Mugabe, Yaya Jammeh , Kabila et beaucoup d’autres dirigeants africains refusent d’accepter que la durée du Pouvoir qui leur a été délégué par le Peuple puisse être limitée dans le temps. Ce sont souvent des dirigeants qui pensent, à tort ou à raison, que le destin de la Nation doit être évalué à l’aune de leur longévité politique ou biologique. Cette conception du pouvoir, malgré les apparences, ne s’enracine ni dans les traditions culturelles africaines ni dans la pratique des démocraties modernes mais exprime la singularité des Systèmes politiques africains.
D’une manière générale, les systèmes politiques en Afrique post-coloniale sont marqués par le syndrome de l’accoutumance au Pouvoir absolu exercé par le Chef de l’ Etat. Malgré les variantes selon les pays africains, cette donnée est une constante. En effet, même si certains pays sont plus respectueux des grands principes de la Démocratie que d’autres, la confusion des pouvoirs au profit de la Fonction exécutive est définitivement le modèle dominant depuis plus d’un demi siècle.
En vérité, les différents dirigeants africains sont guidés très rapidement dés leur accession à la tête de leurs Etats par une quête du Pouvoir absolu qui se matérialise par la gestion personnelle, patrimoniale au profit essentiellement des membres du Parti-Etat, du clan voire de l’Ethnie. Le Pouvoir absolu en Afrique ne s’embarrasse pas de vision, de projets ou de programmes d’intérêt général, mais il est souvent marqué par la cupidité et l’égoïsme de ceux qui l’exercent.
Singularité des Pouvoirs africains
La Singularité des Systèmes politiques fait qu’on ne peut les analyser sérieusement en essayant de s’inspirer de modèles extérieurs. Ces systèmes sont les fruits de l’imagination des africains dont les Dirigeants, d’une manière générale, accèdent au Pouvoir par la voie d’élections truquées ou de coups d’Etat.
En réalité, à de très rares exceptions, le seul régime politique qui a existé en Afrique depuis l’accession de nos pays à l’Indépendance , est celui du Parti Etat. Dans ce Régime, le Président de la République est issu du Parti dominant qui contrôle par les nominations et désignations la majorité des Individus qui animent les différents organes de l’Etat.
Dans ce système, les organes de l’Etat, en réalité, n’existent que pour remplir les fonctions formelles dans l’intérêt du Président de la République. Ainsi, certains Organes peuvent être dans la quasi léthargie parce que leur personnel n’est pas renouvelé ou parce que faute de moyens conséquents ils végètent. Dans l’histoire de l’Afrique, des exemples sont multiples qui montrent que certains Pouvoirs d’Etat ne s’exercent que quand celui qui détient le Pouvoir absolu a besoin de leur service.
Etat de non droit
Yaya Jammeh est une illustration caricaturale de ces Pouvoirs africains qui se sont érigés dans plusieurs pays du Continent et qui ont proliféré au gré des coups d’Etat réalisés souvent par de Jeunes officiers très peu expérimentés, parfois animés d’un esprit de justicier au départ et qui ont évolué en régimes dictatoriaux en s’appuyant sur des Intellectuels qui ont théorisé leurs pratiques pour leur conférer une dimension idéologique.
Ainsi Yaya Jammeh, après plusieurs années d’inertie de la présidence de Sir Dawda Jawara, avait effectivement réalisé des œuvres dans le domaine des infrastructures, saluées par ses compatriotes et à l’extérieur. Mais faute de boussole idéologique ou économique, le Président Jammeh a évolué au » petit bonheur la chance » en s’autoproclamant Professeur, Docteur et finalement guérisseur du SIDA. Ainsi, la Gambie après différentes péripéties a été proclamée récemment « République Islamique » par son Président..
Au lendemain de l’élection présidentielle de Novembre 2016, Yaya Jammeh a effectivement, d’une manière solennelle et publique, commencé par reconnaitre sa défaite et féliciter le Président élu dans un geste salué par la communauté internationale avant de se raviser quelques jours plus tard pour déclarer qu’il contestera les résultats devant la Cour Suprême dont il avait probablement oublié l’existence
Par ce geste, Jammeh se place en droite ligne de l’attitude de la majorité de ses pairs qui n’ont de cesse de modifier en cours de route les règles constitutionnelles pour rester au Pouvoir.
Exigence de la primauté du droit
Aujourd’hui , Yaya JAMMEH qui , naturellement, n’avait que du mépris pour sa Cour Suprême dont plusieurs anciens membres n’avaient jamais été remplacés, découvre que la seule voie pour contester légalement le résultat des élections passe par la saisine de cette Haute Juridiction.
Cependant, à cause de son mépris de la Loi et des formes constitutionnelles érigées en règle de Gouvernement, la Communauté internationale, la CEDEAO notamment, lui dénie le droit fondamental de pouvoir contester les résultats des élections auxquelles il a participé quand bien même il a pu déclarer qu’il saluait la victoire de son adversaire. En effet sa déclaration, il faut le souligner, n’a qu’une portée politique.
En effet, peut-on refuser valablement à Yaya Jammeh l’exercice d’un droit que lui garantit la Constitution de son pays au seul motif qu’il avait déclaré auparavent reconnaitre personnellement sa défaite ?
La position actuelle de la Communauté internationale , bien que politiquement justifiée et fondée, peut constituer un très grave précédent si les sanctions envisagées sont appliquées avant l’épuisement des voies de recours internes que lui offre le système électoral gambien.
Les Africains, et la Communauté internationale, doivent baser leurs jugements, leurs actions sur le seul socle qui puisse supporter durablement et d’une manière stable toute vie en société, c’est à dire le Droit. L’Afrique ne doit pas banaliser le Droit au profit de solutions bancales qui n’ont fait que semer la division et la haine dans plusieurs de nos pays. Nos Etats doivent éviter de poser des précédents qui peuvent se retourner demain contre eux.
Le droit est la seule garantie pour asseoir des relations équitables entre les forts et les faibles. Aujourd’hui, si nos Etats africains souvent débiles peuvent exciper de leur souveraineté, s’ils peuvent revendiquer la Réciprocité , c’est parce que le principe de l’Egalité souveraine des Etats est admis comme la règle absolue qui régit les relations entre les principaux acteurs des relations internationales que sont les Etats sans distinction de Continent.
Avenir des Dirigeants africains
Les Dirigeant africains, d’une manière générale, sont hantés par la peur lancinante de perdre le Pouvoir et le fait de ne pas savoir s’il y’a une vie après le « Pouvoir absolu ». En effet, comment peuvent-ils imaginer céder le Pouvoir à autrui, sans garantie et prendre le risque de s’installer eux-mêmes dans le purgatoire des très prévisibles poursuites judiciaires ?
L’Afrique doit réfléchir à la meilleure manière de rassurer ces Dirigeants qui ont du mal à imaginer ce que peut être la vie après le Pouvoir Absolu. A cet égard, l’initiative de Moh Ibrahim qui a créé un Prix pour récompenser des Chefs d’Etat qui auront d’une manière acceptable quitté le pouvoir en gérant au mieux leur nouvelle situation est une belle et noble initiative mais qui , sans aucun doute, ne cerne pas l’ensemble du problème. Les difficultés qui sont rencontrées chaque année pour trouver des personnes éligibles à ce Prix montrent les limites de la démarche qui mérite d’être complétée par d’autres initiatives.
En vérité , celui qui a goûté au Pouvoir absolu ne succombe pas aussi simplement aux promesses de récompense ou aux menaces de sanction.
Benoit NGOM est fondateur de l’Association des Juristes Africains et Président de l’Académie Diplomatique Africaine