Par Christian Kazumba, Directeur général AdKontact Mali et Burkina Faso.
2% ! Ce pourcentage insignifiant représente la part mondiale des primes d’assurance, vie et non vie, collectées dans les 54 pays du continent.
En tenant compte du fait que l’Afrique abrite 16 % de la population de la planète, la conclusion est sans appel : l’assurance constitue incontestablement le parent pauvre de la finance dans cette partie du globe. Il s’agit d’une situation qui peut sembler totalement paradoxale, sur un continent où se prémunir contre les risques sanitaires, économiques ou liés à l’instabilité politique devrait être perçu comme une absolue priorité, aussi bien par les particuliers que les entreprises. Plusieurs facteurs peuvent expliquer l’immense faiblesse des taux de pénétration des assurances (inférieurs, le plus souvent, à 1,5 % du PIB local) dans des pays d’Afrique subsaharienne où les nations francophones accusent un retard conséquent par rapport à l’Afrique du sud, au Ghana, au Kenya et au Nigeria.
Des raisons d’abord économiques
Avec une moyenne de 40 à 45 % de sa population vivant avec moins de 1,25 dollars par jour, l’Afrique subsaharienne reste l’endroit de la planète où l’extrême pauvreté se combat avec le moins d’efficacité…. En conséquence, beaucoup de compagnies d’assurance, et les produits qu’elles proposent, sont encore très souvent considérés comme élitistes, difficilement accessibles et non adaptés aux réalités de la vie quotidienne de la population.
Des freins « sociaux »
Pêle-mêle, seront cités :
- l’omniprésence des phénomènes de solidarité de proximité (gravitant principalement autour du cadre familial) qui, d’une certaine manière, concurrence les produits « IARD».
- la place fondamentale de la religion dans la vie de tous les jours de l’africain moyen. Ainsi « c’est entre les mains de Dieu » revient souvent comme un argument pour ne pas souscrire à une police d’assurance santé.
- le choix incontestable de la «pierre» ou de la «terre» comme placement de référence plutôt que l’épargne financière.
Les carences des autorités publiques
Alors que près de 80 assurances sont obligatoires en France, deux ou trois le sont, le plus souvent, dans les pays d’Afrique francophone. A titre d’exemple, au Mali, seules la Responsabilité civile, pour l’assurance automobile, et celle relative à l’importation de marchandises sont imposées par le législateur… Par ailleurs, certains pays éprouvent les plus grandes difficultés à faire respecter, de fait, le caractère obligatoire de ces quelques garanties. Ainsi, à Lubumbashi (deuxième ville de RD Congo), à peine 20% des véhicules en circulation, en 2014, faisaient l’objet d’une police d’assurance, pourtant rendue indispensable par les textes, selon une étude réalisé par la SONAS (Société nationale des assurances).
Pour autant, peut-on déduire de tout ce qui précède que l’assurance en Afrique noire est vouée à disparaitre ou, dans le meilleur des cas, à connaitre un développement chaotique et sinueux ?
La réponse est non et je suis intimement convaincu que ce sera tout l’inverse !
Voici quelques arguments qui, je l’espère, vous inciteront à suivre de près un secteur qui risque de devenir incontournable dans nos pays :
L’émergence de la classe moyenne, réalité naissante, ne pourra se pérenniser et se confirmer qu’avec la généralisation de produits permettant de protéger durablement l’individu en question, son entourage, son patrimoine et ses activités professionnelles.
avec un taux de croissance de 5 à 10% par an, le marché de l’Assurance, dans bon nombre de pays subsahariens est aujourd’hui le plus dynamique de la planète.
Le développement, poussif mais bel et bien réel, du secteur bancaire en Afrique subsaharienne devrait conduire à l’essor de la « bancassurance », phénomène qui se concrétise par les partenariats entre les acteurs des deux secteurs et qui permit, entre autres, à l’assurance vie de connaitre un franc succès en France…
les grands groupes d’assureurs semblent avoir pris conscience de l’importance de délivrer une qualité de prestation supérieure à la moyenne, en termes de personnalisation de la relation clientèle, de prise en charge du sinistre ou de rapidité de l’indemnisation. Ainsi, certains d’entre eux se mettent, d’ores et déjà, dans une logique de certification (la compagnie Allianz au Mali par exemple). Par ailleurs, dans le souci de mieux adapter leur offre au niveau de vie, aux habitudes de consommation et à la jeunesse des populations locales, ils mettent l’accent sur l’innovation technologique, en particulier en recherchant des synergies avec les opérateurs de téléphonie mobile…
La décision de la CIMA (Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance), prise le 8 avril dernier, de multiplier par cinq (de un milliard de CFA à 5 milliards de CFA) le capital social minimum des compagnies francophones ne manquera pas de générer des mouvements de fusion, d’acquisition et de regroupement au sein de ce secteur. Ainsi, il est plus que probable que de véritables « mastodontes » de l’assurance, groupes ayant atteint la taille critique et disposant de moyens colossaux, verront le jour à court ou moyen terme, à l’instar de ce qui s’est passé au Maroc.
Le nouvel « eldorado » de l’assurance se situe bien au sud du Sahara. Je suis sincèrement heureux de le vivre et mon impatience est grande d’en connaître les prochaines évolutions.