Nous publions ici la réaction de Jean-Luc Koffi Vovor suite à la lecture du livre “En finir avec le mythe de Tarzan” de notre collègue Adama Wade. Monsieur Vovor, est président de Kusuntu Le Club, un think tank de la diaspora positionné en catalyseur et passeur entre les capitaux et compétences disponibles de part le monde et les besoins de ressources nécessaire à l’émergence des nouvelle frontières économiques.
Je ne peux m’empêcher de réagir à la parution récente de l’excellente analyse de mon ami Adama Wade dans son ouvrage « En Finir avec le mythe de Tarzan ». Le sous-titre de l’ouvrage le place dans la droite lignée d’Axelle Kabou qui en 1990 dénonçait le probable refus de l’Afrique à sortir du développement. Il m’inspire aussi un ouvrage paru en ce premier trimestre 2016 et commis par l’entrepreneur Togolais Jonas Daou « Développons-nous … enfin »
« Les élites africaines face à leurs propres responsabilités historiques » voici donc ce dont il s’agit ! Dans ma correspondance de félicitations à Adama, j’indiquais, « Le seul point crucial est la nature humaine et l’inertie au changement qu’elle porte. Nos élites, au rang desquels nous-mêmes, seront-elle prêtes à se défaire des privilèges dans lesquels la colonisation nous a installé lors des indépendances ? Telle est vraiment la question. Tarzan semble ainsi malheureusement avoir de beaux jours ». Sa réponse fût : « Je m’inscris vraiment dans ton constat: “Tarzan a encore de beaux jours” – Nous sommes dans un monde où ce sont les élites privilégiées qui retardent le changement. Ce sous- équipement que tu évoques dans ta dernière contribution dans Financial Afrik traduit aussi une sous-valorisation de l’africain vis-à-vis de l’africain lui-même. »
Il ne nait point en ce moment de sentiments pessimistes par rapport aux perspectives de l’Afrique mais un réalisme à propos de l’expression des avancées économiques effectives sur le continent africain fait toucher du doigt par toute une génération qu’elle ne sera pas témoin de la fameuse émergence, sauf s’il survenait une prise de conscience forte et l’acceptation des sacrifices nécessaires ainsi que la mise en œuvre de ces sacrifices : abandonner les privilèges et construire le continent avec en perspective le bien être du plus grand nombre. La simple analyse dans les comptabilités nationales des déterminants de la hausse des PIB des états en Afrique confirme que celle-ci, pour le moment ne profite que peu aux populations.
La réalisation de nos rêves est au prix du travail et de la détermination dit-on et le développement du continent ne peut se faire si un modèle de développement endogène n’est pas imaginé et mis en œuvre par les élites et dirigeants africains, notamment par l’abandon du modèle d’extraversion économique qui poursuit le modèle existant avant les indépendances. A la base de cette extraversion, le fait que les élites africaines n’ont fait que se substituer à l’administration qui prévalait aux époques d’avant les indépendances en n’y apportant que très peu de prospectives. Ce modèle se retrouve d’ailleurs dans les choix éducatifs qui ont été fait depuis et jusqu’à ce jour.
Nul contemporain de notre époque n’a assisté à l’émergence et au développement des pays riches. Ainsi, nul économiste du développement n’a connu les époques de développement des pays riches. Mais l’histoire économique est riche d’enseignements dans lesquels puiser. A ce titre, nul pays riche ne s’est construit sur la base d’une économie d’extraversion basée sur l’exportation de ses matières premières. Au contraire, la recherche de matières premières externes est venue compléter le besoin de telles matières suite à l’épuisement des matières premières domestiques.
Prenons un exemple, celui du fer. Avec la baisse de la demande d’acier et autres dérivés ferreux hors du continent africain et donc des prix du minerai, de nombreux projets d’exploitation de mines de fer en Afrique sont remis en cause là où le continent lui-même a besoin de tels matériaux pour son développement. Rappelons ici que les montées récentes des prix de minerai de fer ont été pour beaucoup le fait des besoins de la Chine. Rappelons aussi qu’au sortir de la seconde guerre mondiale, les prémisses de l’Union Européenne se sont fondées sur la Communauté Economiques du Charbon et de l’Acier, deux matières premières permettant d’organiser et satisfaire la demande en énergie et en matériaux ferreux, deux ingrédients nécessaires à la relance économique. Une analyse des stratégies économiques et communautaires en Afrique ne fait pas assez ressortir l’impératif stratégiques de ces deux éléments qui à eux seuls permettraient de soutenir nombres de projets de développement au rang desquels les infrastructures et le commerce interafricain. De manière similaire, cet exemple pourrait s’étendre aux matières premières agricoles et autres minerais non ferreux.
