Voilà une décision historique du tribunal international du droit de la mer qui fera jurisprudence comme nous le déclare dans cet entretien exclusif, Me Me Aboubacar FALL, avocat associé au Cabinet Géni & Kébé et membre Titulaire du Comité Maritime International (CMI).
Financial Afrik: Le tribunal international du droit de la Mer, siégeant à Hambourg a, en date du 2 avril 2015, donné raison à 7 pays côtiers d’Afrique de l’ouest qui lui avaient soumis une demande d’avis consultatif relativement au problème de la pêche illégale.Que changerait cet avis dans l’arsenal juridique préexistant concernant la pêche illégale ?
Me Me Aboubacar FALL: Il convient, tout d’abord, de souligner que les 7 Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest dont il est question dans cette affaire sont ceux réunis au sein de la Commission Sous Régionale des Pêches ( la Commission) qui regroupe le Cap-Vert, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie, le Sénégal et la Sierra Léone. Il faut, ensuite, rappeler le contexte dans lequel cette affaire est intervenue.
La pêche constitue un secteur économique hautement stratégique dans les Etats membres de la Commission, puisqu’elle fournit des emplois directs et indirects, représente une part importante de leurs exportations et participe de façon significative à la sécurité alimentaire, par son apport en protéine animale aux populations.
Par ailleurs, des nombreux navires opérant dans la zone exclusive économique (ZEE) de ces Etats, la majorité est constituée de navires étrangers qui pêchent dans le cadre d’accords bilatéraux conclus, notamment, avec l’Union Européenne, la Chine, la Corée du Sud etc. Cependant, l’on observe, depuis de nombreuses années, que des opérations de pêche déroulent dans ces eaux en violation des instruments législatifs et conventionnels en vigueur, mettant en grave danger les mesures de gestion de la ressource mises en place par les Etats côtiers.
L’on observe, depuis de nombreuses années, que des opérations de pêche déroulent dans ces eaux en violation des instruments législatifs et conventionnels en vigueur, mettant en grave danger les mesures de gestion de la ressource mises en place par les Etats côtiers.
Devant ce phénomène dit de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (plus connu sous le sigle de pêche INN), les Etas membres de la Commission ont, d’abord, saisi les gouvernements des Etats étrangers dont les navires délinquants battent le pavillon, sans aucun succès. Aussi, ont-ils décidé de demander un avis consultatif au Tribunal International du Droit de la Mer (le Tribunal) sur la question (i) des obligations et (ii) des responsabilités de l’Etat du pavillon, d’une part et celles de l’Union Européenne, d’autre part.
La requête de la Commission est fondée sur la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (la Convention) ainsi que la Convention relative à la détermination des conditions d’accés et d’exploitation des ressources halieutiques à l’intérieur des zones maritimes sous juridiction des Etats membres de la Commission dite Convention CMA.
Sur la forme
Lors de la procédure d’examen des questions de la requête, de nombreux Etats (dont les navires ont été engagés dans des activités de pêche INN)ont dénié au Tribunal toute compétence consultative. Malgré tout, le Tribunal , composé de ses 21 juges, a décidé qu’il était compétent, en vertu de l’interprétation de dispositions combinées de la Convention sur le droit de la mer et du Statut du Tribunal.
Sur le fond
Le Tribunal a déclaré :
1) Qu’en vertu du droit de la mer, l’ Etat assume une obligation de diligence qui lui impose de s’assurer que les navires battant son pavillon ne sont pas engagés dans des activités de pêche INN ;
2) Que par application des principes du droit international sur la Responsabilité des Etats en raison de Faits Internationalement Illicites, l’Etat du pavillon doit, dès lors, être tenu responsable pour avoir manqué d’exercer son devoir de diligence consistant à empêcher les navires battant son pavillon de s’engager dans des opérations de pêche INN ;
3) Que l’Union Européenne (UE) doit être tenue responsable des activités de pêche INN effectuée par des navires battant le pavillon d’un de ses Etats membres. En effet, Tribunal a relevé que l’UE possède, en matière pêche, une compétence exclusive qui l’autorise à négocier des accords de pêche au nom de ses Etats membres. Il résulte de cette situation que l’ obligation de diligence évoquée plus haut s’impose à l’UE et non à ses Etats membres. En conséquence, faute par elle d’exercer ce devoir de diligence, sa responsabilité doit être engagée en cas de pêche INN, sur le fondement des articles 305 et 306 de la Convention sur le droit de la mer.
L’ avis du Tribunal du 2 avril 2015 a eu un retentissement international, non seulement en raison de la nature et de l’ampleur du phénomène de la pêche INN, mais également du fait qu’il s’agit du premier avis consultatif émis par le Tribunal sur cette question depuis sa création. Par ailleurs, jusqu’à cette date, aucune action judiciaire ne pouvait être engagée contre les navires délinquants, faute de fondement juridique confirmé.
S’il est vrai que les avis consultatifs ne sont contraignants, ni n’ont de valeur jurisprudentielle, ils n’en constituent pas moins du droit international coutumier et, dès lors, ils peuvent valablement fonder des actions en responsabilité.
