Par Christian Kazumba,
Conseil en management et en organisation pour des entreprises implantées en Afrique Représentant de la RD Congo pour le Think Tank Club 2030″/
De 300 000 à 35 millions clients. Telle est la performance réalisée, en quinze ans, par le secteur de la téléphonie mobile en RD Congo, en termes de nombre d’utilisateurs et selon les dernières estimations de l’autorité de régulation des postes et télécommunications.
Avec six acteurs principaux et un taux de pénétration de 49 %, les opérateurs télécoms représentent désormais une part non négligeable de la création de richesse en RDC, dont la croissance est estimée en moyenne, depuis 2010, à plus de 7%.
A l’instar de ce qui s’est passé dans certains pays anglophones, tel que le Kenya (où le fameux compte «Mpesa» a séduit près de 20 millions de clients depuis 2007), les poids lourds de la téléphonie mobile se sont lancés à l’assaut du marché congolais des services financiers.
Ainsi, depuis mars 2012, Airtel, suivi par Vodacom et Tigo, proposent désormais à leurs aimables clientèles de réaliser leurs transferts de fonds, sans passer par le circuit bancaire, par le biais d’une messagerie financière installée directement sur leur téléphone portable.
Ces opérateurs de télécommunications ont dû faire faire face à une vive concurrence, émanant d’agences locales spécialisées («amis fidèles yokason», «solidaire transfert» ou «agence de frères»), qui jouissent d’une bonne réputation au sein de la population, car offrant la possibilité d’envoyer, sur l’ensemble du territoire national en toute fiabilité, des sommes modiques pour une tarification qui l’est tout autant.
Pourtant, la simplicité, la rapidité et la sécurité de mise en circulation de cette monnaie électronique, par les opérateurs de téléphonie mobile, ont séduit plus de deux millions d’abonnés en trois ans !
Même si ce chiffre est en deçà des anticipations du secteur, il correspond à peu de chose près au nombre de comptes que les banques ont réussi à faire ouvrir à la population depuis ….1909, date à laquelle le premier établissement bancaire a vu le jour en RDC.
On l’aura compris, la dynamique commerciale est, incontestablement, dans le camp des entreprises de télécommunications.
Même, si des synergies sont trouvées, à date, entre banques et opérateurs télécoms, permettant notamment aux détenteurs de comptes bancaires de réaliser leurs opérations courantes à partir de leur téléphone portable (BGFI Bank et Ecobank avec Airtel par exemple), on peut légitimement se demander si cette « entente cordiale » ne va pas se transformer en concurrence impitoyable.
Au-delà des transferts de fonds, cette « guerre commerciale » pourrait concerner également des opérations qui, à ce jour, restent encore très largement dominées, en RD Congo, par la monnaie scripturale (les espèces) telles que :
– le versement des salaires et le règlement des fournisseurs par les entreprises privées.
– le paiement des factures chez les commerçants ou auprès des services publics (eau, électricité et impôts).
Ainsi, des éléments factuels laissent à penser que les opérateurs télécoms pourraient être tentés de s’imposer seuls, sur le marché des services financiers, en excluant tout partenariat avec les banques :
• Une stratégie marketing beaucoup plus agressive
Contrairement aux banques, les opérateurs semblent avoir fait le choix de dégager une faible marge sur un nombre élevé de clients. Plus globalement, certains établissements bancaires cherchent beaucoup plus à « débaucher » la clientèle existante de leurs concurrents qu’à faire ouvrir des comptes à des personnes non encore bancarisées.
• Une image moins écornée
Alors que fiabilité et solidité sont souvent associées au secteur de la téléphonie mobile, les nombreuses faillites observées sur les vingt dernières années, ainsi qu’une tarification élevée manquant parfois de transparence, ont considérablement altéré la confiance de la population envers le système bancaire local.
• Une relation de proximité avec le client plus poussée
Dans un très grand nombre de cas, la présence des opérateurs de télécommunications sur les réseaux sociaux, l’ergonomie et la richesse de leur site internet, en particulier pour tout ce qui concerne l’accompagnement et la pédagogie client, ne souffrent d’aucune comparaison possible avec l’offre des banques. La population est jeune (sept congolais sur dix ont moins de 25 ans) et donc très à l’aise avec les nouvelles technologies. Elle est également très en demande de formation et d’information quant aux mécanismes financiers (le taux de bancarisation en RDC ne dépasse pas 5%). Les opérateurs télécoms semblent avoir pleinement intégré ces différentes caractéristiques, les banques beaucoup moins….
• Un concept « naturel » davantage en adéquation avec les réalités locales
Dans un pays où la densité bancaire est l’une des plus faibles de la planète (une agence pour 250 000 habitants) et où la faiblesse des infrastructures publiques est une réalité de la vie quotidienne, l’adage selon lequel « on est toujours plus proche d’un téléphone que d’une banque » trouve tout son sens …
Avec près de 75 millions d’habitants (la RDC est le troisième pays le plus peuplé d’Afrique subsaharienne), le marché congolais présente des perspectives de développement aussi incomparables qu’incontestables.
Néanmoins, l’immensité du pays (plus de quatre fois la France métropolitaine), sa diversité linguistique (cinq langues sont officiellement reconnues) et la grande dispersion de sa population (plus de 65% des congolais vivent encore en zone rurale) rendent très complexe sa compréhension et surtout sa pénétration.
Il apparait clairement que les banques implantées localement devront profiter de la renaissance de leur secteur d’activité, à laquelle elles ont participé depuis le début des années 2000, et redoubler d’efforts afin de se rapprocher de la clientèle.
Elles sont donc condamnées à rivaliser rapidement de proactivité et d’audace, principalement en termes d’ingénierie financière, de développement commercial et de communication, si elles ne veulent pas abandonner le terrain de la finance de proximité aux opérateurs télécoms.
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