A l’occasion des 20 ans du cabinet Performances Group, son fondateur, Victor Ndiaye, a accordé une interview exclusive à Financial Afrik.
Le cabinet Performances Group célèbre ses 20 années en ce mois de décembre 2015. Pouvez-vous revenir sur les grandes étapes marquantes de ce cabinet panafricain ?
Le cabinet Performances a été créé en décembre 1995. Nous étions des africains qui rentrions d’Europe avec dix ans d’expérience dans le conseil, beaucoup de passion, et l’ambition de participer à la transformation du continent.
Quelque part, nous étions un peu frustrés de voir l’état de notre continent, comparé par exemple à la dynamique de l’Asie, et notre trop grande dépendance à « l’expertise internationale ». Tel était notre état d’esprit. Nous avons ensuite grandi en trois étapes. Il y a d’abord eu ce qu’on pourrait appeler les années « start-up », entre 1995 et 2000 : une petite équipe et un engagement extraordinaire. Nous intervenions essentiellement en Afrique de l’Ouest, avec des clients comme la Sonatel, que nous accompagnons maintenant depuis 20 ans.
Quelque part, nous étions un peu frustrés de voir l’état de notre continent, comparé par exemple à la dynamique de l’Asie, et notre trop grande dépendance à « l’expertise internationale ». Tel était notre état d’esprit.
Il y a ensuite eu la grande phase de croissance, la décennie 2000-2010. Nous avons alors élargi notre champs d’intervention de la stratégie vers la transformation opérationnelle (Organisation, Optimisation des Processus, RH, SI) et la mise en œuvre. Nous avons élargi notre champ géographique, de l’Afrique de l’Ouest vers l’Afrique Centrale et l’Afrique de l’Est. Nous avons durant cette période accompagné des centaines entreprises dans les télécoms, les banques, les utilities (Electricité, eau…), le pétrole. Nous avons également accompagné la mutation des secteurs publics, aussi bien au niveau national (plans Emergence), qu’au niveau international, notamment dans les grandes institutions d’intégration, à commencer par l’Union Africaine.
Ces dernières années, 2010-2015, ont vu la diversification des activités du cabinet dans les grandes sources de croissance de demain, à savoir les solutions technologiques et les Données (Big data). Notre entité Data nous permet notamment de valoriser la grande quantité d’informations accumulée sur nos économies depuis 20 ans de présence et d’intervention sur le terrain.
Il y a également Performances Capital, un fonds interne que nous sommes en train de mettre en place pour investir et développer des entreprises dans des secteurs à haut potentiel.
Aujourd’hui nous avons atteint une taille critique, nous avons une offre diversifiée, nous intervenons dans plus d’une quinzaine de pays. Ces vingt premières années ont donc été bien remplies.
Vous avez joué un rôle de premier plan dans l’élaboration du plan d’émergence d’un pays d’Afrique Centrale. Quid de votre rôle dans le Plan Sénégal Emergent et dans les stratégies de développement d’autres pays africains ?
Nous avons accompagné 5 pays dans leurs stratégies d’émergence. Par principe, nous ne dévoilons pas le nom de nos clients, sauf lorsque lui-même le souhaite. Et quand un pays s’approprie vraiment sa vision et son projet de transformation, le prestataire qui l’a accompagné est un point secondaire.
La question clé c’est : qu’est-ce qu’un bon cabinet de conseil ? C’est deux choses, apparemment contradictoires, mais qui sont indispensables dans ce métier : la capacité d’industrialisation et la capacité de faire du sur-mesure.
La vision n’est pas celle d’un cabinet, c’est celle d’un pays et de ses leaders. Notre rôle, c’est d’accompagner les processus dans le cadre d’une démarche structurée et pédagogique. Formaliser une vision, évaluer le capital du pays (naturel, humain et infrastructurel), élaborer une stratégie permettant de bâtir une économie compétitive, définir les priorités, décliner un plan d’actions précis, mettre en place les outils adéquats de pilotage et de suivi, construire une culture de responsabilisation et de résultat, assortie de contrats d’objectifs et de sanctions ou de récompenses. Développer un pays, du fait de toutes les urgences et priorités, apparaît complexe. Nous devons aider à rendre cela simple, en montrant qu’est ce qui doit être fait quand, comment et par qui.
