Quiconque doute encore de l’importance grandissante de l’Afrique dans les affaires mondiales devrait prêter attention au débat autour de l’élection du nouveau President de la Commission de l’Union africaine (UA) qui fait rage –pas seulement a l’intérieur des frontières du continent !
Cinq candidats sont en lice pour cette course étroitement suivie qui génère déjà ce qui semble être une grande stratégie diplomatique africaine impliquant des acteurs de tous les secteurs de la société qui, dans un passé récent, n’auraient même pas relevé un tel processus. Les candidats sont : la ministre des Affaires Etrangères du Botswana, Pelonomi Venson-Moitoi, le ministre des Affaires étrangères de Guinée Equatoriale, Agapito Mba Mokouy, le ministre des Affaires étrangères du Tchad, Moussa Faki Mahamat, l’universitaire sénégalais, Abdoulaye Bathily et la ministre des Affaires étrangères du Kenya, l’Ambassadeur (Dr) Amina Mohammed.
La course, qui sera tranchée à la fin janvier 2017 à Addis Abeba lors du Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement de l’Union africaine, intervient a un moment où l’Afrique est perçue par beaucoup comme en voie de devenir un grand acteur dans les affaires internationales. Tous les postes-clés pour diriger l’UA sont à prendre. Sous ce rapport, le simple fait qu’il y ait une si intense compétition et attention autour d’eux confirme un autre pari, à savoir que l’Afrique semble enfin prendre au sérieux la nécessité de permettre que sa principale instance de coopération politique et économique puisse montrer la voie pour aller de l’avant dans un continent désormais analysé même par les plus cyniques observateurs comme étant sur une pente montante. Elle n’est plus qualifiée de continent sans espoir, comme certains avaient eu le toupet de la définir il n’y a guère longtemps, même si le discours sur une Afrique montante a, quelque part, perdu au change à la suite de la baisse vertigineuse des prix des matières premières qui soutenaient les économies de plusieurs de ses pays riches en ressources naturelles. En fait, nous sommes en face d’un continent ayant un nouveau narratif.
Qui le différencie de ce qui se passe ailleurs. Beaucoup d’autres régions dans le monde traversent des passes difficiles. Ces transitions concernent l’Amérique qui retourne derrière les deux océans qui la couvent en raison des politiques protectionnistes promises par son Président-élu, Donald Trump ; un continent Européen confronté à une économie affaiblie et au coup de fouet du Brexit aux tentations irrédentistes en son sein ; et même une Asie, maintenant faisant face aux défis de conflits internes prospectifs entre ses principales nations. L’Afrique n’a non plus rien à faire avec un Moyen Orient toujours travaillé par le lancinant conflit entre Israël et ses voisins arabes alors que l’Amérique latine, l’autre région du monde, n’a pas fini de surmonter son long déclin depuis qu’elle fut larguée après la première révolution industrielle.
Pour l’Afrique, c’est une autre, une histoire différente, qui se déroule, malgré les tensions politiques qu’elle connait toujours ça et la. Dans l’ensemble, sa situation est celle d’un continent où des ressources naturelles toujours plus abondantes sont découvertes partout en son sein ; les ressources humaines sont un actif inégalé en termes de dividende démographique ; le progrès économique, même dans les pays sans ressources naturelles ; le tout renforcé par une compréhension plus claire de ce que l’Afrique doit faire pour revendiquer le 21ème siècle.
Le tableau d’ensemble qui se présente devrait forcer tous les commentateurs et acteurs impliqués dans ce processus si important consistant à élire la personne qui dirigera l’UA afin qu’elle puisse traverser les différentes étapes pour agir avec sagesse. La plus petite erreur ou une mauvaise appréciation des enjeux pourrait en réalité mener l’Afrique à rater ce qui est une opportunité en or.
