Par Isidore KWANDJA NGEMBO, Politologue
« J’étais un peu seul dans l’arène, mais je ne me suis pas dégonflé du tout », propos tenus par le facilitateur Kodjo à la RTNC (chaîne de télévision publique congolaise) après sa rencontre à Bruxelles avec le comité de sages du Rassemblement de forces acquises au changement, conduit par Etienne Tshisekedi.
Il y a exactement huit mois, jour pour jour, que la présidente de la commission de l’Union africaine, Nkosazana Dlamini Zuma, avait désigné l’ancien premier ministre togolais, Edem Kodjo, pour baliser le chemin en vue de la convocation d’un dialogue national inclusif qui devrait réunir les acteurs socio-politiques de la République démocratique du Congo (RDC), afin de régler les problèmes liés à la prochaine élection présidentielle et permettre sa tenue effective dans un climat apaisé.
Cinq mois depuis qu’il a été confirmé officiellement par l’Union africaine, avec le soutien des Nations unies, de l’Union européenne et de l’Organisation internationale de la Francophonie, comme facilitateur du dialogue congolais. Mais depuis, Edem Kodjo fait du surplace et commence même à perdre toute confiance et toute crédibilité aux yeux d’une frange majoritaire de la population congolaise.
De report en report, le dialogue tant attendu avec la plus grande impatience, compte tenu de la brièveté du temps qui reste avant les élections, n’a toujours pas commencé. Pendant ce temps, la majorité présidentielle et l’opposition politique campent fermement sur leurs positions et sont incapables de faire converger un tant soit peu leurs intérêts vers l’intérêt supérieur de la nation.
En effet, pour mener à bien sa mission, le facilitateur devrait avoir une attitude de neutralité, d’impartialité et d’objectivité rigoureuse, assortie d’une capacité d’écoute active susceptibles de créer la confiance et les conditions favorables à la participation de tous dans un dialogue politique qui se veut inclusif, et ainsi rendre possible la résolution de points de divergences. À contrario, si une partie prenante au dialogue a un préjugé défavorable à l’endroit du facilitateur et un pressentiment que celui-ci est partial, il est clair que les pourparlers risqueront de traîner en longueur et de ne pas produire les résultats souhaités.
Le rôle du facilitateur est donc et avant tout de gérer le temps du mieux qu’il peut et de faire avancer les discussions pour atteindre les résultats souhaités. Il ne doit pas proposer unilatéralement ni imposer ses propres opinions, mais devrait en tout temps modérer et encourager les participants à discuter entre eux pour parvenir à un compromis.
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Que reproche-t-on à Edem Kodjo ?
Monsieur Kodjo est supposé connaître parfaitement bien que la mission qui lui a été confié tenait compte du timing très serré pour parvenir à un compromis consensuel, afin de traverser, sans trop de fracas, la période pré et post-électorale. Mais par son approche quelque peu cavalière, le facilitateur a du mal à convaincre toutes les parties prenantes de sa bonne volonté d’aider les Congolais à organiser un dialogue qui puisse garantir un minimum d’apaisement à la tension politique palpable liée à l’organisation d’élection présidentielle prochaine.
Ceux qui récusent le facilitateur de l’Union africaine, l’accusent, à tort ou à raison, de manque d’écoute et de vouloir imposer ses propres opinions, sans préalablement consulter toutes les parties concernées. Trop imbu de lui-même, il semble oublier qu’il n’est qu’un simple modérateur, au mieux, un accompagnateur qui a pour mission de veiller à ce que toutes les parties prenantes discutent franchement et librement, et ce, de façon productive afin d’aplanir leurs divergences et parvenir à un compromis sur lequel elles seront d’accord de vivre avec les conséquences.
Mais Edem Kodjo s’abrite derrière la confiance que lui a renouvelé ceux qui l’on nommé, comme il ne cesse de le rappeler chaque fois, perdant de vue que cette facilitation a été demandé par la classe politique congolaise qui voulait la présence d’une tierce partie dans leur discussion. Ils ont donc fait appel aux Nations unies, conformément à la Résolution 2277 du Conseil de sécurité, de nommer un facilitateur international pour modérer le dialogue.
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Mais de quoi va-t-on encore débattre au dialogue ?
L’ultime question qui se pose maintenant est de savoir : que reste-t-il à débattre au dialogue facilité par Edem Kodjo, lorsque qu’on sait bien, premièrement, que dans son Arrêt du 11 mai 2016, suite à la saisine des députés de la majorité présidentielle, la Cour constitutionnelle s’est déjà prononcée concernant le vide juridique à la tête de l’État, en invoquant le principe de la continuité de l’État, et a estimé que le président sortant pourra rester en place jusqu’à l’élection du nouveau président élu?
Deuxièmement et comme il ne cesse de le répéter à qui veut bien l’entendre : « sans révision du fichier électoral pas d’élection présidentielle », le président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) vient d’annoncer, cette fin de semaine, le report unilatéral de la date d’élections en juillet 2017, avant même que le dialogue national inclusif n’ait commencé pour statuer sur la question. Ayant ainsi vider de toute substance les questions litigieuses devant faire l’objet des discussions, que reste-t-il encore à débattre au dialogue, sinon que d’aller acter les décisions déjà prises par ces deux institutions ?
En effet, si le dialogue venait à se tenir effectivement en RDC pendant cette période pré-électorale, tout le mérite reviendrait à l’Église catholique du Congo et au président Denis Sassou Nguesso du Congo-Brazzaville qui, comme nous l’avons écrit précédemment, ne ménage aucun effort pour éviter le chaos chez sa grande voisine la RDC, qui pourrait avoir des conséquences fâcheuses dans son pays.