6 ans de poker menteur…
La où la zone franc, en 1994, avait appliqué une dévaluation unilatérale de 50%, décidée entre deux portes, et augmentant par deux, le temps d’une nuit, les engagements de quatorze pays vis-à-vis de l’exterieur, au nom d’une relance de la compétitivité à l’export, la Grèce, elle, entend consulter sa population par un référendum inédit.
On le sait, le marché et la démocratie ne font pas souvent bon mènage. Ce qui se passe à Athéne marque un certain tournant. Le pouvoir politique veut associer le peuple dans une décision qui normalement se prenait en apesanteur. L’annonce du premier ministre grec, Alexis Tsipras, tard vendredi, d’organiser une consultation populaire le 5 juillet sur le projet «argent frais contre réformes» est vu comme une manœuvre de diversion de la part des analystes.
L’information est tombée à la clôture des marchés boursiers, ce qui, aux yeux de ces mêmes analystes, dénotent d’une certaine capacité du premier ministre de gauche à faire avec le marché. Parviendra-t-il à contourner le remboursement de 1,6 milliard d’euros attendu par les créanciers ou conduira-t-il son pays au défaut comme l’Argentine? En attendant le dénouement de ce poker menteur, voici les principaux épisodes de la crise de la dette grecque retracès avec l’agence Reuters.
* 2009. Le 4 octobre, sur fond de récession économique, les socialistes du Pasok remportent la majorité absolue au parlement. Ils délogent les conservateurs de Nouvelle Démocratie, au pouvoir depuis 2004.
Le nouveau gouvernement de George Papandréou annonce une dizaine de jours plus tard que le déficit budgétaire atteint 12,7% du PIB, soit trois fois plus que dans les statistiques officielles, et que la dette grecque représente 127% du PIB.
Les rendements des obligations grecques (les taux d’intérêt auxquels l’Etat se finance sur les marchés obligataires) explosent.
* 2010. Le 14 janvier: Le gouvernement Papandréou dévoile un programme de réduction des dépenses (gel des salaires et des retraites des fonctionnaires, réduction des primes dans la fonction publique), et d’augmentation de la fiscalité (relèvement de la TVA et des taxes sur l’essence, le tabac et l’alcool) visant à ramener le déficit budgétaire à 2,8% en 2012.
27 avril: L’agence Standard & Poor’s abaisse la note de la dette grecque en catégorie spéculative.
2 mai: Un accord est conclu entre le gouvernement Papandréou, l’Union européenne (UE) et le Fonds monétaire international (FMI) sur un premier plan de sauvetage de 110 milliards d’euros en contrepartie de nouvelles mesures d’austérité.
Le versement de cette aide financière est programmé par tranches sur trois ans. Une « troïka » représentant la Commission européenne, le FMI et la Banque centrale européenne (BCE) supervise la mise en oeuvre du programme de réformes dont dépend le versement des tranches d’aide.
10 mai: Création d’un Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour venir en aide aux pays éventuellement menacés de ne pouvoir se financer sur les marchés.
* 2011. Le 13 juin, Standard & Poor’s dégrade encore la note de la Grèce, la rabaissant au plus bas niveau possible. L’agence de notation considère que le pays se dirige désormais vers une situation de défaut de paiement.
21 juillet: Les dirigeants de la zone euro se mettent d’accord sur la nécessité d’un deuxième plan d’aide à la Grèce.
A l’automne, la contestation sociale monte en Grèce. Le 21 octobre, alors que le gouvernement adopte un nouvel ensemble de mesures d’austérité, une grève paralyse le pays et plus de 100.000 personnes manifestent à travers le pays. Des violences éclatent. On compte plus de 70 blessés.
31 octobre: Sans consulter ses partenaires européens, George Papandréou annonce la tenue d’un référendum en Grèce sur le plan d’austérité et l’aide financière internationale.
A Cannes, où le G20 est réuni, le président français, Nicolas Sarkozy, et la chancelière allemande, Angela Merkel, le convoquent le 2 novembre et le préviennent que la Grèce ne recevra pas un centime de plus si elle ne met pas en oeuvre les mesures d’austérité prévues par le plan. L’hypothèse d’une sortie de la Grèce de la zone euro n’est plus un tabou.
Le 5 novembre, le projet de référendum, qui provoque aussi une crise politique intérieure en Grèce, est abandonné.
George Papandréou démissionne le 9 novembre. Un gouvernement de transition formé en coalition avec l’opposition conservatrice, menée par Antonis Samaras, lui succède. Il est dirigé par Lucas Papademos, ancien vice-président de la Banque centrale européenne, chargé de négocier le second plan d’aide avant un retour aux urnes.
* 2012-2014. 12 mars 2012 – Un deuxième plan d’aide internationale est élaboré sur la base d’un montant de 130 milliards d’euros, dont le versement doit être étalé jusqu’à la fin 2014. Les fonds proviennent du FMI et du Fonds européen de stabilité financière (FESF). Le plan s’accompagne d’une restructuration de la dette détenue par des créanciers privés, qui renoncent à la moitié de leurs créances.
6 mai 2012 – A l’issue des élections législatives anticipées, le Parlement est ingouvernable faute de majorité. De nouvelles élections se déroulent le 17 juin, remportées de justesse par Nouvelle Démocratie, le parti d’Antonis Samaras, qui devient Premier ministre, avec le soutien des socialistes du Pasok et des élus de la Gauche démocratique (Dimar).
En octobre 2012, l’Union européenne donne officiellement le jour au Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce remplaçant définitif du FESF, doté de 500 milliards de capitaux, est censé intervenir en cas de crise financière grave dans l’un des pays de l’UE, afin de prévenir les risques de contagion.
