«La monétique est un puissant accélérateur de l’inclusion financière»
A la tête de GIM-UEMOA depuis ses premiers balbutiements, il y a 13 ans, Blaise Ahouantchédé a le triomphe modeste. Cheville ouvrière du grand succès qu’est aujourd’hui l’intégration monétique régionale dans l’espace UEMOA, ce quadra béninois n’aime pas les feux de la rampe. En nous recevant à Dakar, dans les locaux «studieux» de l’organisation régionale, il a dû faire concession avec lui-même et sortir de cette tour d’ivoire que l’écrivain français Honoré de Balzac décrivait comme «la solitude de l’inventeur». Libre de toute chapelle politique ou idéologique (mis à part l’intégration africaine), M. Ahouantchédé estime que la monétique est un puissant accélérateur de l’inclusion financière. Exclusif.
Quelles sont les grandes étapes du projet de l’intégration monétique régionale? Quels en sont les enjeux et les perspectives?
Tout est parti d’abord de la volonté des Chefs d’Etat, du Conseil des Ministres de l’Union Monétaire Ouest-africaine (UMOA) impulsée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), de moderniser les systèmes et moyens de paiement. La monétique, communément appelé « MONETIQUE-UEMOA », troisième composante de cette réforme aux côtés des chantiers STAR-UEMOA et SICA-UEMOA gérés par la Banque Centrale, a bénéficié d’une approche privée dans sa gouvernance car il s’est agi d’impliquer les acteurs concernés en premier, c’est-à-dire les banques, dans la gouvernance du projet. Le Groupement Interbancaire Monétique (GIM-UEMOA) a été ainsi porté sur les fonts baptismaux en septembre 2002 à Abidjan avec la signature du premier protocole d’accord interbancaire entre les banques fondatrices à qui je dois de rendre un hommage mérité. Ce protocole de départ, résultat d’un consensus entre les acteurs sous l’égide de la BCEAO, indiquait clairement les orientations du projet relativement à la Gouvernance mais au aussi au plan technique et opérationnel. Il en est découlé la mise en place de deux organes juridiquement distincts mais à vocation complémentaire : le GIM-UEMOA, organe de Gouvernance, créé en 2003 et le CTMI-UEMOA, bras technique de l’organisation, qui a vu le jour en 2005. Les deux ensembles ont été rapprochés en 2010 pour une meilleure rationalisation des moyens. Depuis ce rapprochement salvateur, GIM-UEMOA connaît des progrès importants tant au plan de l’interbancarité, de l’interopérabilité que de la compensation opérations monétiques traitées par la plateforme.
Comment définirez-vous ces trois éléments que vous venez de citer et qui reviennent souvent dans le jargon de la monétique en général et de GIM-UEMOA en particulier?
L’interbancarité est d’abord fondée sur une construction juridique qui regroupe l’interopérabilité qui est purement technique et l’ensemble des règles/normes qui déterminent les échanges de flux financiers entre les acteurs qui participent à l’écosystème. Les droits et les obligations des membres sont définis à travers les documents juridiques qui en fixent la gouvernance du système. Ainsi, les questions de tarification interbancaire, d’acquisition des transactions, de gestion des litiges, de promotion de la marque et d’acceptation des cartes sont gérées dans le cadre de l’interbancarité et dans une certaine mesure, vu l’évolution du monde des paiements avec l’arrivée de nouveaux acteurs, au travers des accords d’interopérabilité. A titre d’exemple, tous les membres de GIM-UEMOA sont tenus d’accepter sur leurs infrastructures (DAB et TPE), toutes les cartes agréées par le groupement. C’est le cas de la BICIS, de la CBAO AttijariWafa Bank, de la Société Générale ou encore d’Orabank, etc. Selon les accords interbancaires, toute banque membre du GIM-UEMOA, tout en étant libre d’émettre les cartes bancaires en fonction de sa stratégie commerciale, est toutefois tenue d’accepter sur ses infrastructures DAB et TPE, toutes les cartes habilitées par le groupement : c’est l’essence même de l’interopérabilité/interbancarité qui débouche in fine sur la compensation. C’est l’une des missions principales du GIM-UEMOA et c’est pour cela que la Banque Centrale qui en dernier ressort, est garante de la sécurité des systèmes de paiement dans la zone UEMOA, y accorde une attention particulière, ne serait-ce que sous l’angle de la maîtrise du risque systémique et de la protection nécessaire des consommateurs qui pourraient être exposés.
Quelle est la sécurité juridique offerte aux clients, usagers du réseau GIM-UEMOA?
