Par Aurelien Chu et Hafsa Anouar *
Après deux cent ans de stagnation, de guerre civile et de famine, la Chine émerge à nouveau comme puissance économique mondiale. Cette situation a des répercussions certaines sur le reste du monde car bouscule et parfois renforce l’ordre international établi. Les prêts et les investissements chinois octroyés par les banques, les entreprises publiques et le secteur privé se sont multipliés en Afrique durant la dernière décennie. Les logos des entreprises chinoises de construction sont légion sur le continent. Il en est de même des produits « Made In China ».
Les investissements chinois en Afrique s’intéressent moins au contexte des pays ciblés qu’à celui de la Chine. Avec le récent crash boursier de l’Empire du Milieu, les dirigeants africains doivent développer des stratégies fortes qui les prépareraient aux fluctuations attendues dans les IDE vers l’Afrique.
.Fig1 montre les fluctuations du marché boursier chinois entre 2013 et 2015 et la Fig2 met l’accent sur la période entre janvier 2015 et mai 2016.
Les IDE chinois et les corollaires pour l’Afrique depuis la crise boursière
En juin 2015, la bulle boursière chinoise éclate. Au 7 juillet, les actions avaient perdu le tiers de leur valeur, effaçant ainsi 3 500 milliards de dollars de valorisation. Mais le choc le plus violent est intervenu le 24 août, lors du fameux « lundi noir » quand les titres cotés enregistrèrent leurs plus fortes chutes en une séance à l’instar de l’indice composite de la bourse de Shangaï, qui a clôturé cette journée en baisse de 8,5%.
Ce choc qui n’est pourtant pas le premier dans les montagnes russes du marché boursier chinois a mis en évidence les défis majeurs posés à la confiance des investisseurs depuis la crise financière de 2008.
Les IDE chinois en direction de l’Afrique étaient estimés à 3,5 milliards de dollars en 2013 et le stock cumulé atteignait 25 milliards de dollars. Il a été démontré que ces investissements chinois sur le continent sont fluctuants avec une marge significative (Fig3), orientés plutôt vers certains pays (Fig 4) et concentrés fortement sur cinq secteurs (Fig5). Ces caractéristiques des investissements chinois reflètent les avantages comparatifs des pays destinataires (par exemple ceux dotés d’un opérateur public de BTP ont plus facilement accès aux prêts des banques chinoises) et une certaine philosophie d’investissement ( une attention particulière des infrastructures vues comme base du développement). Cependant, limiter le phénomène au niveau africain risque de masquer la variété des approches, des intérêts et des programmes “Made In China”, qui font que chaque pays récepteur ne fait que réagir aux changements des politiques d’investissements de l’économie chinoise et de ses acteurs.
Explication d’une corrélation
En faisant un rapprochement entre la situation vécue par la à la bourse chinoise entre 2007 et 2009 et la tendance des investissements chinois en Afrique durant cette même période, un constat intéressant se dégage.. Nous notons un mouvement comparable sur le marché des capitaux quoique avec un décalage d’un an. Ce décalage résulte certainement de l’écart entre les engagements antérieurs et les engagements de l’année ou du retard dans les changements de la part des entreprises publiques. Globalement, il est clair que la chute des cours sur le marché financier chinois a une corrélation avec la décroissance des IDE chinois en Afrique.
Bien qu’il y ait de récentes données sur le flux de ces IDE, les exemples de leur évolution entre 2007 et 2009 indiqueraient que l’Afrique peut encore faire face à une chute des flux chinois si la bourse de ce pays venait à décliner.
Recommandations aux dirigeants africains pour tirer profit et limiter les risques liés aux investissements chinois.
La trajectoire incertaine de l’économie chinoise devrait être, pour les gouvernements africains, un motif suffisant pour réfléchir sur les perspectives qui s’offrent à leurs pays dans leurs relations avec ce grand partenaire. Les turbulences continues du marché chinois sont susceptibles de motiver les investissements précédemment destinés au marché intérieur au profit d’autres opportunités plus intéressantes dans les pays émergents. Certains pays africains pourraient en tirer de grands bénéfices. Cependant, pour les partenaires commerciaux traditionnels de la Chine, l’appétit chancelant de l’Empire du Milieu sera un mixte de bénédiction – une douleur à court terme mais une impulsion à long terme pour exorciser la malédiction des ressources qui afflige nombre d’économies-.
Nous livrons ici 5 recommandations principales aux dirigeants africains en leur expliquant comment adapter leurs stratégies d’attraction des IDE chinois.
- Avoir une claire vision et renforcer leur capacité de négociation.
