Fondateur d’Ecosur Afrique, leader de la finance carbone sur le continent avec un portefeuille sous gestion de 44 projets MDP dont 23 en Afrique, Fabrice Le Saché est entrain d’adresser une lettre ouverte à la secrétaire générale de la CCNUCC (Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques)pour la sensibiliser sur les grands défis de l’Afrique en prélude du décisif COP 21 prévue à Paris vers la fin de cette année. La publication de cette lettre ouverte co-signée par des chefs d’Etat et de grands chefs d’entreprise est prévue pour le 15 mai. En attendant, Financial Afrik s’est entretenu avec Fabrice Le Saché. Exclusif.
Comment se présente aujourd’hui le marché des crédits carbone et qu’est-ce qui explique ses tendances baissières?
Le cours des crédits de carbone tutoie un niveau de quelques centimes d’euros depuis plus d’un an et demi, et ce en raison d’un déséquilibre structurel entre l’offre et la demande ; le volume de crédits de carbone émis par la Chine, l’Inde et le Brésil ont inondé le marché, conduisant un excédant massif qui ne peut être absorbé en l’état. S’agissant de la demande, celle-ci demeure atone, l’Union Européenne, premier acquéreur de crédits de carbone connaissant une croissance défaillante. En outre, un grand nombre d’industriels européens ont déjà utilisés les seuils d’importation de crédits de carbone à leur capacité maximale. D’autres raisons techniques expliquent ce décrochage des prix mais celles exprimées ci-avant sont, de mon point de vue, les plus significatives.
Vous accompagnez les entreprises dans la certification MDP. Qu’est-ce qui explique la modestie de la part africaine ?
L’Afrique représente un peu moins de 3% du volume de crédits de carbone mondial. Ce chiffre reflète mal la réalité du continent. De trop nombreux observateurs considèrent que le continent n’offre pas d’opportunités de réduction d’émissions CO2. Ce préjugé doit être combattu et un travail de pédagogie mené. Il existe un gisement de projets à forte valeur ajoutée environnementale et sociale qui pourrait générer de nombreux crédits de carbone. Les opportunités sont là : dissémination de technologies dites de base pyramide à destination des populations – fours de cuisson efficaces à charbon de bois, kits solaires photovoltaïques – évitement de la déforestation et replantations, énergies renouvelables, efficacité énergétique, traitement des déchets,.. la liste est longue. Notre groupe est une illustration frappante ce que j’évoque ; nous avons en quelques années accompagné plus de 40 projets dans 17 pays et commercialisé près de 30 Mio de crédits de carbone – un record sur le continent. Nous espérons que d’autres acteurs nous rejoidront pour construire un marché du carbone africain plus liquide et plus robuste. J’ajoute que la procédure, entièrement en anglais, ne facilite pas l’accès au marché pour les pays francophones. Langue officielle de l’ONU, le français est traitée comme une langue d’opérette ; on traduit les textes lors des différents sommets pour préserver les apparences ; dans les faits seul l’anglais prévaut comme langue de travail. Cela ne nous poserait aucun problème si ce monopole linguistique ne créait pas une distorsion de concurrence pour l’une des régions du monde qui a le plus besoin des revenus de la finance carbone pour s’adapter au dérèglement climatique.
Vous militez pour la fixation d’un prix minimum garanti pour les crédits carbone africains. Comment ce mécanisme devrait-il fonctionner ?
De façon très simple. Chaque crédit de carbone octroyé par l’ONU en contrepartie d’une tonne d’émission CO2 évitée ouvre droit à un paiement de 5 EUR/tonne. Ce système permet que soient valorisées financièrement les activités qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre en Afrique. Il serait ouvert à tout porteur de projet qui enregistre et fait vérifier son activité dans le cadre du Mécanisme de Développement Propre (MDP). L’infrastructure actuelle du MDP peut être entièrement utilisée. Aucun besoin de créer un nouveau fonds ou une nouvelle entité. Le système que nous préconisons présente également l’avantage d’être fondé sur les résultats : seuls les crédits de carbone délivrés sont rémunérés. Pas besoin d’effectuer une analyse à priori des projets ce qui évite des procédures lourdes et des ressources consacrées en diligence. Les investisseurs privés prennent leur risque de projets seuls, le signal et la visibilité du prix du carbone leur permettant de lever les financements pour enclencher les projets. Dans le cadre de la COP 21 nous souhaiterions que les Etats s’accordent sur une ligne budgétaire de 2,5 milliards d’EUR qui pourrait être allouée à la CCNUCC afin de procéder à des acquisitions automatiques de crédits de carbone africains émis. Il serait pertinent d’élargir ce mécanisme aux Pays insulaires vulnérables et aux Pays les Moins Avancés (PMAs) non africains. Le financement pourrait provenir des engagements réalisés dans le cadre du Fonds Vert Climatique, catalyseur des financements internationaux en matière de changement climatique.
