Par Pierre Delval*
Le terrorisme hante l’Afrique et devient, avec le Proche et le Moyen-Orient, l’objet de toutes les préoccupations internationales. Tout récemment au Mali, Nigéria, Cameroun et Tunisie, les actes terroristes et criminels répétés convergent avec ceux qui ensanglantent l’Europe, et tout particulièrement la France, meurtrie à nouveau par des attentats sans précédent au cœur de la capitale française, pourtant protégée depuis les assassinats de Charlie Hebdo.
Le monde que je vois m’inquiète. Il m’inquiète car nos ennemis n’existent sur aucune carte. Nous ne savons plus à qui nous avons affaire. Ce ne sont plus des nations, ce sont des individus. Regardez autour de vous. Qui craignez-vous ? Distinguez-vous un visage, un drapeau, un uniforme ? Non. Notre monde n’est plus transparent, mais plus opaque. Il se cache dans l’ombre. C’est donc là que nous devons nous battre. Alors, posons nous la question : nous sentons nous vraiment à l’abri ?
Au moment où les enjeux de l’action anti-terroriste deviennent prioritaires pour la paix mondiale, la situation semble paradoxale : d’une part les moyens pour une politique préventive et dissuasive efficace et durable font défaut; d’autre part, les groupes criminels deviennent de plus en plus puissants et gagnent de l’influence auprès des populations désespérées qui rêvent de lendemains meilleurs. Depuis septembre dernier, Daech, Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) et Boko Haram ont massacré 710 innocents et blessé des centaines d’autres dans des attentats suicide pour la plupart.
Les terroristes djihadistes constituent une première source de menaces. Il s’agit d’Al-Qaïda et des groupes qui lui sont affiliés, notamment Al-Qaïda dans la péninsule arabique ou AQMI au Sahel, ainsi que de Daech, «dictature» d’un nouveau genre. Le développement du phénomène djihadiste et de la radicalisation constitue donc véritablement un facteur de dissémination de la menace. Il n’en reste pas moins que le terrorisme, militarisé ou non, annihile toutes les perspectives des programmes de développement économiques et sociaux dans les zones où il prolifère. En Afrique subsaharienne, la situation est telle que ces organisations criminelles s’imposent, sous leur contrôle, comme les principaux acteurs et régulateurs de routes commerciales. Les flux économiques (commerce légal et trafics illégaux) et de personnes (migrations de populations autochtones) sont en passe d’être, pour certaines zones du Sahel et du Sahara, sous le contrôle de groupes dits « terroristes ». AQMI, par exemple, transforme le Sahara en un vrai marché illicite.
Le nouveau «Sahara Stock Exchange» est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels, objets de trafics (cigarettes, médicaments, drogues, armes).
Pierre Delval.
Le nouveau «Sahara Stock Exchange» est de plus en plus actif avec pour valeur de transaction les otages internationaux et toutes sortes de biens matériels, objets de trafics (cigarettes, médicaments, drogues, armes). Avec des revendications d’ordre politique et social, les actions d’Ansar Dine, autre groupe terroriste salafiste qui contrôle désormais le Nord Mali, sont facilitées par la disponibilité des sources illicites de financement et la coopération avec d’autres mouvements tels que Boko Haram et le Mouvement d’Unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Si Al-Qaïda et l’État islamique (Daech) luttent pour l’hégémonie en matière de djihad mondial, les passerelles sont multiples entre les deux organisations, sur le terrain comme sur le plan idéologique. En témoignent les allégeances, soutiens et autres ralliements constatés récemment de la part de groupes précédemment affiliés à Al-Qaïda ou faisant dissidence. Dans l’univers djihadiste, il existe également des liens qui transcendent les organisations. L’histoire a montré que les réseaux interpersonnels perdurent, que ces réseaux peuvent se reconstituer rapidement et qu’ils s’adaptent en permanence par nécessité ou opportunisme. Mais, plus inquiétant encore, apparaissent dans plusieurs pays des groupes terroristes qui prêtent allégeance à Daech, comme dans une logique de « franchise ». Cela accrédite la thèse selon laquelle Daech serait à la tête d’un « djihad global » : une forme d’organisation criminelle, d’une mafia élargie, d’un « Spectre » aux moyens sans limite, qui ferait craindre l’émulation dans l’horreur de bandits d’un nouveau genre.
