. Arrivé au pouvoir un 24 novembre 1965 par coup d’Etat, il poursuit son prédécesseur pour haute trahison.
. Chassé du pouvoir le 17 mai 1997, il est poursuivi pour haute trahison.
Mobutu Sese Seko c’est Janus. C’est le pacificateur perdu par le pouvoir absolu. C’est le lumumbiste exalté qui finit par tuer Lumumba, le chef de village généreux qui distribuait la kola et pendait ses ennemis en public. C’est tout à la fois. L’aigle de Kawele, le Léopard du Zaïre. Bref, un chef de village africain à la tête d’un Etat moderne.
C’est le sauveur du Congo des années 60, son pourfendeur dans les années 90. C’est le bantou intégral accroché à une certaine idée du pouvoir [Le chef a toujours raison, répondait-il à ce journaliste belge dans une tentative mémorable de définir la démocratie bantou], et à une certaine conception du Zaïre, cette gâchette du pistolet Afrique tournée vers l’Europe. C’est le Maréchal President qui devint roi et finit par faire bégayer l’histoire en transformant ce grand pays en propriété privée.
A la différence d’un Mao Tsé Toung, qui a su convertir le communisme au confucianisme, Mobutu, en 32 ans de pouvoir, n’est pas allé plus loin que le changement des prénoms et l’imposition de l’Abacos (À bas le costume) dans un esprit d’authenticité qui trouvait échos auprès de larges franges des populations africaines.
Tout comme Sékou Touré, il s’est emparé du pouvoir en posant la bonne question, celle de la libération de l’Afrique et des conditions de son développement. Sa réponse à ces deux attentes fut cependant mauvaise.
Un bilan économique catastrophé par l’usure d’un pouvoir absolu qui s’est effondré comme un château de cartes en 1997. Une pauvreté insoutenable dont, il faut le dire, la RDC n’a pas le monopole en Afrique. Mais, quelque soit la médiocrité du bilan, il faut reconnaître à Mobutu le mérite d’avoir suscité le sursaut nationaliste qui a sauvé le Zaïre d’un découpage programmé.
La zaïrinisation qui fut sans doute un échec du point de vue comptable a donné à ce grand géant d’Afrique l’élan salvateur à l’origine de sa révolution culturelle. La nationalisation était nécessaire pour parachever une indépendance politique qui ne saurait s’exercer sans l’independance économique et sans le transfert d’une bonne partie des moyens de productions au profit des nationaux. Sur ce point, l’échec de Mobutu est total.
Le grand gâchis du régime de l’homme-léopard et des dictateurs africains en général est, contrairement aux autocrates asiatiques, de ne pas avoir su convertir la mobilisation politique, sociale et culturelle en un mouvement pour la renaissance économique du bassin du Congo.
Sa politique économique fait d’investissements de prestiges était déterminée par l’achat renouvelé d’une paix sociale toujours plus coûteuse, l’entretien constant d’une image auprès des détenteurs internationaux de légitimité et l’habileté à se faire important dans le contexte de la guerre froide.
A l’image de la plupart de ses pairs de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), Mobutu a raté le virage du milieu des années 80-90. Alors que l’Asie du Sud-Est se libérait de la tutelle pesante du FMI et de la Banque Mondiale, l’Afrique, asphyxiée par la crise des ciseaux (effondrement des cours de matières premières, hausse des intérêts de la dette), se faisait livrer mains et pieds liés aux institutions de Bretton Woods.
Conséquences, punition collective qui n’épargnera ni les bons élèves de l’Occident, encore moins les mauvais au lendemain de la chute du mur de Berlin. De quel côté donc était Mobutu, lui réputé si proche des services occidentaux, lui le «nationaliste africain» ?
Du côté des dictateurs qui finissent seuls et accusés de haute trahison. Avant d’aller dans ce voyage sans retour au Maroc, Mobutu aura eu le temps de faire un dernier tour à Gbbadolite, son Yamoussokro, son Daoukro, son Boutilmit, ce village, élément central de la conscience sociale de l’africain, qu’il rêvait de transformer en phare du Congo. Il aura eu le temps de méditer sur le nom qu’il s’était donné Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga, (Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter) et sur la fragilité du pouvoir absolu.
Quelque 32 ans après le putsch de Mobutu, la RDC n’est toujours pas sortie des guerres de pouvoir et des logiques prédatrices de ses ressources. Mobutu était-il vraiment le seul problème ?