Par Youcef Maallemi, Alger/
«Les raffineries africaines subissent un grave déficit d’investissement et de mise à jour technologique»
Jean Marc Henry, expert en matière pétrolière et plus spécifiquement en ce qui concerne le négoce de pétrole brut et de produits raffinés ainsi que le secteur du raffinage en Afrique de l’Ouest, Afrique Centrale et bassin Méditerranéen s’est entretenu avec Youcef Maallemi, correspondant de Financial Afrik à Alger. il s’agit d’un éclairage important sur la situation des raffineries en Afrique.
Monsieur Jean Marc Henry, nous entamerons cet entretien par la traditionnelle question: comment analysez-vous le secteur de raffinage ? Et quel sera, selon vous, le nouveau visage de la raffinerie dans les années à venir en Afrique ?
Le secteur du raffinage en général est une industrie fais de cycles. Aux cycles haussiers où les marges de raffinages sont élevées succèdent des cycles baissiers lors desquels les marges de raffinages sont réduites voire négatives. La difficulté des raffineries qui ne sont pas intégrées au sein de grands groupes pétroliers de type «majors» est donc de tenir les chocs financiers lorsque les marges de raffinages sont basses afin de survivre jusqu’au cycle suivant. Survivre ne veut pas uniquement dire ne pas faire faillite, mais surtout être capable d’entretenir l’outil de raffinage et le mettre à jour technologiquement afin de rester compétitif face à une concurrence sévère. C’est le nœud du problème pour les raffineries africaines. Celles-ci sont souvent des sociétés d’Etat situées dans des pays où la priorité des pouvoirs publics est naturellement l’éducation, le soutien social et la construction d’infrastructures de base au service d’une population en croissance. Il est en résulte que les raffineries africaines subissent un grave déficit d’investissement et de mise à jour technologique (l’absence d’unités de désulfurisation en est le syndrome principal). Par conséquent, ces raffineries (africaines) peinent à concurrencer les raffineries européennes ou américaines. In fine nous constatons toujours que les produits raffinés venant d’Europe, du Moyen Orient et parfois même des Etats Unis sont plus compétitifs que ceux des raffineries africaines alors même que celles-ci bénéficient de coûts de transport moindres.
Quelles sont vos idées pour développer le secteur de raffinerie et pour augmenter les capacités de raffinage ?
L’avenir du raffinage en Afrique passe selon nous par des partenariats avec des investisseurs ayant les moyens de construire des unités de raffinage à la pointe de la technologie actuelle, et qui, en localisant ces nouvelles raffineries dans les pays producteurs d’hydrocarbures et aussi grands consommateurs de produits pétroliers, bénéficieront d’économies considérables en frais de transport (fret maritime pour l’export de brut et en retour pour l’import de produits raffinés.).
A cet égard, l’exemple du projet de raffinerie du Groupe Dangote est exemplaire et nous devons espérer qu’il sera une grande réussite. S’agissant des outils de raffinages existants, en l’absence d’investissements considérables des Etats en question- ce qui semble très improbable- on peut douter qu’ils parviennent à se développer. Nous pensons que l’objectif le plus réaliste est qu’ils se maintiennent à l’équilibre financier en tablant sur un soutien de leurs Etats respectifs lors des périodes où les marges de raffinages seront réduites.
Selon notre source bien informée, d’ici 2025, une raffinerie communautaire des pays membre de la CEMAC , pourrait voir le jour. Quel est votre commentaire ?
Le projet de raffinerie communautaire de la CEMAC semble très audacieux mais nous n’y croyons pas vraiment tant les obstacles sont nombreux. En effet, comment ces pays pourront-ils s’entendre sur la localisation d’une telle raffinerie compte tenu de leurs rivalités bien connues (Guinée Equatoriale vs Gabon, Congo vs Gabon, Tchad vs Congo etc..). De plus, la majorité des Etats composants la CEMAC sont producteurs de pétroles et ils souffrent tous grandement aujourd’hui de cours pétroliers qui stagnent à des niveaux historiquement bas. Aucun de ces pays ne semble actuellement en mesure de faire face à ses propres programmes d’investissements domestiques. Il apparaît donc très peu vraisemblable que des fonds –qui devraient être considérables- soient affectés à un investissement dans un autre pays de la zone CEMAC. Encore une fois, nous croyons plutôt à des investissements soit privés soit de sources extérieures à la CEMAC comme mentionné ci-avant.
