Adama Wade, envoyé spécial à Addis Abeba.
La conférence économique africaine qui s’ouvre ce 31 mars à Addis Abeba se penche sur la mise en œuvre, le suivi et l’évaluation de l’agenda 2063.
L’exécution de ce programme continental rencontrera, comme le rappelait récemment la présidente de la Commission de l’Union Africaine, Dlamani Zuma, «des risques internes comme externes». Le caractère multidimensionnel de cette vision prospective adoptée en janvier 2015 par la conférence des chefs d’Etat de l’Union Africaine constitue le premier défi à relever de l’avis des observateurs.
En effet, passé la profession de foi, l’heure est désormais à la traduction des bonnes intentions en plan d’action décliné au niveau des 8 Communautés régionales africaines et des 54 Etats. Le tout en coordination avec l’agenda 2030 des Objectifs de développement durable adopté en septembre 2015 à New York*(1).
La difficulté de l’intégration n’est pas une exception de l’Afrique, rappelle Carlos Lopes, Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA). Dans une tribune publiée à la veille de l’événement, l’économiste Bissau Guinéen appelle l’Afrique, «continent de 30 millions de kilomètres carrés de terres émergées», à s’inspirer des difficultés rencontrées récemment par l’Europe dans l’harmonisation de sa politique monétaire et l’exécution de son programme d’intégration.
En Afrique, «le débat sur l’intégration porte principalement sur ses dimensions politiques et l’idéal suprême panafricain», insiste M. Lopes qui appelle à un saut qualitatif vers «un débat et un point de mire plus techniques, en partie pour rendre ces nobles idéaux politiques plus crédibles, mais aussi parce que le monde évolue trop vite pour attendre les retardataires beaucoup plus longtemps».
Bref, l’application de l’agenda 2063 nécessitera encore de la volonté politique, ce carburant qui a manqué tant au plan de Lagos pour l’industrialisation de l’Afrique. Si par le passé, tous les plans continentaux ont butté plus ou moins sur les priorités et les visions souverenistes, rien n’indique qu’aujourd’hui la donne a radicalement changé. «L’Afrique doit s’employer à former un tout cohérent (ou, pour emprunter le jargon des entreprises, procéder à sa rationalisation et à la fusion de ses États) afin de réduire ses frais généraux», explique M. Lopes dans sa tribune publiée par Financial Afrik.
Un débat avant tout technique
Parmi les sujets techniques qui feront l’objet de rapports durant la semaine économique africaine, il y a la place des Investissements directs étrangers (IDE) dans les politiques de développement des pays. En toile de fond, la corrélation entre les traités bilatéraux d’investissement et les flux d’investissement accrus dans les pays.
L’importance de la réunion d’Addis Abeba réside en général dans une approche particulière d’un débat d’experts basé sur les faits et les investigations poussées qui aboutissent souvent à une remise en cause de certaines méthodes. «Ceux qui contrôlent les chiffres, contrôlent le discours. Sans chiffres et statistiques essentielles, la planification du développement devient un exercice de devinette», rappellent les experts de la Commission économique africaine.
C’est cette démarche factuelle qui inspire le rapport sur la gouvernance en Afrique intitulé «Évaluer la corruption en Afrique: la dimension internationale est importante». Le document qui sera publié en marge du forum invite les les pays africains et les partenaires à ne pas recourir aux moyens d’évaluation de la corruption basés sur des perceptions et leur demande d’adopter des approches basées sur des critères factuels, objectifs et quantitatifs, afin de créer des institutions de gouvernance économiques solides.
Méga plateforme
Rappelons que ce grand rendez-vous d’Addis Abeba est une plateforme entre d’une part la Conférence des ministres africains de la Finance, de la planification et du développement économique et, d’autre part, le Comité technique spécialisé de l’Union africaine sur les finances, les affaires monétaires, la planification économique et l’intégration.
En marge de la rencontre, le forum des anciens chefs d’Etat et de gouvernement tiendra son assemblée générale à huis clos autour des thématiques de la gouvernance des ressources minérales et de la lutte contre les flux financiers illicites dans le cadre de la vision 2063. En outre, il sera aussi question de l’immigration, phénomène dont la dimension afro-africaine est minorée dans les différentes approches et évaluations*(2).
En 2015, 30 millions de migrants africains ont envoyé plus de 66 milliards de dollars d’envois de fonds vers l’Afrique, venant en aide à au moins 120 millions de membres de famille restés au pays. Ces données officielles de la Banque mondiale, qu’il faudrait retraiter des coûts de transferts élevés vers l’Afrique et de la forte utilisaation des canaux informels ou non réglementés ont le mérite de mettre en évidence l’importance des transferts de la diaspora, qui dépassent l’aide publique au développement et les IDE.
Les différents flux (transferts de la diaspora, IDE, APD) restent corrélés à la conjoncture mondiale. Le caucus des gouverneurs des banques centrales africaines, évènement consubstantiel au forum économique africain, apportera sans doute des éclairages sur les approches stratégiques à adopter pour maintenir la stabilité macroéconomique et le financement des programmes nationaux de transformation si indispensables à La vison 2063.
-1*Le samedi 2 avril de 9h à 16 heures, se tient la dix-septième réunion du Mécanisme de coordination régionale pour l’Afrique, coprésidée par le Vice-Secrétaire général de l’ONU et le Vice-Président de la Commission de l’Union africaine. L’objectif est de parvenir à un consensus sur un mécanisme de mise en œuvre du cadre applicable au Partenariat entre les Nations Unies et l’Union africaine pour le programme d’intégration et de développement de l’Afrique pour 2017-2027, et sur la reconfiguration du Mécanisme de coordination régionale pour l’Afrique, conformément à l’Agenda 2063 et au Programme 2030.
-2 *Programmée le samedi 2 avril de 9h à 11h, cette manifestation parallèle, organisé par la CEA, rassemblera un groupe d’experts, parmi lesquels M. Ibrahim Assane Mayaki, directeur général du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), M. Alioune Sall, directeur exécutif de l’Institut des Futurs Africains, et le professeur Mariama Awumbila, du Centre d’études des migrations de l’Université du Ghana.