A l’heure des émergences africaines, quelles sont les grandes tendances actuelles et à venir du conseil en Afrique? Forts de leur longue expertise, les grands cabinets historiques et les big four en particulier (PwC, Deloitte, KPMG ou encore EY)) peuvent-ils être concurrencés par des acteurs africains ?
La question clé c’est : qu’est-ce qu’un bon cabinet de conseil ? C’est deux choses, apparemment contradictoires, mais qui sont indispensables dans ce métier : la capacité d’industrialisation et la capacité de faire du sur-mesure. L’industrialisation est indispensable pour transférer un savoir colossal à un coût raisonnable : la base de savoir et les méthodologies sont clairement formalisées, le personnel y compris les plus jeunes sont vite formés, les systèmes d’information permettent un accès rapide. Cela suppose beaucoup d’investissements et une taille critique, et c’est la force des vieux cabinets avec une grande taille. Effectivement, on les voit de plus en plus arriver en Afrique et c’est une excellente chose : plus de concurrence, plus de savoir faire, plus d’expériences diversifiées ne peut être que bénéfique pour notre continent. Mais, il faut par ailleurs une vraie capacité de faire du sur-mesure. Aucun client n’est semblable à l’autre, et plaquer les stratégies génériques et les hypothèses accumulées dans d’autres pays peut donner un formidable rapport, mais un mauvais plan, difficilement applicable. C’est malheureusement plus fréquent qu’on ne le pense. La connaissance de l’environnement local, des acteurs et des expériences et dynamiques en cours est indispensable pour élaborer un plan véritablement sur-mesure, et que le pays pourra vraiment mettre en place. J’estime que cela est sans doute la plus grande réussite de Performances durant les vingt dernières années : avoir su grandir et industrialiser le métier, tout en valorisant un ancrage local et une connaissance très forte du terrain. La partie la plus critique dans un plan c’est son exécution, et nous avons, il me semble, par notre caractéristique à la fois globale et locale, su concevoir des plans adaptés aux ambitions et aux réalités de nos pays et accompagner leur mise en œuvre effective.
Beaucoup de leaders africains et des partenaires du développement choisissent systématiquement les cabinets dits internationaux dans les grands appels d’offres ? Cette tendance est-elle prête de disparaître ?
Force est effectivement de reconnaître, quelquefois, une certaine défiance des africains vis à vis d’eux-mêmes. Et là est sans doute la première bataille de l’émergence, la bataille mentale. On ne peut pas émerger si on ne croit pas en soi. Et émerger économiquement, c’est favoriser le développement de champions nationaux, compétitifs, qui génèrent des richesses sur de grands marchés, et tirent vers le haut tout un écosystème de PME locales.
J’estime que cela est sans doute la plus grande réussite de Performances durant les vingt dernières années : avoir su grandir et industrialiser le métier, tout en valorisant un ancrage local et une connaissance très forte du terrain
J’évoquais tout à l’heure la Sonatel, opérateur historique des télécommunications du Sénégal, qui représente aujourd’hui 60% de la valorisation de la bourse régionale d’Abidjan. Le Sénégal émergera lorsqu’il aura une trentaine d’entreprises de cette envergure, de même que le Gabon avec la BGFI ou le Cameroun avec Alucam. Dans le conseil, je me suis rendu compte, après plusieurs années de cabinet en Europe, que cabinet international signifiait surtout cabinet basé dans un pays développé. Vous pouvez être dans 20 pays africains, vous restez un cabinet local. Nous sommes en 2015, à une ère où la chose la plus partagée au monde est le savoir. Il est effectivement grand temps que les perceptions évoluent. D’autant plus que les champions africains du conseil, comme cela a été le cas dans le passé dans les pays développés, jouent un rôle clé dans le processus et la dynamique de émergence. Performances depuis sa création a fait rentrer en Afrique des centaines de cadres expatriés, formé beaucoup de jeunes, réinséré dans nos tissus économiques beaucoup de compétences, accompagné des initiatives et projets diverses dans le cadre de sa politique RSE. Nous sommes engagés dans le même combat que nos dirigeants, leurs réussites comme leurs échecs sont les nôtres. Croyez moi, ça change tout.
