Par Dr. Ndiakhat NGOM
La communauté musulmane entame la dernière phase du mois béni du ramadan, un des cinq piliers de l’Islam. Ceci bien après le carême chez nos amis chrétiens. Dans les deux cas, le jeûne est une période d’abstinence et de privation, conditions (comme chez les ascètes) de richesse et d’élévation spirituelle. Mais il faut distinguer « religion » et « spiritualité ».
L’étymologie de « religion » renvoie au grec « religuere » qui signifie relation entre les fidèles, les membres d’une communauté. Les religions du Livre (Islam, Christianisme, Judaïsme) expriment une filiation, une relation transcendantale entre les hommes et Dieu. Ce qu’expriment bien la Thora et la Bible, appelées « Ancien Testament » et « Nouveau Testament ». Au sens sociologique, la religion est comme le fil qui relie les différentes perles d’un collier. D’où son importance sociale et affective pour l’individu, par le partage de valeurs et de pratiques sociales.
La spiritualité n’est pas réductible à la religion. C’est une philosophie, une «vie de l’esprit», mais sans dogmes fondamentaux. Elle est fortement présente dans les philosophies orientales (indouisme, bouddhisme, yoga, spiritisme). Les ascètes et les ermites l’expriment le mieux.
La postmodernité, «l’ère du vide», voit naître (en Occident), une désaffection des églises au profit de cette seconde catégorie de croyance. L’avancée des sciences ou de la philosophie du soupçon n’y est pas étrangère. Cette crise a enfanté l’agnosticisme et l’athéisme. Le premier est une attitude prudentielle «je ne sais pas». Ici, le non connu n’est pas synonyme d’inconnaissable. C’est un scepticisme qui est dynamique, ouvert et évolutif.
L’athéisme est lui, un concept complexe (souvent un puissant repoussoir). C’est une attitude de négation ou de défiance, de deux ordres : le premier est moral, et traduit une crise qui estime les attributs de la divinité incompatibles avec le «Mal» (la mort «atroce» d’un enfant, d’un innocent). On parle ici d’un athéisme de «protestation». Le second est moins émotif, et dépend plus d’éléments extérieurs (rationalisme), comme, par exemple, les résultats de la science évolutionniste ou ceux de l’exégèse critique (philologie, histoire) des textes anciens.
Malgré les critiques d’une philosophie particulière (celle du « soupçon »), avec Nietzsche, Freud et Marx, assimilant le fait religieux à un «délire psychique», aucune force aussi bien rationnelle qu’irrationnelle n’est venue à bout de cette dimension «essentielle» de l’homme.
Comme pour dire que le fait religieux est traversé (c’est son destin) par bien des secousses liées aux conflits politiques, à une certaine forme de mondialisation et aux questions soupçonneuses du rationalisme. Ainsi, la trajectoire religieuse n’est jamais lisse, jamais un «long fleuve tranquille». On peut dire la même chose de la foi (la dimension personnalisée du fait religieux). La foi est dans un processus de remise en cause permanente. Elle se cherche. Souvent se retrouve. Souvent, non. En général ceux qui perdent la foi trouvent réconfort dans la spiritualité. C’est la raison pour laquelle on ne trouvera jamais quelqu’un qui dira : «Je ne crois pas» (dans l’absolu). On croit toujours en quelque chose (Dieu, l’homme, les valeurs, l’évolution, etc.).
La spiritualité, elle, demeure permanente. Ce qui amenait Pierre-André Boutang à dire qu’elle est « un puits sans fin dans lequel les humains viennent se régénérer, puiser des forces pour faire face aux blessures qui jalonnent leur propre vie ». Cette vie est, elle-même, synonyme de souffrance, ajoutera Nietzsche, le plus athée des philosophes. Vivre donc, c’est souffrir. D’où la relation de complicité parfaite entre la vie et la spiritualité. D’où aussi l’impossibilité de dissocier les valeurs (dans leur globalité) et la dimension biologique de l’homme.
Fort de tout cela, absolument rien ne nous interdit de définir l’homme (philosophiquement parlant) comme «Un être qui croit». Ce qui nous permet de relier notre définition au «Moi pensant» de Descartes, comme pour dire aussi que: « L’homme est un être qui pense ». Ces deux définitions de l’homme, par la pensée (son intelligence étant corrélée à son volume cérébral plus imposant) et par la croyance (sa capacité à ressentir des émotions d’un autre genre, assez profondes), sont une façon pour montrer l’irréductibilité de l’homme à sa dimension animale. On a vu des animaux souffrir ou adopter des actes (instincts) qui rappellent nos propres valeurs. Mais on ne verra jamais un animal qui pense ou qui croit.
Cet écart essentiel constitue la définition, disons, globale de la philosophie.
*Consultant et Professeur de philosophie et de sciences politiques
Email : ndiakhatngom@gmail.com