Juin 2013 – La décision prise par Samaras de fermer la radiotélévision publique ERT provoque le départ de ses alliés du Dimar, signant la fin d’une coalition déjà fragilisée.
En 2014, une embellie se profile: la Grèce renoue avec la croissance, son budget dégage de nouveau un excédent primaire (solde budgétaire avant service de la dette) et le Trésor parvient à lever sans difficulté trois milliards d’euros sur le marché obligataire. Mais Samaras ne parvient pas à finaliser le programme de contrepartie à l’aide internationale. Fin décembre, son incapacité, malgré trois tours de scrutin, à faire élire un président de la République, provoque mécaniquement de nouvelles élections législatives anticipées.
* 2015. Le 25 janvier, le parti de la gauche radicale Syriza remporte les élections législatives anticipées. « La Grèce laisse derrière elle une austérité catastrophique, elle laisse derrière elle la peur et l’autoritarisme, elle laisse derrière elle cinq années d’humiliation et d’angoisse », proclame son chef de file, Alexis Tsipras, devant ses partisans.
Son gouvernement de coalition, formé avec les souverainistes de droite du Parti des Grecs indépendants (Anel), annonce un gel du programme de privatisations. Tsipras et son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, un économiste qui détonne dans les cercles financiers, font le tour des capitales européennes pour exposer leur projet: négocier un allègement de la dette grecque pour parvenir à un accord viable et « mutuellement bénéfique » avec les créanciers d’Athènes.
Le 20 février, les ministres des Finances de l’Eurogroupe, réunis pour la troisième fois en moins de deux semaines, s’accordent sur une extension de quatre mois du plan d’aide international, qui expirait théoriquement fin février.
Le déblocage de la dernière tranche d’aide, de 7,2 milliards d’euros, est toutefois conditionné à une liste de réformes que le gouvernement grec s’engage à présenter dans les plus brefs délais auprès des « institutions » qui remplacent, dans la terminologie officielle, la « troïka » honnie à Athènes.
Mais les négociations entre Athènes et ses créanciers sur le détail des mesures bloquent. Le relèvement de la TVA, la réforme des retraites et celle du marché du travail, les objectifs d’excédent primaire, la volonté grecque d’obtenir une restructuration de sa dette publique (refinancements à des taux plus avantageux, allongement des maturités voire effacement d’une partie du principal) sont autant de points de divergence.
La Grèce parvient à s’acquitter de plusieurs remboursements au FMI mais elle impose à celui-ci de regrouper toutes les échéances de juin, d’un montant total de 1,6 milliard d’euros, à la fin du mois.
En l’absence des 7,2 milliards d’euros d’aides internationales suspendues, la situation est tendue dans un pays dont les caisses se vident sous l’effet de mauvaises rentrées fiscales et qui ne peut se financer sur les marchés.
Au fil des jours, le ton ne cesse de monter entre les négociateurs. La réunion mensuelle de l’Eurogroupe du 18 juin se solde par un nouveau constat d’échec. L’UE convoque alors en urgence un nouvel Eurogroupe suivi d’un sommet extraordinaire des dirigeants de la zone euro pour le lundi 22 juin. Alors que le scénario d’un « Grexit », une sortie de la Grèce de la zone euro, voire de l’Union européenne, est de plus en plus ouvertement évoqué, tout le week-end, les contacts se multiplient entre les protagonistes de la crise.
Dans la nuit du 22 au 23 juin, coup de théâtre: l’Allemand Martin Selmayr, le chef de cabinet du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker, annonce que les « institutions » ont reçu de nouvelles propositions. « Bonne base pour des progrès au sommet de la zone euro. En allemand, ‘eine Zangengeburt’ (ndlr, accouchement aux forceps) », twitte-t-il peu après 02h30 du matin (00h30 GMT).
Dans les heures qui suivent, un regain d’optimisme sur l’issue des négociations pousse les marchés financiers à la hausse. « Je suis convaincu que nous allons trouver un accord parce que nous devons trouver un accord. Comme on dit sur les terrains de football, on ne peut pas jouer les prolongations », déclare Juncker.
L’objectif est désormais de conclure un accord « réformes contre argent frais » lors d’une nouvelle réunion de l’Eurogroupe programmée le mercredi 24 au soir, puis de le faire valider le lendemain, jeudi 25, par les chefs d’Etat et de gouvernement qui se réunissent pour leur Conseil européen d’été.
Mais les blocages vont très vite réapparaître. Le fait que le nouveau programme de réformes proposé par Athènes repose principalement sur des hausses d’impôts et de cotisations sociales et non sur des économies ne convainc pas les créanciers. « On ne peut pas bâtir un programme sur la seule promesse d’une meilleure collecte des impôts », explique Christine Lagarde dans un entretien au magazine Challenges.
Pour les Grecs, les contre-propositions des « institutions » sont « absurdes ».
Faute d’accord entre Athènes et ses créanciers, l’Eurogroupe du 24 juin tourne court. Une nouvelle réunion est prévue le lendemain, 25 juin, mais les négociations marathon qui se poursuivent dans la nuit et les jours suivants entre Athènes et les « institutions » n’aboutissent pas.
De retour à Athènes, le vendredi 27 juin, Tsipras réunit son gouvernement et annonce peu avant minuit qu’il organisera le 5 juillet un référendum pour ou contre la proposition des créanciers de la Grèce.
Sources: Reuters
(Bureau d’Athènes et David Cutler à Londres; Bertrand Boucey, Jean-Stéphane Brosse et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Marc Angrand)