Depuis 2000, l’essor des marchés boursiers en Afrique est incontestable : de huit au tournant du 21e siècle, les bourses du continent sont désormais au nombre de 25 et pèsent plus de 1 200 milliards de dollars de capitalisation cumulée. Cinq fois plus qu’il y a quinze ans.
Il n’empêche : il est toujours difficile d’attirer à la cote les sociétés à la recherche de financements et les investisseurs en quête de placements. Pierre Célestin Rwabukumba, Directeur Général de la Bourse de Kigali, rappelle ainsi que « rares sont les chefs d’entreprise et les épargnants à songer à la bourse pour se financer ou y investir ». Un constat qui se pose avec encore plus d’acuité pour les petites et moyennes entreprises (PME), le ticket d’entrée en Bourse étant souvent rédhibitoire – processus d’introduction coûteux, démarches administratives complexes et réglementation contraignante.
C’est pour pallier cette difficulté et leur faciliter l’accès aux marchés qu’un nombre croissant de places boursières du continent ont lancé des compartiments réservés aux PME. Au total, treize places africaines disposent désormais d’un segment alternatif dédié : Growth Enterprise Market Segment (Gems) de la Bourse de Nairobi, marchés alternatifs des places de Dar es-Salaam et Kigali, le Ghana Alternative Exchange (GAX) et l’Alternative Securities Market (Asem) de Lagos en Afrique de l’Ouest, sans parler de l’AltX de Johannesburg, du Nilex égyptien ou du compartiment PME de la BVMT de Tunis… Sur le papier, la formule présente bien des avantages : les PME accèdent à moindres frais à la Bourse afin de financer leur développement, et les actionnaires peuvent espérer des rendements accrus tout en bénéficiant d’un cadre juridique sûr.
Dans les faits, le système peine pourtant à convaincre. Lancés en 2013, l’Asem nigérian et le Gems de la Bourse de Nairobi peinent à décoller, tandis que les marchés alternatifs d’Accra, Kigali et Kampala attendent toujours l’arrivée de leurs premières entreprises à la cote. « Un échec prévisible » selon un dirigeant de la Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale (Cosumaf), qui explique, sous couvert d’anonymat, « qu’on ne peut pas demander aux PME de faire ce que la plupart des grandes sociétés africaines ne font pas : surmonter leur réticence à ouvrir leur capital et être transparent ».
En somme, « un blocage d’ordre culturel », constate, dépité, Pierre Célestin Rwabukumba. Même réticence du côté des épargnants, estime Olivier Muneza de la firme de courtage MBEA à Kigali, pour qui « il est difficile de convaincre les investisseurs de se positionner sur de petites valeurs ».
Pour relever le pari du financement boursier des PME africaines, des pistes existent pourtant. Un professionnel des marchés à Libreville préconise par exemple « davantage d’incitations fiscales et de mesures d’accompagnement, afin de créer un environnement plus favorable ». Un opérateur de marché, actif dans la capitale rwandaise, rappelle quant à lui « le rôle crucial des teneurs de marché -souvent absents des places financières africaines- pour animer la Bourse et faire la promotion des différentes valeurs cotées, dont les titres des compartiments PME ». Enfin et surtout, il y a « la nécessité de développer la culture boursière par des campagnes régulières de sensibilisation auprès des épargnants et des entreprises», plaide Pierre Célestin Rwabukumba. Autant de solutions possibles pour enfin faire décoller durablement les compartiments PME.
Jacques Leroueil, correspondant à Kigali