Au moment de conclure un partenariat avec la Chine, les dirigeants africains doivent avoir une vision claire pour leur pays et s’assurer que l’accord qu’ils ont signé maximise les retombées. Dans ce cadre, les pays africains doivent investir dans la formation de négociateurs de qualité, ayant une compréhension claire des politiques chinoises et dotés de capacités nécessaires pour déchiffrer le contenu technique des accords proposés.
-2 Garder dans l’esprit les priorités stratégiques de la Chine.
Au moment de conclure des accords avec la Chine, les dirigeants africains doivent avoir à l’esprit les priorités stratégiques de ce pays. Par exemple, la sécurité alimentaire, l’une des grandes priorités de l’Empire du Milieu, qu’il faut aligner aux priorités nationales des Etats africains, incluant le droit du travail, les lois commerciales, la préservation de l’environnement. Autant de paramètres qui permettent de construire une relation équilibrée entre les parties.
3- Utiliser les IDE chinois pour créer un capital intellectuel local
Compte tenu du fait que les investissements dans la R&D sont très capitalistiques et que beaucoup de pays africains n’ont pas les moyens de construire un réseau dense dans la R&D, il serait bénéfique de pousser le gouvernement et les investisseurs chinois à allouer une partie des IDE dans la R&D des secteurs de l’agriculture et de la manufacture. Le bon exemple est l’agroalimentaire qui va de la production à la transformation. La Chine peut investir dans l’amélioration de la production agricole en utilisant la technologie et en formant les fermiers pour augmenter leur productivité en échange d’une partie de la production ou d’un pourcentage des bénéfices. Sur le court terme, les pays africains pourraient paraître perdants mais à long terme, les infrastructures, le savoir-faire et, plus important, le capital intellectuel sera développé localement. Cette recommandation est tirée de l’expérience propre de la Chine qui s’est servie des Zones Economiques Spéciales (ZES) pour devenir un hub commercial et industriel.
4-Développer des stratégies ciblées pour capitaliser sur
la délocalisation des industries chinoises.
Beaucoup de pays africains ont le potentiel pour devenir des hub industriels accueillant des usines chinoises et ouvrir de nouvelles filiales des entreprises de ce pays sur le continent. Pour se faire, les dirigeants africains doivent dans un premier temps mettre en place des stratégies ciblées basées sur le juste équilibre entre les intérêts chinois et les priorités nationales ainsi que le bien-être des populations locales. La délocalisation des entreprises chinoises dans les Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) en Tanzanie par exemple pourrait être possible s’il y a des incitations fiscales. Cela pourrait bénéficier aux populations locales si les sociétés qui s’implantent prenaient en charge la formation du personnel local recruté. Des pays comme le Maroc et l’Ethiopie ont déjà attiré des investisseurs chinois à la recherché de diversification. Helen Hai, conseiller chinois en investissement, estime que plus de 80 millions d’emplois chinois peuvent être délocalisés en Afrique dans cette phase de transition de l’industrie chinoise vers les chaines de valeur mondiales.
5- Réduire les risques liés aux investissements
Les marchés émergents comme l’Afrique peuvent souffrir des effets de contagion, les investisseurs chinois ayant tendance, dans les conseils d’administration, à réduire l’appétit pour les risques élevés. La plupart de ces porteurs de capitaux peuvent, dans le court terme, chercher des cieux plus cléments et moins risqués comme le marché de l’immobilier de l’Amérique du Nord réputé attirer “l’argent de la peur”. Pour attirer les investisseurs à la recherche de rendements élevés et des sociétés qui ont opté pour une diversification géographique, les dirigeants africains doivent se pencher sur les voies et moyens de réduire le risque lié à l’investissement.
Ainsi l’émergence à nouveau de la Chine comme une puissance économique globale continuera d’avoir des effets au niveau mondial. L’Empire du Milieu présente fondamentalement une approche différente. Mais les investissements chinois en Afrique à l’instar de ceux en Amérique Latine et en Asie Centrale ont moins à faire avec le contexte des pays cibles. Pour les décideurs politiques, il est important de comprendre la dynamique de ce phénomène économique et de contribuer ainsi à la résilience des stratégies nationales vis-à-vis des investissements provenant du géant asiatique. Les IDE sont un levier important pour la Chine pour conduire sa propre transition vers une superpuissance économique. Une stratégie idoine de la part des dirigeants africains va permettre de capitaliser sur les orientations des IDE chinois pour développer leurs économies et leurs sociétés.
Aurelien et Hafsa sont consultants chez Dalberg Global Development Advisors respectivement aux bureaux de Dakar et d’Abu Dhabi..
Dalberg est un cabinet de conseil stratégique qui traite des enjeux de développement au niveau mondial.
NB: ceci est une traduction de l’article original disponible sur la version anglaise du site Financial Afrik.
How can African Leaders Encourage More Chinese FDI to Africa in the Midst of Fluctuations in the Chinese Stock Market?