Lorsqu’un client effectue une opération interbancaire au niveau des guichets des banques interconnectées au réseau GIM, les transactions sont non répudiables et garanties. Le client est sécurisé de bout en bout. GIM-UEMOA a dû mettre en place tout un dispositif juridique qui encadre les échanges de flux (autorisation), la compensation des opérations, la gestion des litiges, la tarification interbancaire et l’acceptation des cartes sur les infrastructures des participants. Il s’agit d’une plateforme unique, la plus intégrée au monde, gérant toute la chaîne de valeur des transactions interbancaires et interopérables qu’elles soient cartes, internet, mobiles. Les solutions déployées couvrent les fonctions routage, compensation et règlement.
Mieux, il y a plusieurs solutions à valeur ajoutée développées par GIM-UEMOA au profit des banques dans le cadre de relations B to B pour leur permettre d’avoir l’ensemble des services proposés à leurs clients. Cela concerne les services d’accès aux réseaux MasterCard ou Visa, des partenaires, qui peuvent apporter de la complémentarité à l’offre régionale de GIM-UEMOA. Nous avons par exemple, dans nos différentes offres, une plateforme mise à la disposition des banques pour leur permettre d’émettre des cartes prépayées et une plateforme de paiement en ligne ou de services financiers mobiles. Le tout pour faciliter la proposition de services et de valeur au profit des clients de la banque et réussir ainsi le défi de l’inclusion financière qui constitue la finalité de la monétique régionale.
On a souvent l’impression qu’il y a une rivalité manifeste entre GIM-UEMOA et Visa ou MasterCard ?
Je vous rassure sur ce point. Ce sont des partenaires de GIM UEMOA. Au départ du projet de la monétique régionale, il y avait un besoin des populations de la zone UEMOA, des classes moyennes et des catégories à faibles revenus, d’avoir un produit qui leur permet de réduire progressivement l’usage du cash et privilégier les moyens de paiement. C’est pourquoi, nous avons développé une carte au label GIM-UEMOA qui, j’en conviens, se confond avec le nom de l’institution mais qui, après tout, reste un moyen de paiement. A côté de cette marque d’acceptation GIM-UEMOA, les autres doivent exister et ont leurs places. Les cartes Visa, MasterCard, American Express doivent circuler dans notre zone. Il s’agit comme je l’ai dit, de créer un réseau d’acceptation efficace qui accepte tout type de moyens de paiement quel qu’en soit l’origine. Nous avons d’ailleurs d’excellentes relations avec ces émetteurs au point qu’ils ont accepté le co-marquage et les cartes émises par les banques dans ce contexte, dans leur usage dans la zone UEMOA, sont traitées par le GIM et les transactions compensées en monnaie locale FCFA.
Beaucoup de porteurs de cartes continuent pourtant à se plaindre du fait que Visa et MasterCard continuent à compenser leurs transactions en dollars ?
Écoutez, il y a une décision salutaire du Conseil des Ministres de l’UMOA en date du 29 septembre 2015 qui oblige tous les acteurs habilités à compenser en monnaie locale FCFA. C’est une décision importante qui conforte ce que GIM-UEMOA fait déjà depuis 2007, année de démarrage de la partie opérationnelle de notre activité. A cet égard, nous disposons d’un peu plus de 8 années d’expériences dans la compensation des opérations interbancaires en monnaie locale, mission qui nous a d’ailleurs été confiée il ya quelques années par la BCEAO, laquelle, compte tenu des risques, avait le souci de maîtriser un aspect de la chaîne qui n’est pas sans risques dans les équilibres macroéconomiques de l’Union. C’est le lieu de saluer la clairvoyance des Autorités politiques et monétaires et, à travers elles, la bonne vision du Gouverneur de la Banque Centrale pour la mise en place d’un certain nombre d’instruments et de mécanismes destinés d’une part, à faciliter l’inclusion financière et la bancarisation et, d’autre part, à renforcer l’intégration économique et financière ainsi que le développement de nos Etats.
Après 13 ans d’activité, quel bilan global peut-on faire de GIM-UEMOA?