Et c’est en cela que l’islamo-banditisme apparaît. Au-delà d’une vision dévoyée de l’Islam, caractérisée par une interprétation éhontée du Coran et une ignorance caractérisée de la religion, la motivation première des chefs proclamés du djihad est celle du pouvoir et de l’argent. Ainsi, Daech se distingue de toutes les autres organisations djihadistes, notamment Al-Qaïda, par son assise territoriale, sa force d’attraction et sa puissance financière. L’Etat Islamique contrôle désormais par la force un territoire aussi vaste que le Royaume-Uni et a su mobiliser plus de 20.000 combattants étrangers à travers un recrutement idéologique organisé. Mais surtout, il rompt avec le modèle économique de réseaux terroristes dits « traditionnels », basés essentiellement sur des financements extérieurs provenant de donateurs privés ou institutionnels. A l’exception de l’Arabie Saoudite et du Qatar qui, pendant un temps, n’ont pas hésité à financer Daech pour éliminer leur grand ennemi Bachar el-Assad, l’Etat islamique s’autofinance par le crime à hauteur de trois milliards de dollars par an. Cette manne déjà conséquente ne tient évidemment pas compte des ressources naturelles à sa disposition sur le territoire qu’il contrôle et qui seraient évaluées à près de 2000 milliards de dollars. Outre les extorsions et rançons, plutôt limitées, Daech pratique essentiellement les méthodes d’enrichissement les plus classiques du banditisme, notamment les trafics de stupéfiants, d’armes, de contrebande et de contrefaçon.
L’Etat Islamique contrôle désormais par la force un territoire aussi vaste que le Royaume-Uni et a su mobiliser plus de 20.000 combattants étrangers à travers un recrutement idéologique organisé
AQMI procède de la même manière, mais de façon moins organisée. Rien que sur le tabac, les bandes armées se revendiquant d’Al-Qaïda ont ponctionné en 2014 40% des 118.000 tonnes de cigarettes de contrebande, présentes en Afrique de l’ouest continentale depuis 2013, pour financer leurs armes et leur logistique, soit 680 millions d’euros de profits.
Pour éviter que le continent africain devienne une base arrière et un centre de formation pour tous ceux qui se reconnaissent dans cette vaste et complexe organisation mafieuse, l’Afrique du nord et l’Afrique Subsaharienne n’ont pas d’autres choix que de s’atteler à la menace la plus tangible : le financement crapuleux.
Ne nous trompons pas de cible. Le terrorisme de conviction est en déclin. Le crime organisé a pris le pouvoir. Pour le combattre efficacement, un programme stratégique Nord/Sud de sécurité commune doit impérativement intégrer la confiance mutuelle en matière de traitement de l’information criminelle, afin de mieux coordonner et échanger face aux menaces de nature changeante. Sans ce programme, il est fort à parier que le développement de l’islamo-banditisme ne s’arrêtera pas en si bon chemin.
A propos de…
Pierre Delval (né le 30 mai 1960 à Verdun) est un criminologue et criminaliste français, spécialiste en matière de contrefaçon et de crime-contrefaçon. Président de la Fondation suisse WAITO, première ONG à traiter au niveau international l’aspect criminel de la contrefaçon, de la contrebande et de la fraude alimentaire. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la contrefaçon des produits de grande consommation et des documents fiduciaires.Pierre Delval a suivi un cursus universitaire scientifique, juridique et littéraire: licences d’histoire des arts (musicologie, histoire de l’art et archéologie) et d’histoire, une Maitrise de sciences et techniques pour la conservation des œuvres picturales et des documents graphiques, un troisième cycle en chimie minérale et une spécialité en criminologie.