En Afrique, plusieurs pays sont producteur du pétrole, mais malheureusement très peu raffinent leurs pétrole, quelles sont les raisons, selon vous ?
La raison principale a déjà été évoquée plus haut. Il est difficile à une raffinerie de petite taille et accusant un retard technologique d’être rentable sur la durée. Il aurait donc fallu que l’Afrique puisse attirer des investissements colossaux dans le secteur du raffinage comme on l’a vu faire depuis quelques années en Chine, en Inde ou dans les pays producteurs du Golfe. Ces investissements se chiffrant en centaines de millions de US dollars, voire en milliards, il est probable que les «risques pays» propres aux pays africains freinent encore les investisseurs étrangers. On constate à cet égard, que le seul projet de ce type est le fait d’un groupe milliardaire nigérian dans son propre pays. Si Dangote avait été un groupe chinois ou européen on peut douter fortement qu’il eut fait ce même investissement en Afrique !
D’après un constat officiel du juin 2015, les trois raffineries existant en zone CEMAC (Gabon, Cameroun et Congo) sont condamnées à perdre de l’argent. Quel est votre point de vue de ce constat ?
Ceci est malheureusement exact et nous revenons aux causes mentionnées ci-avant (taille réduite et retard technologique). De plus ces 3 raffineries appartiennent à des Etats dont les finances publiques souffrent énormément de la baisse dramatique des cours des matières premières. Nous pouvons donc craindre que les investissements en entretien et en personnel n’en soient que réduits plus encore. Le sort qui est celui de la TOR au Ghana, aujourd’hui totalement à l’arrêt, nous rappelle qu’une raffinerie qui devient progressivement obsolète risque à un certain stade de ne plus pouvoir être remise en fonction, sauf investissement colossal…
Quelle est la capacité actuelle de raffinage en Afrique ?
La capacité actuelle de raffinage de l’Afrique se situe entre 3.3 et 3.5 millions de barils de brut par jour. Le calcul de la capacité exact de raffinage en Afrique est rendu difficile par les difficultés politiques et sécuritaires affectant certains pays (la Lybie en premier lieu), ainsi que par les arrêts de fonctionnement de nombreuses raffineries africaines en raison de leurs difficultés économiques (SAMIR, TOR, etc..)
Selon une déclaration en mai 2013 du ministre iranien de l’énergie, Hassan Khosrojerdi, son pays envisage de construire dans quelques années six nouvelles raffineries en Afrique. Vous -voyez-pas que c’est une menace pour les raffineries déjà en activité en Afrique ?
Cette déclaration nous semble infondée, et nous ne la voyons pas être suivies d’effet. En réalité l’Iran est un pays dont le secteur pétrolier, après des années d’embargo, exige des investissements colossaux pour retrouver sa pleine capacité de production. Il apparaît donc totalement illusoire que l’Iran fasse des investissements conséquents en dehors de son territoire avant de très nombreuses années !
Quelle sont les menaces des raffineries en Afrique sur l’environnement ?
Le raffinage présente des risques environnementaux réels, en particulier en raison des rejets de gaz soufrés, mais cependant nettement plus réduits que les risques liés à la production pétrolière. Cette dernière activité, très présente en Afrique peut être en effet très dommageable pour l’environnement, en particulier dans des Etats où les pouvoirs publics sont réputés être laxistes. D’un point de vue environnemental, les raffineries africaines, qui sont de petites tailles, présentent des risques modérés. Il pourrait par contre être souhaitable que les raffineries qui seront construites à l’avenir le soient dans des lieux plus éloignés des villes que ce n’est le cas aujourd’hui.
Propos recueillis par Youcef Maallemi, Alger