Regardons les choses en face : comme en toute élection, celle de l’UA ne sera pas sans tensions ni animosité. Cependant, en fin de compte, parce que tous les pays concernés savent combien l’organisation continentale est devenue importante, il relève du bon sens que les procédures soient douces pour l’élection à venir. Cela rendrait justice a une UA dont la cote est plus élevée que jamais sur le papier. Même des pays comme le Royaume Chérifien du Maroc, qui avait quitté (en se retirant de l’ancêtre de l’UA, à savoir l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) s’en sont rendus compte. Ils tapent désormais avec véhémence à ses portes pour être ré-admis. Plus généralement, le monde entier qui ne voit plus l’Afrique comme un acteur de seconde zone est aussi disposé à traiter avec l’UA comme son interlocutrice privilégiée. Les investisseurs de partout se bousculent à ses frontières tandis que les Africains eux-mêmes ont réalisé qu’avec l’Agenda 2063, une vision puissante est maintenant en place sur divers enjeux essentiels, y compris l’industrialisation de l’Afrique, à travers le développement agricole, les infrastructures, et la capacitation institutionnelle et individuelle, notamment par le biais d’une plus grande inclusion des jeunes et femmes dans les processus de développement.
L’Afrique semble être par conséquent prête à faire du business avec le reste du monde, mais aussi à se prendre en charge, comme l’illustre le débat organisé par l’UA à Addis Abeba mettant aux prises les différent candidats. De la nécessité de résoudre les conflits encore en cours, à celle de trouver des solutions domestiques pour financer l’UA, ou encore à l’importance d’assurer sur le long-terme le succès continental, tous les candidats ont pu débattre avec candeur et diplomatie de la meilleure manière de faire de l’UA l’instrument pour faire de l’Afrique une zone de paix, de progrès et de prospérité.
Ayant suivi ce débat salubre, dans lequel la candidate du Kenya, la ministre (dr) Amina Mohammed s’est distinguée avantageusement en raison de la clarté de ses positions, je n’ai pu qu’être surpris de lire un texte rédigé –voire cuisiné- par quelqu’un prétendant agir au nom du Maroc, à partir de Washington, et affirmant qu’elle ne compatissait pas au sort des migrants africains en Algérie quand elle s’y est rendue. La vérité est que sa position est plus équilibrée que cet article destiné à accroître les tensions pourrait en donner l’impression. La ministre Amina Mohammed l’a du reste fait ressortir quand elle a rencontré à la fin de ce mois des parlementaires venant des pays ACP et de l’Europe, à Nairobi. Elle leur a dit que seule une approche holistique impliquant tout le monde pourrait résoudre ce défi global qu’est la question de la migration internationale.
Etant quelqu’un qui a défendu le Maroc en d’autres circonstances mais qui reconnaît l’importance de l’Algérie dans les affaires africaines, je n’ai aucun doute qu’une démarche discrète, calme, est la bonne a adopter pour amener les deux nations sœurs a s’asseoir autour d’une table pour résoudre leurs dissensions légitimes –et dégager la voie a suivre. Cela relève du bon sens d’autant plus que le Président Guinéen, Alpha Conde, candidat a la présidence de la Conférence des Chefs d’Etat de l’UA, a décidé de visiter l’Algérie pour faire taire les critiques qui le disent trop proche du royaume Chérifien. Parler aux deux pays devient dès lors impératif pour quiconque est sérieux dans la recherche d’une solution à leur différend qui, autrement, pourrait empêcher la marche collective vers l’unité africaine.
Admettons-le: personne n’est mieux positionnée pour contribuer à résoudre ce litige que ne l’est l’Ambassadeur Amina Mohammed. Sur le terrorisme, sur les migrations, sa posture a été forte et claire. Ce sont des enjeux qui doivent être réglés avec sobriété collectivement, avec tous les pays du continent, et nos partenaires extérieurs, répète-t-elle inlassablement à des audiences diverses à travers le continent.
Alors que l’Afrique se trouve à la croisée des chemins, et qu’il semble y avoir un consensus fort, comme jamais avant, au sein et hors du continent, le temps est venu de permettre qu’une discussion mature soit engagée sur les défis les plus importants qui nous confrontent en temps qu’Africains—-les plus délicats ne peuvent être résolus que de cette manière.
Alors, nous pourrions nous concentre sur le plus grand tableau, la grande question: comment rendre l’Afrique plus forte, a nouveau, pour en faire ce qu’elle doit être : le continent où le soleil brille toute l’année, où l’espoir monte, la nouvelle frontière du développement. Le nouvel espoir d’un monde en mutation !
Adama GAYE, journaliste et essayiste sénégalais , auteur de : « Demain, la nouvelle Afrique! », Editions L’Harmattan, Paris.