En vous inspirant du vécu de Performances Group, pouvez-vous nous fournir des éléments d’analyse sur les écueils que peuvent rencontrer, en Afrique, les cabinets dits challengers du métier face aux acteurs historiques?
Le principal écueil est la taille des marchés. Le résultat de l’histoire est que nos marchés, surtout sur la façade atlantique de l’Afrique, sont trop petits. Or, pour s’industrialiser, un cabinet a besoin d’une taille critique. Performances a su grandir parce qu’il s’est positionné dès le départ sur l’international, malgré toutes les contraintes en Afrique, notamment logistiques.
Vous pouvez être dans 20 pays africains, vous restez un cabinet local. Nous sommes en 2015, à une ère où la chose la plus partagée au monde est le savoir. Il est effectivement grand temps que les perceptions évoluent. D’autant plus que les champions africains du conseil, comme cela a été le cas dans le passé dans les pays développés, jouent un rôle clé dans le processus et la dynamique de émergence.
Notre point de départ historique, le Sénégal, ne représente aujourd’hui qu’une petite partie de nos activités et de nos effectifs. Peu de cabinets, malheureusement, arrivent à dépasser cet écueil de l’étroitesse des marchés nationaux. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, et dans un monde aussi concurrentiel, l’intégration et la construction de grands ensembles constituent un impératif de survie pour nos pays. Nous y sommes, mais nous devons aller plus vite, surtout en Afrique Centrale.
Quelle est en définitive la valeur ajoutée que constitue le développement d’une culture africaine du conseil? Y a-t-il un avantage comparatif et des facteurs de succès pour un cabinet souhaitant se positionner comme un cabinet panafricain de conseil?
Le formidable avantage, c’est la proximité et la connaissance locale, cette double capacité à faire de l’industrie et du sur-mesure. Nous avons ainsi, contrairement à la perception habituelle, un gros avantage sur les nouveaux arrivants. 20 ans d’expérience locale accumulée et stockée, ce n’est pas rien. Maintenant, pour préserver un tel avantage, il faudra impérativement continuer à innover, à concevoir de nouvelles solutions, à apporter de nouvelles offres, qui apportent encore plus de valeur ajoutée au client. C’est le bon côté de la concurrence. Elle nous oblige à une remise en question permanente.
Aujourd’hui 20 ans après sa constitution, comment a évolué le tour de table de Performances aussi bien de par l’envergure que de par la qualité des personnes physiques et morales le constituant ?
Performances est structuré autour d’une quinzaine de plateformes représentant ses métiers, ses secteurs et ses bureaux. C’est le socle du nouveau système de partnership que nous sommes en train mettre en place. Chacun pèse à la hauteur de ce qu’il porte et ce qu’il développe, et chaque génération qui part passe la main aux générations suivantes. Cela nous permet d’être un formidable creuset de talents, dans lequel chacun en fonction de ses capacités et de ses souhaits, a une trajectoire d’avenir. Où chacun apprend, se forme, côtoie d’autres talents, travaille dans une ambiance de qualité, où une grande attention est donnée à l’équilibre personnel et au bien être des gens. Où surtout, chacun a l’occasion de participer à la dynamique de transformation en cours de l’Afrique, a l’occasion d’impacter positivement sur la vie des populations. Je crois que pour nous tous, cela est notre premier ressort. Et vu les défis qui attendent nos pays, nos entreprises, nos villes, nos organisations, les vingt prochaines années devraient être encore plus passionnantes que les vingt premières.
Adama Wade