Par Louis-Marie Kakdeu, PhD& MPA
Voulant garder son hégémonie sur ses anciennes colonies en marge des activités diplomatiques traditionnelles, la France a favorisé en Afrique le développement d’une économie de rente qui suscite une interrogation: cette nébuleuse est-elle toujours au service des intérêts français?
Un système anti-démocratique
La France se dit «gardien du temple des valeurs démocratiques» pourtant, la Françafrique qui échappe au contrôle du peuple coûte très chère à la démocratie. Les principes de représentation et de participation aux prises de décision sont foulés au pied. C’est un cercle réservé aux initiés qui s’entraident pour conserver la mainmise sur le pouvoir dans un contexte où la libre compétition aurait ouvert les portes aux personnes autonomes. On note comme en Guinée ou en Côte d’Ivoire que la responsabilité de la France est presque toujours engagée, au moins en soutien logistique, dans les rébellions et autres coups d’Etat perpétrés dans ses anciennes colonies. On regrette alors la violation des règles de droit et des libertés individuelles au profit des individus parachutés au pouvoir qui pensent et agissent contre les intérêts nationaux. Par exemple, par des accords secrets, ils travaillent au pillage des ressources naturelles africaines et réservent un accès privilégié aux marchés locaux aux entreprises françaises au détriment des entreprises les plus compétitives. Cela pose un réel problème de gouvernance et de transparence. Aussi, l’opinion dénonce la loi de deux poids deux mesures et rejette cette France silencieuse sur des actes graves de violation des droits de l’homme comme en Côte d’Ivoire où elle a soutenu les individus au pouvoir.
Un système rentable?
Trop de spéculations circulent sur le bénéfice français en Afrique. Mais, la Françafrique est une économie souterraine qui échappe à la politique budgétaire officielle. Selon le rapport du Global Financial Integrity, 1712,5 milliards de dollars ont quitté l’Afrique de 1980 à 2012, soit en moyenne 78 milliards de dollars par an: Quelle est la part des Français? Difficile à dire mais, une chose est sûre: dans le secteur minier et pétrolier, la rentabilité se joue, malgré les 333 milliards de dollars annoncés en 2010 par Oxfam International, sur le long terme car, il faut en moyenne 14 ans de l’exploration à l’exploitation sans compter le nombre d’années nécessaires à l’atteinte du seuil de rentabilité. Depuis la signature des accords de l’OMC en 1994 et l’organisation du premier sommet Chinafrique en l’an 2000, la France a perdu son monopole sur le marché africain à cause des pratiques regrettables comme l’endettement, l’asservissement monétaire, l’approche moralisatrice, la condescendance, l’ingérence, le développement d’une «idéologie des droits de l’homme» et d’une «philanthropie hégémonique [utilisée pour faire pression]», etc. Les offensives indienne (Indafrique), nord-américaine (USAfrique), brésilienne, turque ou russe ont su surfer sur le partenariat gagnant-gagnant ou l’argument de la coopération sud-sud. En évitant de s’ingérer dans les affaires internes des Africains et en investissant massivement dans les infrastructures de base («diplomatie du yuan»), la Chine a bouleversé en 10 ans «l’ordre postcolonial sur le continent». Elle est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique avec une part de marché à l’exportation qui a progressé de 3% en 2000 à 12% en 2010 pendant que celle de la France chutait sur la même période de 16% à 9%. Et le Franc CFA, une monnaie rentable? Pas si sûr ! C’est un bon moyen d’asservissement et non forcément un levier financier pour la France. Par exemple, dans les années 2010, le Cameroun ne disposait que d’une dizaine de milliards dans son compte d’exploitation de source diplomatique.
Un mécanisme de subordination
La Françafrique a embarqué les pays africains dans le rouleau compresseur de la dette, suite aux mauvais choix de leurs dirigeants. Ce service représentait entre 35 et 46% de leurs budgets. Le remboursement de la dette extérieure entre 1986 et 2007 était considéré comme étant l’équivalent de «7,5 plans Marshall injectés vers les pays du Nord». La dette était un mécanisme d’appauvrissement en vue de la subordination avec la complicité de certains dirigeants africains corrompus que Frantz Fanon appelait «peau noire masque blanc» ; ils préfèrent l’importation massive et le surendettement extérieur à la promotion de la production et de la compétitivité locale. On nota des «fonds d’investissements spéculatifs» ou «fonds vautours [prédateurs]» alors que l’Afrique avait besoin de lutter contre la pauvreté. Les ressources venant de France étaient sous forme de prêts à taux d’intérêt élevés et aux conditionnalités jugées «humiliantes [organisation des élections, adoption de l’idéologie des droits de l’homme, etc.]». Le taux d’intérêt débiteur allait jusqu’à 22,5%, ce qui était accepté mais jugé «excessif» car, les propositions chinoises baissent jusqu’à 1,5% avec des possibilités de remise totale de dette.
Un outil inapproprié dans un monde libre
La Françafrique profite en majorité aux «initiés» qui engagent les Etats dans des conflits et autres investissements intenables. Par exemple, la guerre en Libye et en Côte d’Ivoire auraient coûté près d’un milliard d’Euros à la France qui n’est en 2016 toujours pas compétitive sur les marchés de la «reconstruction», du «rééquipement» ou du «pétrole». Pis, cette guerre en Libye a contribué à détruire les barrières migratoires et sécuritaires où transitent désormais massivement les immigrés clandestins et autres supposés «terroristes» pour regagner l’Europe, engendrant des coûts importants (13 milliards d’Euros depuis l’an 2000). Comment continuer à justifier un tel choix politique ou à défendre la parité fixe du franc CFA même en période de guerre dans un marché libre déterminé par l’offre et la demande ?
En définitive, la France doit renoncer à la Françafrique car, elle nuit non seulement à l’Afrique, mais aussi à son image et à ses intérêts. Il est illusoire de croire qu’au-delà des individus, la Françafrique est un système profitable aux Etats. En attendant, il est à déplorer que la France, «pays des libertés», soit actrice ou complice des actes insoutenables en démocratie.
Article publié en collaboration avec Libre Afrique.