Les cinq candidats pour le poste du président de la Commission de l’Union Africaine ont débattu à Addis Abeba, le 9 décembre, dans ce qui constitue une toute première. Certains ont défendu leurs programmes, d’autres ont mis la lumière sur leurs parcours. Dans l’ensemble, il y a eu plus de déclarations d’intentions que de plans d’actions. Le temps imparti étant sans doute trop court, quelques candidats n’ont pas pu sortir l’arme de l’étui.
C’est le tchadien Moussa Faki Mahamat, ministre des affaires étrangères de son pays, qui eut le privilège, le 9 décembre à Addis Abeba, d’ouvrir le débat historique opposant les cinq candidats à la présidence de l’Union Africaine. « La paix et la sécurité » constituent des priorités pour le sahélien qui insiste aussi sur la gouvernance économique du continent, les jeunes, le changement climatique et la gestion du flux migratoire. Ratissant large, le tchadien situe l’ancrage de son programme dans l’agenda 2063. « Depuis 2002, plus de 1800 décisions ont été prises par l’Union Africaine. Le problème réside dans l’implémentation de ces décisions », souligne l’ancien président du conseil économique et social du Tchad.
Après avoir livré sa vision du leadership et évoqué son expérience, Faki Mahamat cède le pupitre au candidat équato-guinéen, Agapito Mba Mokuy, également ministre des Affaires Étrangères. L’insulaire évoque pêle-mêle la discrimination des salaires au désavantage des femmes, la dépendance de l’Union Africaine aux Finances extérieures, le retard de cotisations de certains États membres, les jeunes qui meurent en Méditerranée pour aboutir finalement à l’implacable conclusion pessimiste que « notre continent est malade ». Se définissant comme l’homme du moment, le polyglotte (il parle espagnol, anglais, français et portugais), se définit en « africanophone » pétri de 18 ans d’expérience , y compris à l’Unesco.
À la suite de ces deux hommes, la Kenyane Amina Mohammed, également ministre des Affaires Étrangères, fit son apparition, mettant en avant sa longue expérience de diplomate qui a eu à représenter son pays à l’international et à négocier des traités internationaux au nom de l’Afrique. Prenant la parole à son tour, Abdoulaye Bathily du Sénégal, envoyé spécial des Nations Unies pour l’Afrique Centrale, clame qu’il n’est pas un candidat de circonstances mais un candidat de convictions, engagé pour l’unité du continent. Et de lister les points essentiels de sa vision qui va des réformes profondes pour la paix et la stabilité, à l’intégration. Parlant avec des gestes énergiques des mains, les poings fermés, l’homme politique sénégalais, qui jouit une triple expérience nationale, continentale et internationale, veut redonner espoir au continent. « Nous avons besoin d’une renaissance culturelle », déclare-t-il.
Femmes et jeunes: plus d’intentions que de plans d’actions
Autre personnalité candidate à la présidence de la Commission de l’Union Africaine, Pelonomi Venson Moitoi, ministre des Affaires Étrangères du Botswana. Pour venir à bout du chômage des jeunes, la diplomate soutenue par la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC) insiste sur une réforme générale de l’éducation dans les États membres sans apporter , il faut le dire, beaucoup de précisions. Très aérienne dans le discours, Mme Moitoi n’a pas décliné de plan d’actions, restant plutôt dans les intentions et la profession de foi. Il en faudrait certainement plu pour libérer la femme africaine. Pas plus que la botswanaise, le tchadien, apppelé à la barre pour la seconde fois, n’apporte rien de nouveau sur la problématique « femmes et jeunes », rappelant certes la gravité du sujet mais sans, hélas, des solutions tranchantes. « Je m’appelle Moussa, mais je n’ai pas de baguette magique », dira-t-il d’ailleurs.
Reprenant la parole, l’equato-guinéen, s’appuie sur sa jeunesse, revendiquant lourdement son statut de Benjamin des candidats et proposant de nommer, s’il est élu en janvier 2017, un directeur en charge de la question des « femmes et jeunes ». Monsieur Mokuy aura eu le mérite de provoquer quelques frayeurs dans la salle en promettant de ramener l’âge moyen des fonctionnaires de l’instance panafricaine entre 40 et 45 ans. Plus réaliste, la Kenyane Amina Mohammed préconise des incitations fiscales en direction des entreprises du secteur privé qui prendraient à cœur la question de la femme et des jeunes. Le Sénégalais Bathily rappelle que la question de l’emploi des jeunes et des femmes ne peut être résolue sans mettre fin à l’économie de rente et amorcer l’industrialisation du continent. Nettement plus à l’aise que ses prédécesseurs, l’envoyé spécial des Nations Unies appelle donc à un nouveau paradigme du développement avec les femmes et les jeunes au début et à la fin du processus économique.
