisation.
Les banques maghrébines, nigérianes sud-africaines et kenyanes manifestent une certaine volonté d’expansion dans leurs sous-régions respectives. Qu’est ce qui explique cet élan ?
Pour tous vos exemples, il y a deux raisons fondamentales : d’abord,
une croissance économique générale en Afrique qui accroît les opportunités; ensuite, l’approche régionale toujours plus marquée des entreprises, qui oblige les banques à suivre leurs clients. A cela s’ajoutent selon les cas divers éléments.
Pour les établissements du Nigéria, il s’agissait de développer très vite leur volume d’affaires par de nouvelles activités à l’étranger, pour rentabiliser l’augmentation massive de fonds propres imposée par leur Banque Centrale en 2005. Pour les banques marocaines, l’objectif était de trouver un relais de croissance future au marché national alors assez saturé, et un espace dans lequel elles pouvaient bien valoriser leur forte expérience. Pour les groupes kenyans, dont le marché local est à la fois très concurrentiel et sophistiqué, l’expansion régionale est une façon de profiter au mieux de leurs atouts pour devenir des acteurs significatifs dans une région bien intégrée.
On distingue environ 100 établissements bancaires dans la zone CFA. Cette multiplicité d’acteurs n’est-elle pas la raison de l’absence de grands champions régionaux ?
Si on parle du nombre d’établissements bancaires dans la zone CFA, Ouest et Centre inclus, le nombre doit être plus proche de 160. que de 100. Les années passées ont en effet coïncidé à un mouvement continu de création de nouvelles banques, qui se poursuit d’ailleurs. A l’heure présente, la concentration est déjà fort grande. Ainsi, en 2012 dans l’UEMOA, 11 groupes bancaires, qui détiennent 52 entités, représentent plus de 70% des bilans et des dépôts des 105 banques agréées dans cette zone monétaire. Parmi ces principaux acteurs, certains comme BANK OF AFRICA et Ecobank opèrent même largement au delà de l’Afrique francophone, et sont déjà de vrais groupes continentaux. Le principal
changement récent est qu’une large majorité du capital de ces leaders est souvent détenue par des actionnaires extérieurs à la zone .Il y a donc place pour de nouveaux champions dont le « tour de table » restera pour une part plus importante entre les mains d’actionnaires locaux.
En dépit de l’intérêt des grands groupes africains et internationaux pour le continent, le taux de bancarisation reste faible, tout comme d’ailleurs le taux de contribution des banques au financement de l’économie. Doit-on parler d’une spécificité africaine?
Je parlerais plutôt de spécificité du sous-développement car cette sous- bancarisation illustre surtout les difficultés d’accès des populations aux agences bancaires, ce qui caractérise essentiellement les pays et les
régions où la croissance économique a été jusqu’ici la plus faible et la moins bien répartie. L’Afrique est malheureusement une des plus mal loties en la matière, ce qui explique cette situation. Celle-ci s’améliore rapidement grâce aux nouvelles stratégies des groupes bancaires les plus dynamiques, mais le rattrapage connait une vitesse variable selon les zones. Des territoires comme l’Afrique francophone, qui sont les plus en retard, mettront un temps important avant de rejoindre la moyenne générale. Le mouvement devrait toutefois s’accélérer fortement avec les récentes possibilités offertes par le « mobile banking » initié par les sociétés de télécommunications : ce système pourrait à bref délai au moins doubler le nombre d’individus ayant un compte bancaire.
Quelles sont aujourd’hui vos nouvelles activités ?
Comme vous le savez, j’ai arrêté mes fonctions de Président Directeur Général du Groupe BANK OF AFRICA fin 2010. La plupart de mes mandats de Président ou d’Administrateur du réseau BANK OF AFRICA sont progressivement venus à échéance depuis cette date. J’en garde pour l’instant quelques-uns, et je reste aussi Président d’Honneur du Groupe. Je consacre avec un très grand
plaisir beaucoup plus de temps à ma famille et à des lobbys personnels comme l’écriture. J’ai notamment ouvert un blog (« Regard d’Afrique
») sur lequel je poste régulièrement des articles sur l’actualité bancaire
et économique africaine : j’espère que ma résidence permanente à Bamako donne à mes vues sur ces questions un éclairage particulier qui peut intéresser les lecteurs. J’ai aussi engagé progressivement depuis trois ans quelques autres activités qui progressent correctement et sur lesquelles je communiquerai sans doute avant fin 2015.
A propos
Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris et titulaire d’un DESS de sciences économiques, il commence sa carrière à l’Université de Lille, avant de rejoindre en 1976 la Côte d’Ivoire où il sera pendant trois ans conseiller au Ministère du Plan, puis conseiller au cabinet du Ministre de l’Économie, des Finances et du Plan. De retour en France pour quelques années, il n’en quitte pas pour autant le continent, travaillant quelques mois à la Caisse centrale de coopération économique, puis dans une société parisienne, où il est chargé du montage d’investissements en Afrique et du conseil économique auprès de gouvernements africains. À partir de 1982, il développera le réseau de la BANK OF AFRICA à partir de sa première implantation au Mali. Président Directeur Général du Groupe depuis sa création, Paul Derreumaux a quitté ses fonctions en janvier 2011. A cette date, le Groupe BANK OF AFRICA était implanté dans 14 pays d’Afrique Sub-Saharienne et en France.