Aujourd’hui, GIM-UEMOA dispose d’un réseau de 3500 guichets automatiques et 2500 TPE interconnectés avec, selon les dernières statistiques, plus de 3,5 millions de cartes à fonction régionale GIM en circulation. En 2015, le réseau a enregistré près de 6 millions de transactions traitées et compensées pour un volume de flux financiers monétiques de l’ordre de 500 milliards de FCFA. Notre réseau compte 110 banques interconnectées dont des institutions de microfinance, des établissements de monnaie électronique et quelques sociétés postales, ce qui témoigne d’une interopérabilité élargie à tous les acteurs à la fois bancaires et non bancaires pourvu que ces derniers soient habilités par la BCEAO à émettre les moyens de paiement ou la monnaie électronique. Vous le voyez, les chiffres parlent d’eux-mêmes. Après plus de dix années d’existence, le GIM a réussi grâce bien entendu au soutien de la Banque centrale et de la communauté bancaire, sa première mission qui est de doter la zone d’un système interbancaire monétique régional sécurisé qui couvre les 8 pays. Le chemin n’a pas été facile, j’en conviens car il a fallu asseoir une approche concertée dans la construction de cette coopération interbancaire autour de GIM en privilégiant le consensus. La force de GIM-UEMOA, nonobstant quelques incompréhensions sur notre positionnement, est d’avoir réussi à fédérer tous les acteurs bancaires, financiers et non bancaires dans le modèle mis en place et c’est unique au monde. Au demeurant, nous encourageons que de tel système profite aux Etats et aux populations de notre Union et de l’Afrique car toutes les études montrent que l’adoption du numérique et des paiements électroniques est source de croissance qui peut aller de 1 à 3% du PIB. La transformation digitale dans les économies est au cœur des stratégies de tous les pays du monde.
Quelles sont les perspectives d’avenir ?
A l’évidence, dans un monde où le paiement électronique connaît un essor important, avec l’arrivée de nouveaux acteurs qui sont les fabricants et les opérateurs de téléphonie mobile, les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) ainsi que les FinTech, il était important que le GIM puisse se projeter pour l’avenir en s’assurant de la pérennité de son modèle tout en préservant les acquis. Conscient de l’apparition de nouveaux paradigmes dans les modes de paiement avec des enjeux forts d’innovation technologique, le GIM se doit de penser à son futur en ayant à l’esprit toujours l’inclusion financière et la bancarisation, base du financement de nos économies. La plateforme proposée par GIM peut demain être un catalyseur pour l’accès à moindre coût des populations les plus reculées aux services financiers inclusifs mais également servir pour la collecte efficiente de l’épargne intérieure nécessaire au financement de nos Etats. S’agissant des perspectives immédiates, nous avions inscrit au rang de nos priorités, une étude stratégique décennale pour nous éclairer et permettre aux acteurs de GIM (que je remercie au passage) de pouvoir se projeter davantage pour un GIM-UEMOA plus fort au service des Etats et des populations de l’UEMOA voire de la CEDEAO et de l’Afrique.
A quand donc une intégration monétique entre l’UEMOA, la CEMAC et les autres ensembles comme la CEDEAO et le Maghreb?
C’est une excellente question. Je fais partie des écoles qui pensent que GIM-UEMOA ne doit pas se limiter à une seule région. Nous devons nous inscrire dans un marché africain dynamique qui sera de 2,5 milliards d’habitants à l’horizon 2050. Contrairement aux modèles des émetteurs Visa et MasterCard, qui sont des modèles top down, je considère, et cela n’engage que moi, que les pays et les régions doivent garder leur souveraineté en matière de choix des systèmes et moyens de paiements au regard de leur vison. Nous devons encourager les échanges entre les zones. Il faut chercher dans cette forme de convergence et d’intégration, les moyens de faire en sorte que les consommateurs s’y retrouvent et y gagnent. Il est incompréhensible qu’une transaction monétique opérée entre l’Afrique Centrale et l’Afrique de l’Ouest, deux sous-zones FCFA, nécessite une conversion et l’intervention d’un tiers. La technologie, en avance sur la règlementation, nous permet de faire un saut qualitatif. Si nous ne le faisons pas, nous allons le subir. Les différentes formes de monnaie électronique comme les Bitcoins transcendent les frontières. Si nous voulons avoir un marché fort, nous devons intégrer ces nouveaux paradigmes. L’avènement des systèmes de paiement à vocation régionale favorisent les échanges transfrontaliers. Or, la persistance de nos frontières réglementaires favorise plutôt les multinationales qui deviennent de facto, les «passeurs» entre nos zones. L’Afrique doit prendre en charge son économie dans toutes ses dimensions pour réussir le défi de l’intégration. La CEDEAO, forte de 300 millions d’habitants est un marché de libre circulation des personnes, des biens mais aussi devrait l’être pour les moyens de paiements (on a tendance de l’oublier) pour parachever l’intégration de l’Afrique de l’Ouest.