Libre circulation des personnes
Autre sujet abordé, la mobilité des personnes au sein du continent. Le candidat tchadien lie cette question à la mobilité des marchandises. L’équato -guinéen appelle au retour sur les rêves des pères fondateurs Nkrumah, Selassié et Nasser, recommandant de délivrer le passeport de l’Union Africaine lancé récemment aux homme d’affaires et autres groupes comme les étudiants. La Kényane Amina Mohammed abonde dans le même sens, rappelant que le commerce intra-africain atteint à peine 18%. Aux yeux de la diplomate, la libéralisation des mouvements de personnes, de marchandises et de capitaux va accélérer le développement du continent. Abdoulaye Bathily du Sénégal aborde la question sous l’angle de la circulation et de la mise en place de la société du savoir et des échanges de compétences entre la diaspora et le continent. La candidate du Botswana suggère une harmonisation des règles et des procédures de visa, s’engageant, une fois élue, à encourager les États à faciliter le mouvement des personnes. Et d’insister sur le développement des infrastructures, indispensable au développement des échanges.
Financement de l’Union Africaine
Sur la question du financement, l’equato-guinéen s’étonne de l’attitude de certains Etats-membres qui s’acquittent de leurs cotisations dans les autres instances mais traînent des pieds quand il s’agit de l’organisation continentale mère. La candidate kenyane promet d’implémenter la taxe Donald Kaberuka (0,2% sur les importations ) et de réformer l’institution pour l’efficience dans l’emploi des ressources. Abdoulaye Bathily est du même avis, évoquant la taxe Kaberuka puis rappelant l’assistance de l’existence d’ un audit de 2007 qui avait traité du sujet. Aux yeux de l’envoyé spécial des Nations Unies, c’est la mise en œuvre qui pose problème quand la botswanaise, qui a eu le privilége de travailler avec les présidents Mandela et Mbeki, dans les premières années post-apartheid, insiste sur la transparence de l’exécution du budget de l’organisation. Le tchadien évoque aussi la taxe Kaberuka mettant l’accent sur la volonté politique.
Dernier point à l’ordre du jour, le renforcement de la paix et de la sécurité. La Kényane salue l’architecture et les institutions mises en place par l’UA comme le Conseil de paix et de sécurité. Plus pragmatique, Abdoulaye Bathily revient sur la démocratie et la bonne gouvernance. La botswanaise acquiesce et partage ce point de vue tout en suggérant la mise en place de mécanismes de reconstruction de pays post conflits. Le tchadien met l’accent sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, un phénomène lié à divers paramètres dont la pauvreté et la désertification. L’équato-guinéen qui considère la sécurité comme le problème le plus important trouve un lien évident avec le chômage des jeunes.
Impressions et avis.
Il est clair que les profils des candidats, leurs programmes, leurs charismes et leurs capacités à mettre en oeuvre les idées qui les animent ne sauront pas suffisants pour le choix définitif. Tout se jouera à la force de la poigne du pays et de la région qui supportent le candidat. La force des coalitions l’emportera sur la force des idées. L’argument de la force contre la force de l’argument. Si durant le débat, nous estimons que, dans l’ordre, la kenyane, le sénégalais et le tchadien ont présenté plus de cohérence sur la forme et dans le fond, au final l’on sait que la candidature botswanaise est d’ores et déjà attendue dans le dernier tour. La SADC tient à son deuxième mandat avant de passer la main. D’autre part, le monde francophone se présente avec deux candidats pour une confrontation que d’aucuns présentent comme suicidaire. A moins d’un arrangement de dernière minute, le Sénégal et le Tchad risquent de se neutraliser dans les premiers tours. Les pronostics évoquent une finale Sénégal-Botswana ou Tchad-Botswana qui tournera à une douloureuse confrontation entre la CEDEAO et la SADC. Ces deux régions aux visions idéologiques opposées, tant dans le fonctionnement de l’Union que dans les relations avec les anciens colons, ou encore dans la question du Sahara, reliquat de guerre froide, qui divise l’Afrique du Nord et, notamment, le Maroc et l’Algérie, auront du mal à se départager. Il est tout à fait plausible que l’Afrique de l’Est joue l’arbitre pour éviter la fracture ouverte depuis le barrage du boycott opposé au candidat de la SADC lors du dernier sommet de l’UA à Kigali.