« Il semble que nous soyons tous d’accord pour penser que les solutions sont à chercher en Afrique même », a déclaré Charles Boamah, en marge de la deuxième journée de l’Africa CEO Forum, à Abidjan. Le premier vice-président par intérim et chef des opérations de la Banque africaine de développement (BAD) était le modérateur d’une table ronde dédiée à la force et au potentiel des marchés de capitaux africains. Unanimes, les panélistes sont convenus que l’Afrique dispose des moyens financiers pour répondre à ses besoins de développement, et les échanges se sont concentrés sur les méthodes à utiliser. Parce que « nécessité est mère de l’invention », l’Afrique s’est réinventée pour pouvoir financer ses propres besoins, a déclaré Charles Boamah. Mais elle doit faire davantage encore, et plus rapidement. Que doit faire le continent, et comment, pour poursuivre sa marche en ce sens ? Cette question a nourri les débats et échanges de a table ronde.
Luc Rigouzzo, associé gérant d’Amethis Finance, a jeté les bases de la discussion : « L’Afrique dépend-elle vraiment à ce point du reste du monde pour son devenir économique ? » Et de répondre d’emblée : « Non ! », car tout indique le contraire. Preuve en est notamment la résilience dont font preuve des pays africains dépourvus de ressources naturelles face au contexte défavorable de la conjoncture économique mondiale. Quant à savoir si l’Afrique a atteint la maturité nécessaire pour envisager son autofinancement, M. Rigouzzo a répondu par l’affirmative. Et de faire remarquer que les flux financiers de l’Afrique sont déjà en grande partie africains, le total des flux financiers extérieurs s’élevant en fait à moins de 8,4 % du PIB global de l’Afrique, estimé à 2 500 milliards de dollars EU. Composés pour 0,6 % d’euro-obligations, pour 0,7 % d’investissements de portefeuille, pour 2,6 % de transferts de particuliers, pour 2,2 % d’aide publique au développement et pour 2,2 % d’investissements directs, ces flux de financement extérieurs représentent moins de 10 % des flux financiers annuels. En revanche, les crédits domestiques accordés au secteur privé représentent au moins 36 % de ces flux, et les recettes fiscales endogènes, au moins 22 %.
Prenant la parole à son tour, Ngozi Okonjo-Iweala, ex-ministre nigériane des Finances et ancienne vice-présidente de la Banque mondiale, devenue aujourd’hui conseillère principale auprès de la Banque Lazard, a souligné que les besoins de financement de l’Afrique et du reste du monde pour répondre aux besoins de développement sont incontestablement énormes, et qu’accroître les recettes fiscales de l’Afrique (qui représentent environ le cinquième de son PIB], de sorte qu’elles atteignent un tiers du PIB en moyenne comme c’est le cas pour les pays de l’OCDE, aurait un effet transformateur. Comme déployer les quelque 380 milliards de dollars EU gérés par les caisses de retraite africaines au profit d’investissements infrastructurels et productifs. Toutefois, a-t-elle ajouté, seules de saines politiques macroéconomiques pourront permettre de consolider les acquis et stimuler la croissance.
Le vice-président et trésorier de la Société financière internationale, Jingdong Hua, a dit avoir tiré les leçons de la crise financière asiatique de 1997, à l’issue de laquelle les dirigeants politiques d’un ensemble de pays de l’Asie du Sud-Est ont pris la ferme décision de ne plus jamais dépendre de flux de capitaux étrangers, et de privilégier au contraire l’essor de marchés des capitaux sur leurs propres territoires. Les résultats de cette décision, a-t-il ajouté, sont assurément éloquents. Selon Jean Kacou Diagou, président de la Fédération des organisations patronales de l’Afrique de l’Ouest, une forme de financement local qu’il conviendrait de mobiliser pourrait provenir de l’assurance : « Cette approche ne s’inscrit pas dans notre mentalité africaine, mais devrait en faire partie, a-t-il dit. S’ils disposent de l’environnement réglementaire approprié, les Africains commenceront à prendre des polices d’assurance leur permettant d’épargner pour le long terme ».
Le directeur général du groupe Ecobank, Ade Ayeyemi, a quant à lui évoqué des attitudes « innées ». « L’épargne et la recherche de ressources au niveau local sont enracinées dans notre culture, » a-t-il affirmé. « Les conditions adéquates étant réunies, nous aurons à encourager l’épargne pour le long terme. Et uen fois la confiance instaurée, les investisseurs auront l’assurance de toucher un rendement décent et de ne pas voir la valeur de leur épargne grignotée par l’inflation. Ce dont nous avons besoin, c’est de la confiance, et toujours plus de confiance, de la part de nos épargnants. […] Ce qui implique de la discipline, et toujours plus de discipline, de la part de nos gouvernements ». « Ce sont des banques solides et des institutions solides qui génèrent du crédit », a renchéri Henri-Claude Oyima, de la Banque BFGI, sacré la veille ” Banquier de l’Année ” par l’Africa CEO Furum.
Qu’est-ce qui garantira le succès des marchés des capitaux africains ?, avait demandé Charles Boamah aux intervenants. La liberté d’investir et la volonté de l’État de faire confiance au secteur privé pour investir, a répondu M. Oyima. La confiance, générée à la fois par les pouvoirs publics et les populations, a déclaré M. Ayeyemi. L’encouragement à épargner et à investir localement, selon M. Diagou. La localisation, qui consiste à se concentrer sur les marchés des capitaux locaux et à emprunter en monnaie locale, de l’avis de M. Hua. La discipline, c’est-à-dire l’adhésion aux disciplines macroéconomiques qui ont servi à l’Afrique ces dix dernières années et la réduction des perceptions de risque qui continuent à affecter la croissance africaine, du point de vue de M. Okonjo-Iweala. Et Jingdong Hua de résumer pour conclure : « Développer des marchés des capitaux locaux est une nécessité, non un luxe ».
La quatrième édition de l’Africa CEO Forum, rencontre internationale de chefs d’entreprise, de banquiers et d’investisseurs africains, a eu lieu les 21 et 22 mars 2016 à Abidja