Longtemps banque de niche, CBA est désormais le premier établissement kényan par le nombre de clients. Une métamorphose qui tient en un mot : M-Shwari, ou la révolution de la banque mobile.
A de rares exceptions près, le succès de la banque mobile a d’abord été l’affaire des opérateurs télécoms. Mais du côté des banques également, certaines ont su habilement tirer leur épingle du jeu. Au Kenya, la Commercial Bank of Africa (CBA) est de celles-là. Grâce à sa plateforme mobile d’épargne et de crédit, M-Shwari, développée en partenariat avec Safaricom et lancée fin 2012, CBA est aujourd’hui la première banque kényane par le nombre de clients (10,5 millions). Devant Equity Bank (9,7 millions) et KCB (4,1 millions). Avant le lancement de M-Shwari, la clientèle CBA se résumait à… 45 000 détenteurs de comptes.
« Un vrai saut quantique pour la banque, qui est passée en moins d’une décennie du statut d’établissement de niche à celui de banque populaire », résume Lionel Haguma, analyste chez African Alliance à Kigali. Depuis, elle a répliqué sa formule en Tanzanie, en lançant l’année dernière M-Pawa avec l’opérateur Vodacom.
La clé de la réussite : M-Shwari
Fondée en 1962 et détenue initialement par un consortium financier international basé en Suisse, avant de passer aux mains d’actionnaires locaux dans les années 80, CBA est longtemps vue comme une banque d’entreprise et de particuliers fortunés. Le déclic a lieu au début de la décennie. Constatant tant la faiblesse du taux de bancarisation (moins de 10 % de la population) que la forte croissance des paiements par téléphone mobile, la banque décide de s’allier à Safaricom, qui gère M-Pesa. Ce sera M-Shwari. « L’opérateur télécom se voit fournir une offre de micro-épargne et microcrédit qui vient compléter son service traditionnel de transfert d’argent, tandis que CBA accède d’un seul coup à tous les utilisateurs de M-Pesa », détaille notre interlocuteur d’African Alliance.
Le succès est immédiat : un million de clients, quarante jours après le lancement et trois millions après cinq mois de commercialisation. Depuis, la banque a accordé plus de 26 millions de prêts, d’une valeur totale supérieure à 355 millions de dollars. Encore mieux, cette expansion ne s’est pas faite au détriment de la gestion du risque : les créances douteuses ne dépassent pas 3 %, contre 5 % en moyenne pour les banques commerciales kényanes.
Les résultats financiers ont suivi. Entre 2011- année précédant le démarrage de M-Shwari- et 2014, le bénéfice net du groupe a plus que doublé, passant de 17,9 millions de dollars à 38 millions de dollars. Même progression sensible au niveau du total de bilan, passé de 1,01 milliard de dollars à 2,31 milliards de dollars. De quoi conforter la vingtaine d’actionnaires de la banque privée- le groupe n’est pas coté en bourse- dans leur choix d’investissement. À commencer par la famille Kenyatta, qui contrôle CBA, via sa holding Enke Investments Limited.
Un succès à pérenniser
Pas étonnant dès lors que la réussite de CBA avec M-Shwari donne des idées à d’autres établissements financiers. KCB a ainsi lancé au premier semestre KCB-M-Pesa, une offre concurrente à M-Shwari, en collaboration avec…Safaricom. Pas de « trahison » cependant de la part de l’opérateur, puisque l’accord d’exclusivité de deux ans qui le liait jusqu’alors à CBA est désormais échu. D’autres établissements pourraient donc prochainement suivre. Au Kenya comme ailleurs sur le continent, la bataille des banques pour s’arroger une plus grand part du gâteau de la finance mobile ne fait que commencer.
Jacques Leroueil, correspondant à Kigali.