L’absence de ressources financières ne saurait être un argument recevable car en substance cette ressource a aussi manqué dans les pays aujourd’hui développés et des solutions ont été imaginées et mises en œuvre. Ici intervient naturellement la question monétaire africaine que bien d’éminents économistes africains ont traité depuis près des 60 années d’indépendances africaines. Il me vient à l’idée que la Chine, qui a connu un décollage économique plus près de nous dans le temps s’est posée et a traité cette question. Il en est sorti les excédents commerciaux que l’on sait. Plus loin de nous, les pionniers en Amérique du Nord ou encore en Australie ont eu à l’affronter. Encore et beaucoup plus loin, l’Europe à eu à y faire face. On ne peut donc pas valablement appliquer sur un monde en construction les solutions d’un monde déjà construit. Par contre, on peut apprendre des insuffisances que certaines réglementations contemporaines traitent pour ériger un modèle adapté qui évite les trappes connues par les prédécesseurs dans la voie du développement.
L’autre absence est celle des capacités techniques et scientifiques en Afrique. L’exploitation des mines requiert des formations spécifiques sur les minerais, leur exploitation et leur application. De même l’accès à l’énergie ou encore l’exploitation industrielle des ressources agricoles. En ce sens, l’Afrique ne peut se développer si elle ne s’engage pas dans une démarche volontariste de mutualisation de moyens en vue de renforcer ses capacités techniques et scientifiques d’une part mais aussi de l’autre, d’exploiter à son profit principal ses nombreuses ressources minérales et agricoles.
La fin du mythe de Tarzan suppose, au-delà de la prise de conscience qui transparait dans les réflexions intellectuelles en Afrique mais aussi dans le monde, d’en finir avec le mimétisme des politiques économiques en Afrique afin d’aller vers un plus grande intégration grâce à des politiques communes d’urbanisation des chaines de valeurs et ainsi promouvoir le commerce régional entre les pays à savoir, s’organiser à répartir en fonction de la meilleure prédisposition des états, les unités de transformation le long des différents stades de la chaine des valeurs. Il faudrait aussi en finir avec les réflexions et politiques économiques de court terme pour s’engager véritablement dans une démarche prospective doublée de planification et d’exécution. Oui, il faut en effet oser à nouveau la planification.
Qu’est-ce qui manque alors si, les opinions convergent à indiquer la voie nécessaire de l’arrêt de l’extraversion, l’appel pour une mise en place de solutions économiques endogènes ?
Ce qui manque avant tout, c’est le courage. Le courage de soutenir et de promouvoir une école africaine de pensée économique. Le courage de transcender les divergences politiques factices – peu importe celui qui a le pouvoir – mais la convergence autour d’un projet de société, projet de long terme de développement d’un continent. Le courage de transcender les frontières nationales des 54 états pour s’inscrire dans un schéma panafricain, ou à tout le moins de grappes ou clusters régionaux, plus intégrés économiquement. Le courage de construire une Afrique des régions. Le monde nous définit comme le pays Afrique là-où l’Afrique répond en cœur de sa différence de 54 états. Pourquoi ne pas s’appuyer sur cette perception des tiers et en faire une force au profit du continent tout entier. Enfin, le courage de placer la pensée économique africaine au cœur des modèles économiques de développement du continent et ainsi bâtir des politiques économiques basées sur les recommandations de cette pensée.
Ainsi, que serait l’Afrique, si elle décidait de répondre comme une, unie et indivisible, au moins sur ses grands chantiers de développement ? Chaque pays étant responsable de conduire sa portion de la construction globale. Penser global, agir localement, imaginer et mettre en œuvre un modèle de coopération-collaboration entre les pays africains. Il n’y a pas de réponse tranchée tant que l’Afrique n’aura pas essayé. Mais il existe une certitude, la fameuse émergence ne sera qu’un vain mot si cette réflexion n’a pas lieu. Elle le sera encore moins – pour reprendre la réponse de mon ami Adama Wade – si l’Afrique ne commence pas à se valoriser elle-même à ses propres yeux.
Jean-Luc Koffi VOVOR, Managing Partner & Co-founder
Kusuntu Partners