La démission, le 27 janvier, de la désormais ancienne Garde des Sceaux française déborde le débat suscité par la proposition de loi sur la déchéance de la nationalité.
Christine Taubira a remis son tablier (geste approuvé par 8 français sur 10 selon un sondage Elabe de BFM TV) au moment même où le texte établissant une double catégorie de citoyens évoluait dans l’impasse montrant tous les signes d’une intervention chirurgicale.
C’est néanmoins ce projet de loi, confectionné suite aux attentats tragiques de novembre 2015, acte de divorce entre la gauche réaliste et la gauche angélique, qui est à l’origine de ce départ fracassant: «Je quitte le gouvernement sur un désaccord politique majeur. Je choisis d’être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats, mon rapport aux autres, à nous tels que je nous comprends. », argue celle qui était, à son corps défendant, la dernière caution de gauche d’un gouvernement dont le centre de gravité s’est déplacé à droite.
Jusqu’au bout, elle aura refusé la posture victimaire de la femme de couleur. Cela, en dépit des pancartes “Ya bon Banania” de certains extremistes et, à Anger, en 2013, face à une jeune fille qui lui lance «la guenon mange ta banane» sous le regard approbatif de ses parents. Jusqu’au bout, Taubira aura assumé sa fonction ministérielle dans une posture aux antipodes de ce qui préconisait Jean Pierre Chevenement.
Le mérite de cette femme de conviction aura été, en dépit des nombreuses provocations à la limite du racisme (L’on se rappelle de la couverture de Valeurs Actuelles) d’avoir trouvé la force intérieure pour rester dans le combat universel en faveur d’un nouveau projet de société.
La France et Le monde lui doivent le texte adopté en mai 2001 (et qui porte son nom) qui reconnaît l’esclavage et la traite négrière comme crime contre l’humanité. Cette grande avancée n’est-elle pas à comparer avec l’actuel projet établissant une hiérarchie entre français destinée, susurre-t-on, à permettre à la France de mieux lutter contre le terrorisme ?
La guyanaise qui s’est opposée à la loi sur les signes religieux à l’école en 2004 et porté à bras le corps le mariage pour tous a transcendé le débat qui rompt l’unicité citoyenne héritée de la révolution de 1789 entre le statut des français de souche et celui des naturalisés. Son tweet émis au lendemain de sa démission a été récupéré, commenté et partagé en boucle par les rèseau sociaux: «Parfois résister, c’est rester, parfois résister, c’est partir».
Ce n’est pas ce qu’en pense le premier ministre français, Manuel Valls, qui tacle son ex-collaboratrice en marge de sa présentation des voeux à la presse: «résister aujourd’hui, ce n’est pas proclamer, ce n’est pas faire des discours. Résister, c’est se confronter à la réalité du pays». Et d’enfoncer le clou: Parce que la gauche “gouverne dans une période particulièrement difficile, elle doit tenir. Il y a toujours la tentation de partir, il y a toujours la tentation de fuir ses responsabilités quand c’est difficile. Elle doit résister. Résister au cours des choses, pour tracer sa voie”. Bref, la rupture est consommée.
Cette démission est à placer plus généralement dans le constat du refus de la gauche de François Hollande et de son ministre des Finances, Emmanuel Macron, à appliquer une politique de gauche. Élu en 2012 avec une confortable majorité, François Hollande n’a pas résisté trop longtemps aux pressions des sondages. Son impopularité, «historique» aux yeux des commentateurs, et son obsession de plaire au patronat ont fini par lui imposer des réformes de droite.
Au final, ce départ renforce une gauche de marché carburant avec l’idéologie dominante des économistes orthodoxes et les plans des securocrates.
En se livrant aux forces du marché, cette grande fabrique du consensus, Hollande accélère l’idée même d’une alternative, ce vaste rassemblement des Forces de la gauche comme le réclame Pierre Laurent, secrétaire général du parti communiste français.
Tous ceux qui sont à gauche sont hors du gouvernement”, constate-t-il, appelant communistes, socialistes déçus, écologistes et Front de gauche à faire bourse commune : “Ces forces de gauche doivent maintenant se rassembler pour essayer de créer une alternative”. Il ajoute : “Il faut un nouveau projet de gauche”.
Reste à savoir si l’ancienne candidate du Parti radical de gauche, qui avait recueilli 2,3% des voix en 2002, barrant la route du deuxième tour à Lionel Jospin selon une certaine vision de cette défaite historique, arrivera à fédérer tous les déçus de la gauche sous sa coupole. Les sondages ont déjà la réponse. Quelque 82% des français trouvent que Taubira ne ferait pas une bonne candidate aux prochaines présidentielles. C’est clair, le Barack Obama à la française n’est pas pour 2017.