C’est tout un pan du système opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux qui vient d’être dévoilé par une longue enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation.
11,5 millions de fichiers et 214 000 entités extraterritoriales provenant des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialisé dans la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015, ont pu être disséqués pour mettre à nu les noms de personnalités soupçonnées, à tort ou à raison, de vouloir masquer leurs opérations financières afin de se dérober de toutes formes contrôles.
Des ministres, hauts fonctionnaires, des sportifs, des dirigeants d’entreprise, des hommes d’affaires etc. de toutes nationalités sont cités comme acteurs de cette affaire dénommée «Panama Papers».
Contrairement à ce à quoi l’on s’était habitué, aucun chef d’Etat africain en activité n’a été nommément impliqué dans ces affaires. Par contre, des personnes, parfois très proches ou gravitant autour des cercles de pouvoir du continent, et des personnalités africaines de premier rang apparaissent dans les fichiers de Mossack Fonseca.
Des proches des pouvoirs africains cités
D’après les premiers documents publiés par le journal français Le Monde, des progénitures de chefs d’Etat, présentés comme des «hommes d’affaires» figurent bien au nombre des personnes ayant des comptes dans des paradis fiscaux via Mossack Fonseca.
C’est le cas de John Addo Kufuor, fils aîné de l’ex président ghanéen John Agyekum Kufuor. Actif dans l’hôtelière, son nom apparaît dans les livres de Mossack Fonseca dès 2001, année de l’élection de son père, dans des entités liées à un compte au Panama, puis à deux autres sociétés enregistrées aux Iles Vierges britanniques.
Denis Christel Sassou-NGuesso est un autre «fils de». Ce parlementaire, notamment directeur général adjoint de la Société nationale des pétroles du Congo, est présenté comme le fondateur de Phoenix Best Finance, immatriculé aux Iles Vierges britanniques.
Egalement, Kojo Annan, le fils de l’ancien secrétaire général de l’ONU et Laolu Saraki, fils de l’ancien sénateur nigérian Abubakar Olusola Saraki, sont présentés comme associés de la société Blue Diamond Holding Management Corp, établie aux Iles Vierges britanniques. Puis de Sutton Energy finallement transféré aux Iles Samoa.
Une Kabila figure parmi les noms révélé par le confrère. Il s’agit de Jaynet Désirée Kabila, la sœur jumelle de Désiré Kabila, le président de la RD Congo. Elle a codirigé Keratsu Holding Limited enregistré en 2001 à Niue, un pays insulaire de l’Océan Pacifique sud inscrit sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE.
On y retrouve également Emmanuel Nadihiro, ex patron des renseignements et général de l’armée rwandais, proche de Paul Kagamé, qui fut directeur de Debden Investments Limited, ouvert aux Iles Vierges britanniques en 1998 avant d’être clôturé en 2010.
L’actuel ministre angolais du pétrole, José Maria Botelho de Vasconcelos, fut fondé de pouvoir de la société Medea Investments Limited au capital d’un million de dollars, logé dans l’Etat de Niue, puis aux Iles Samoa, entre 2001 et 2009. « La société est détenue par des actions au porteur, ce qui permet de rendre anonymes ses véritables détenteurs et d’opacifier ses structures financières », souligne le confrère de Le Monde.
Autre ministre en fonction, l’Algérien Abdeslam Bouchoureb, ministre de l’Industrie et des mines, dont la société établie au Panama est de création récente, avril 2015.
La liste est bien longue et comprend Le banquier ivoirien N’Da Ametchi, ex directeur général de la banque publique Versus Bank sous le régime de Laurent Gbagbo dont il est un proche. Clive Khulubuse Zuma, le neveu du président sud-africain, Kalpana Rawal, vice-président de la Cour suprême du Kenya, Bruno Itoua, ministre congolais de la Recherche, Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi du Maroc. Ou encore Alaa Moubarak, le fils de l’ancien président égyptien, Mamadie Touré, 4ème épouse de l’ex président Guinéen Lansana Conté.
Les journalistes prévoieng de nouvelles révélations dans leurs prochaines publications. Le listing est loin d’être exhaustif.
Comment va-t-on réagir en Afrique ?
Approchés par le confrère français, les individus qui ont bien voulu s’exprimer, souvent par le biais de leurs conseils, évoquent des activités en toute légalité, du moins qui n’enfreignent pas les législations des pays concernés. Certes, mais le fait est que les paradis fiscaux accueillent, bien souvent, des sociétés écrans qui servent à blanchir et à recycler des capitaux, à extraire discrètement des capitaux des Etats, et à se soustraire au fisc. Le chiffre de 60 milliards de dollars est souvent avancé pour estimer les capitaux qui sortent illégalement du continent chaque année.
En occident, en France, en Islande, en Allemagne, aux Pays-bas, etc., et ailleurs comme au Brésil, la société civile, les services du fisc et les autorités judiciaires sont en alerte, qui pour dénoncer des pratiques louches, qui pour enquêter (si ce n’est déjà le cas) à l’encontre de leurs contribuables en cause. En sera-t-il de même en Afrique ? Là, le silence se fait assourdissant.
En Afrique du Sud où le président Jacob Zuma (dont les noms de six proches sont cités) est mis à rude épreuve par l’appareil judiciaire, il est fort probable que la justice veuille donner une suite aux Panama papers. Mais ailleurs sur le continent, la proximité aux lieux de pouvoir est parfois beaucoup trop forte pour espérer une quelconque suite. Espérons en tout nous tromper.
Le cabinet d’avocats Mossack Fonseca n’a pas tardé à réagir sur ce qu’il a qualifié de « crime » et d’ « attaque » contre le Panama. Les autorités du pays ont, quant à eux, assuré de leur « coopération vigoureuse » en cas de procédures judiciaire.