L’autre portée de cet avis consultatif est relative à sa contribution à l’atteinte d’un des objectifs importants de l’Agenda 2015-2030 des Nations Unies pour le Développement Durable ( l’Agenda) . En effet, l’objectif 14 de l’Agenda est relatif à la conservation et à une utilisation durable des océans et des ressources marines et vise, notamment à gérer efficacement les activités pêche, et à mettre fin à la surpêche ainsi qu’à la pêche INN.
L’Union Européenne, la Chine, la Russie, le Japon et la Corée constituent les principaux pays étrangers qui exploitent la côte ouest africaine. Quelle est l’appréciation du juriste que vous être concernant ces accords différenciés signés individuellement par chacun des pays côtiers avec des blocs aussi puissants ?
Les expériences accumulées depuis de nombreuses années par les Etats côtiers d’Afrique de l’Ouest ont montré que les accords bilatéraux signés individuellement par chacun d’eux n’ont pas donné les résultats escomptés, tant en termes de revenus financiers que d’impacts sociaux.
D’ailleurs, l’on observe, de plus en plus, des suspensions d’accords déjà signés, voire des ruptures de négociations ( cas du Sénégal, de la Mauritanie etc.) dues principalement aux difficultés des Etats côtiers de faire valoir leurs positions face à de puissants interlocuteurs tels l’Union Européenne, la Chine, le Japon, la Corée etc. Il faut donc changer de stratégie et négocier en groupe, comme c’est le cas des pays d’Afrique australe ou des 17 Iles du Pacifique.
Par exemple, les 7 Etats de la Commission Sous Régionale des Pêches devraient s’accorder sur une stratégie de négociation commune qui aurait l’avantage de (i) mutualiser les capacités humaines et techniques de négociation et (ii) renforcer les moyens de surveillance de leurs zone économique exclusive(ZEE) . Il faut rappeler que tant l’esprit que la lettre de la Convention des nations Unies sur le Droit de la Mer militent en faveur de ces actions de coopération et de collaboration dans un souci de gestion de la ressource. Ceci est encore plus impératif dans le cas de ressources partagées telles que les espèces pélagiques qui émigrent d’une ZEE à l’autre.
Le Sénégal avait arraisonné un navire de pêche russe ces dernières années. Il nous a assemblé, en tant qu’observateurs, que ce dossier a été beaucoup plus traité d’un point de vue mercantile (la sanction à payer ) que du point de vue environnemental. Comment l’environnement et la protection de la biodiversité sont-ils pris en charge par le Droit international de la Mer?
Il faut souligner que la protection du milieu marin occupe une place centrale dans la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer qui lui consacre de nombreuses dispositions, soit dans le domaine de la lutte contre les différentes formes de pollution ou encore de la conservation des ressources biologiques.
A l’heure des négociations sur le climat, il importe de rappeler le rôle majeur joué par les océans et, en particulier, la nécessité pour les Etats côtiers de prévenir et de combattre les atteintes à l’écosystème marin.
A titre d’exemple : l’article 192 fait peser sur les Etats l’obligation de protéger et de préserver le milieu marin et l’article 193 stipule que les Etats ont le droit souverain d’exploiter leurs ressources naturelles selon leur politique en matière d’environnement et conformément à leur obligation de protéger et de préserver le milieu marin.
D’ailleurs, cette obligation mise à la charge des Etats côtiers a été reprise à l’Objectif 14.1 des Objectifs du Développement Durable qui vise à prévenir et réduire nettement la pollution marine de tous types, en particulier celle résultant des activités terrestres, y compris les déchets en mer et la pollution par les nutriments.
A l’heure des négociations sur le climat, il importe de rappeler le rôle majeur joué par les océans et, en particulier, la nécessité pour les Etats côtiers de prévenir et de combattre les atteintes à l’écosystème marin.
Même si la question déborde l’aspect juridique, nous vous la posons quand même. Pourquoi l’on ne dispose pas encore d’un cartel de la pêche à l’image de l’OPEP? Pourquoi les pays ouest-africains ne négocient-ils pas ensemble avec l’UE, la Russie et les autres pays ?
L’initiative d’un cartel de pêche en Afrique de l’Ouest est tout à fait souhaitable et devrait revenir aux communautés économiques régionales telles que l’UEMOA ou la CEDEAO. Pour ce faire, il convient d’abord, d’harmoniser les politiques de pêche et de promouvoir des instruments juridiques intégrés. Le même travail est accompli par l’UEMOA dans le secteur minier.
Nous devons prendre conscience de ce que la mondialisation oblige, aujourd’hui, à plus d’intégration des politiques sectorielles. La pêche, du fait de sa place centrale dans les économies des Etats côtiers de la sous-région, devrait être le premier secteur à opérer ce mouvement d’intégration. Gageons qu’avec la création d’ organisations de gestion des ressources halieutiques telles que la Commission Sous Régionale des Pêches, et surtout une ferme volonté politique, un futur cartel de la pêche pourra bientôt voir le jour.