La nuit fut longue et incertaine entre Banjul, Nouakchott, Dakar et Abuja. Alors que Yaya Jammeh négociait l’abandon du pouvoir perdu lors des élections de décembre , certains chefs d’Etat africains s’inquiétaient pour leur propre sort. Le fait est inédit. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) vient d’utiliser la force pour faire partir un chef d’Etat défait par les urnes.
Excepté le cas particulier de la Côte d’Ivoire de 2011 où un président sortant, battu à la régulière, a été délogé par les casques bleus de l’ONU appuyés par les forces françaises et une résolution du conseil de sécurité de l’ONU, le cas gambien sonne comme une nouvelle étape dans la longue et difficile construction de la démocratie africaine. La CEDEAO fait tomber le mythe du syndicat des chefs d’Etat.
La voie militaire emmenée par le Sénégal et le Nigéria, quoique encadrée par le feu vert de l’ONU, ne manquera pas de soulever une controverse politico-diplomatique.
Cette pression intervient alors que la Cour Suprême gambienne a reporté l’examen du recours du président sortant sur de présumées irrégularités. La même Cour Suprême ayant résisté à l’effondrement rapide d’autres institutions comme la Commission électorale dont le président s’est exilé sous la menace, non sans avoir confirmé la victoire du président élu, Adama Barrow, en dépit des quelques irrégularités soulevées mais qui, dans l’ensemble, ne remettaient pas en cause le scrutin.
L’intervention de la CEDEAO, en plein recours constitutionnel et alors que le parlement gambien venait de prolonger in-extremis le mandat de Yaya Jammeh de trois mois tout en promettant de céder le pouvoir à une vice-présidente, dés le 20 janvier, date de la fin de son mandat, ne manquera pas de faire jurisprudence. Il est désormais envisageable de voler au secours de la démocratie pour peu qu’un président battu veuille prolonger son bail. « Cette intervention dans un pays souverain » est inacceptable selon l’ougandais Yoweri Museveni, qui préside aux destinées de son pays depuis quelques décades.
Il est vrai que dans cette région des Grands Lacs, l’on ne connaît pas un cas à la gambienne. Quoique, l’ougandais Pierre Nkurunziza ait violé les accords d’Arusha, qui portent le sceau de l’ONU et le cachet constitutionnel de son pays, pour briguer et remporter un troisième mandat contesté par l’opposition.
Faut-il élargir cette nouvelle jurisprudence qui s’écrit à Banjul aux forfaitures constitutionnelles consistant à modifier la loi fondamentale pour rester indéfiniment au pouvoir ? Quid de la volonté populaire dans ce cas précis ? Devrait-on considérer le président Boutflikha d’Algérie comme passible de cette jurisprudence, lui qui avait fait voler le verrou du troisième mandat (désormais rétabli ) en 2008 par un amendement voté par le parlement à une majorité écrasante ?
Quel traitement différentiel appliquer à l’exceptionnel Rwanda où le président Paul Kagamé a modifié la constitution sous le dictat de la volonté populaire pour pouvoir, virtuellement, gouverner jusqu’en 2034? Quid de la République Démocratique du Congo où un accord exceptionnel, OVNI constitutionnel selon les uns, sagesse bantou selon les autres, permet au président sortant, de prolonger son bail d’une année, le temps d’organiser des élections où il a accepté, conformément à la constitution, de ne pas se représenter ?
En fait, cette intervention salutaire en Gambie soulève beaucoup de questions et, en même temps, nous éclaire sur le niveau de maturité démocratique de la CEDEAO par rapport au reste du continent. Le Nigeria et le Senegal connaissent des alternances régulières au même titre que la plupart des 15 pays composant l’organisation. Pourvu qu’ils parviennent maintenant à influencer l’Union Africaine, dernier bastion de ce consensus mou voulant qu’on n’intervienne pas dans un pays membre au nom de la sacro-sainte non ingérence laquelle a pris beaucoup de rides en une seule nuit.
Adama Wade