Loin de la forte fumée de gaz lacrymogène qui a dispersé la marche de l’opposition sénégalaise vendredi 14 octobre, une question essentielle agite les experts et les acteurs du domaine du secteur gaz & pétrole: quelle est la consistance des dites découvertes de Kosmos au Sénégal et, accessoirement, en Mauritanie ?
L’essentiel du destin des hydrocarbures du Sénégal se joue ailleurs, à Dallas, siège réel de la compagnie texane, à la Bourse de New York où l’action Kosmos (Kos: Nyse) est en chute continue à 6,2 dollars le 14 octobre et dans les Îles Caïmans, domicile de Kosmos Energy Sénégal. Bref, le débat politique qui agite le tout Sénégal ne s’est pas posé une question essentielle: y-a-t-il du pétrole et du gaz? Si oui, pour quelles quantités ?
Jusque-là en effet c’est une seule partie prenante, la plus intéressée au dossier, qui égrène les chiffres obtenus au moyen de la sismique 3D et de forages.
L’on parle désormais du pays de Senghor comme du septième réservoir mondial de gaz au monde. L’on est passé subitement de 800 milliards à 5 600 milliards de mètres cubes avant que Kosmos n’oppose un démenti formel.
L’Etat du Sénégal qui n’a ni l’expertise technique ni la capacité financière de réaliser une contre-expertise s’aligne sur les estimations de Kosmos Energy, détentrice depuis 2014 de 60% des parts de Saint Louis profond et de Kayar Profond contre 30% à Timis Corporation et 10% à l’Etat sénégalais.
Fait troublant cependant, aucun des grands majors du secteur, à l’instar de Total, Chevron, Exxon Mobil, Eni ou Shell n’ont montré de l’intérêt aux découvertes de Kosmos.
Certains sont sceptiques à suivre les « spéculations » d’une Junior déficitaire, qui a investi jusque-là 180 millions de dollars, et dont la finalité est de céder des parts aux grands groupes afin de mobiliser les 10 milliards de dollars nécessaires à l’investissement. Que valent donc aujourd’hui les assurances du président directeur général de Kosmos Energy, Andrew Inglis, émises en août, et selon lesquelles le Sénégal va exporter du gaz dans quatre ans?
Ces affirmations ont été suivies du report annoncé, début septembre, des investissements relatifs à l’installation de la plateforme flottante pour l’exploitation de gaz à la frontière du Sénégal et de la Mauritanie.
Derrière les hésitations des majors
Les hésitations des majors doivent être prises comme un argument technique à opposer à Kosmos. L’attitude prudente des acteurs, dictée certainement par la baisse des cours des hydrocarbures, est un indicateur important à prendre en compte.
Les exemples font légion de ces grandes découvertes qui se sont révélées moins importantes que les estimations initiales au bout de quelques années. Le cas de Sao Tomé et Principe est édifiant. Voilà quinze ans que cette petite île de moins de 200 000 habitants s’est engagée dans l’aventure pétrolière. S’en est suivi l’euphorie collective et une guerre fratricide entre les politiciens pour le contrôle des richesses. Au final, après bien des spéculations, la fameuse découverte tarde à se matérialiser. Des majors comme Total qui s’étaient engagés se sont retirés après de coûteuses et infructueuses recherches.Quinze ans après, foin de pétrole à Sao Tomé.
Autre exemple édifiant, celui du Maroc. En août 2000, le Roi Mohammed VI annonce aux marocains la découverte de pétrole en quantité et en qualité dans une zone perdue de l’Est du pays. La petite Junior texane du nom de Skidmore Energy, à l’origine des découvertes estimées à 12 milliards de barils, s’empresse de céder des parts à des hommes affaires locaux et internationaux et de céder des actions outre mer. L’affaire a atterri devant les tribunaux et a vu quinze ans plus tard, en septembre 2015, le promoteur américain, initiateur de la découverte, condamné en appel à verser 122 millions de dollars à une partie plaignante.
Autre exemple tout aussi marquant, le pétrole mauritanien. Au début des années 2000, Woodside annonce des découvertes d’un puits potentiel de 120 000 barils par jour. La compagnie australienne fait les yeux doux aux majors. Arrive Petronas qui rachète les parts de Woodside pour 418 millions de dollars en 2007.
Problème, la production surestimée en réalité ne cesse de décroître de son pic de 12 000 barils à une moyenne de 4000 barils / jour tout au long de 2016. En février dernier, le malaisien a notifié au gouvernement mauritanien son intention de quitter. Selon les accords, Petronas doit d’abord s’acquitter d’un ticket de sortie de 300 millions de dollars.
Au final, entre l’annonce de la découverte par la Junior minière, les spéculations, le forage, la production et la commercialisation, il y a des milliards de dollars en jeu dans le pétrole et le gaz.
Directeur de publication de Financial Afrik. Dans la presse économique africaine depuis plus de 20 ans, Adama Wade a eu à exercer au Maroc dans plusieurs rédactions, notamment La Vie Industrielle et Agricole, La Vie Touristique, Demain Magazine, Aujourd'hui Le Maroc et Les Afriques. Capitaine au Long Cours de la Marine Marchande et titulaire d'un Master en Communication des Organisations, Adama Wade a publié un essai, «Le mythe de Tarzan», qui décrit le complexe géopolitique de l’Afrique.
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