Vous faites partie des 10 jeunes entrepreneurs français de l’économie verte engagés pour renforcer les liens économiques et humains avec l’Afrique. De quoi s’agit -il?
Notre initiative s’inscrit dans une réflexion sur la valeur ajoutée de la France en Afrique pour les décennies à venir. Nous pensons que l’environnement sera l’un des défis du continent et nous sommes convaincus que la France peut offrir des solutions sur des thématiques aussi variées que celles de l’eau, de l’énergie, de la déforestation, de l’agriculture, des infrastructures, du numérique. Malheureusement, les outils de notre gouvernance économique s’adressent prioritairement à des groupes de taille importante ; ils sont vitaux mais l’obsession des grands contrats nous fait perdre de vue que nos start-ups sont aux avant-postes des marchés innovants : elles ont l’audace, l’agilité et la créativité qui peuvent aussi forger les grands groupes de demain ; elles sont indispensables au renouvellement des liens humains et économiques qui nous unissent à l’Afrique. Les jeunes entrepreneurs français sont peu écoutés car peu coordonnés, il faut aussi l’admettre. Nous sommes trop souvent esseulés dans une démarche de survie et de croissance. La plateforme Up Afrique vise à rassembler les jeunes éco-entrepreneurs français qui travaillent en Afrique et à dynamiser nos liens avec ce continent par le biais de l’économie verte. Nous faisons partie d’une génération qui ne porte pas sur elle le poids de l’Histoire ; nous considérons le continent comme une zone de forte croissance où nous devons séduire par la qualité de nos produits et services, un marketing performant et des solutions de financement innovantes et compétitives. Nous devons prendre conscience que la nouvelle génération de décideurs en Afrique peut être lassée par la marque France et elle se tourne, et s’est bien normal, vers d’autres. A nous de trouver les arguments factuels pour remporter à nouveau des marchés. Avec Up Afrique nous souhaitons qu’un nouveau visage et qu’une nouvelle voix de la France s’exprime, celle des jeunes entrepreneurs. Notre légitimité ce sont nos clients africains qui nous l’octroient en faisant le choix de nos entreprises. C’est pourquoi nous portons 10 mesures concrètes auprès des autorités et institutions françaises afin de contribuer, à notre échelle, à la vitalité de notre pays sur le continent africain. Ce continent est une chance, il est également notre avenir.
La France accueille le COP 21 à la fin 2015. Quels sont les grands enjeux africains et français de cette rencontre ?
Pour l’Afrique comme pour la France il s’agit de traiter des enjeux qui touchent l’ensemble de l’humanité. Seront nous capables de contenir les émissions mondiales de gaz à effet de serre ? Pourrons-nous éviter les conséquences et catastrophes qu’engendre la multiplication des évènements climatiques extrêmes ? Sauverons-nous des populations et territoires de la disparition ?
A plus court terme il s’agit pour l’Afrique de mobiliser les financements internationaux nécessaires à l’adaptation et au transfert de technologies vertes. C’est un combat ardu qui doit être mené avec vigueur car on voit déjà poindre la tentation des nouveaux mécanismes pour répondre à la crise du Mécanisme de Développement Propre. Nous pensons qu’il s’agit d’une erreur majeure ; plus de 10 ans auront été nécessaires pour que le MDP délivre des premiers résultats sur le continent, et ce en y déployant des ressources considérables. Alors même que nous sommes en capacité aujourd’hui de multiplier les projets il faudrait tout arrêter ? Nous pensons, au contraire, que si le marché a faillit par manque de régulation, l’infrastructure de marché quant à elle doit être préservée. C’est ce que nous proposons avec notre système de prix minimum garanti. Nous espérons que les négociateurs africains réussiront à obtenir ces financements ; l’impact va bien au-delà du climat. L’effet démultiplicateur de projets verts peut concourir à l’émergence accélérée de certains pays.
Prooos recueillis par Adama Wade