La gueule de bois mettra encore du temps à s’estomper. Moins de 24 heures après les attaques terroristes qui ont fait plus de 20 morts à Grand Bassam, angle mort situé à 40 km au sud-est de la capitale économique, Abidjan, l’heure est à l’inventaire des moyens tactiques et stratégiques de l’armée, des forces de défense et de renseignement ivoiriens.
L’intervention des forces spéciales ivoiriennes à bord de leurs blindés, des Dozzos (chasseurs traditionnels) et de la Force d’intervention rapide (FIR), 45 minutes après les premiers coups de feu, la mise en place d’un numéro de renseignement pour les familles des victimes, les messages de fermeté des autorités, d’abord à travers Hamed Bakayoko, ministre de l’Intérieur, puis par le message concis et informatif (l’on reconnaît là l’ex haut fonctionnaire du FMI) du président Alassane Ouattara, qui tous deux, déployés sur les lieux de l’attaque, ont annoncé que la situation était «under the control», laisse supposer que la Côte d’Ivoire était préparée depuis longtemps à cette terrible éventualité.
Ainsi, plus de 100 sites stratégiques faisaient l’objet d’une surveillance accrue depuis plusieurs mois. Des patrouilles permanentes sillonnent artères et carrefours des grandes villes. Dans un entretien de ce matin avec Radio France Internationale, Venance Konan de Fraternité Matin, affirme que des éléments de renseignements corroborent une tentative d’attentat déjouée sur le sol ivoirien entre les attaques du Radisson Blu de Bamako et ceux du restaurant Capucino à Ouagadougou.
Bref, au lendemain de telles attaques, jamais survenues en Côte d’Ivoire, le vieux réflexe sécuritaro-securitariste risque de prendre le dessus. Déjà certains leaders d’opinions, déplorant une porosité réelle et fantasmée des frontières de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), appellent à un tour de vis.
La même peur qui a dicté l’Amérique de l’après 11 septembre 2011 à instaurer le liberticide Patriot Act et la France à renoncer à une part du legs bicentenaire de la révolution de 1789 en instituant le principe de la déchéance de la nationalité (sous un gouvernement socialiste s’il vous plaît ) au lendemain des attentats de novembre 2015, poussera-t-elle la puissante locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest à restreindre la libre circulation entre ce qui constitue désormais son arrière-pays, à savoir l’UEMOA et, par extension, la CEDEAO ?
Nous pensons que le pragmatisme du président Ouattara aura raison de ses faucons sécuritaires.
En fait le problème n’est pas tant la porosité des frontières que l’absence de coopération accrue entre les services de renseignements. Leur morcellement et leur restriction dans des frontières nationales ne leur permet pas de vaincre un phénomène transnational aux relents mondialisants. L’organisation AQMI qui a construit son système sur les zones transfrontalières et les solidarités transnationales aura toujours une longueur d’avance tant que les armées, les polices et les gendarmeries de l’UEMOA comme du Sahel n’auront pas créé un vrai système mutualisé de renseignement, avec des QG mixtes, des groupements d’intervention mobile mixtes et des moyens de financement inter-étatiques. Sans l’intégration de nos forces de sécurité et de défense, l’on sera toujours, suprême aberration, à douter de la dangerosité du principe de la libre circulation des biens et des personnes et peut-être du principe même des échanges économiques.