Le Maroc et l’Egypte s’affrontent ce dimanche dans ce qui constitue l’un des classiques du football africain. Loin des stades, les deux pays, peuplés respectivement de 30 et 92 millions d’habitants, se livrent un duel continu sur les terrains politiques, économiques, culturels et stratégiques de l’Afrique, du monde Arabe et de l’international. Le Maroc joue son retour au sein de la grande famille de l’Union Africaine ce 31 janvier. En tant que quasi-premier contributeur de l’instance panafricaine, l’Égypte aura, forcément, son mot à dire. Obligé à ménager Alger et Rabat, Le Caire jouera plutôt la carte de l’équilibriste, en ne s’opposant pas au retour acquis du Maroc mais sans aller jusqu’à soutenir l’éviction de la RASD.
Tous deux alliés des USA, Rabat et Le Caire partagent aussi une vision similaire du monde arabe, une même appartenance au sunnisme et des alliances communes avec les monarchies du Golfe. Membre privilégié du Conseil de Coopération du Golfe, le Maroc entretient une Coopération étroite avec l’Arabie Saoudite. Idem pour l’Egypte, poids lourd du camp sunnite, très méfiant de l’affairisme du Qatar dans le monde arabe en général.
Troisième économie de l’Afrique, derrière l’Afrique du Sud et le Nigeria, l’Egypte présente un taux de pauvreté qui frappe 40% de sa population et un chômage endémique qui touche 12% de sa population active . Des chiffres quasi-similaires avec son adversaire du jour qui connaît cependant une forte croissance sur les quinze dernières années et une transformation marquée du tissu économique et industriel avec l’essor de l’automobile, premier produit exporté du royaume devant les phosphates.Le PIB nominal par tête d’habitant est de 3100 en Egypte contre 3200 au Maroc. Le Caire a attiré 6,9 milliards de dollars d’investissements directs étrangers en 2015 contre 3,2 milliards de dollars pour le Maroc selon le CNUCED.
Les deux pays comptent une Bourse des Valeurs Mobilières développée. En 2015, l’indice phare de la Bourse du Caire (EGX 30) présente un rendement de 59% dopé par la dépréciation de la monnaie locale (la livre égyptienne) sur une année contre 27% pour l’indice composite de la Bourse de Casablanca. Pour 2017, les investisseurs étrangers en Egypte seront plutôt confiants, misant sur le signal du FMI et de la Banque Mondiale qui cont consacré un programme de 12 milliards de dollars à Le Caire. Un optimisme à tempérer avec le niveau d’endettement du pays (85% du PIB).
Destinataire de la plus grande aide destinée à un pays arabe et africain depuis la signature des accords du camp David en 1978 et en proie à des batailles politiques internes doublées de répression des courant politiques islamistes, l’Egypte reste un pays particulier dans les relations internationales. Le Canal de Suez qui relie la Méditerranée à la Mer rouge, né d’une levée de fonds record à la Bourse de Paris, en 1859, permet au navire quittant l’Europe de rallier l’Asie sans passer par le Cap de bonne espérance (Afrique du Sud). Cet instrument essentiel dans le commerce maritime international a été doublé à partir de 2014 sous le magistère du president Mohamed Fattah El Sissi qui s’est ainsi attiré les grâces de la communauté internationale. Le Canal qui rapporte 5,3 milliards de dollars par an à l’ Egypte devrait voir cette contribution quintupler à partir de 2023.
Situé sur le détroit de Gibraltar, seul passage maritime entre la Méditerranée et l’Atlantique, qui voit annuellement le passage de 1000 000 navires, le Maroc a construit le port de Tanger Med devenu en quelques années une zone d’éclatement du traffic International en provenance des routes Est-Ouest reliant l’Asie à l’Europe. Une idée du tunnel sur les 14 km reliant l’Espagne et le Maroc revient régulièrement dans les négociations bilatérales. Mais pour l’heure, les deux pays, rivaux historiques, entretiennent une rivalité via les ports de Tanger Med et d’Algesiras. En 2016, le port marocain a traité 44,6 millions de tonnes dont 2,9 millions de conteneurs EVP et transporté 2,76 millions de passagers. Si le port espagnol reste imbattable en termes de tonnage,traitant 90 millions par an, il est désormais talonné par son voisin marocain en terme de trafic conteneurs. L’entrée en service prochaine de Tanger Med II devrait définitivement faire basculer le rapport de force du côté du Maroc.
Si l’Egypte a eu besoin d’une guerre en 1956 pour nationaliser le Canal de Suez, le Maroc a préféré la stratégie à la guerre pour arracher aux ports espagnols sa part du trafic transitant par le Détroit, sous juridiction internationale. Mais avec le temps, la fougue révolutionnaire égyptienne héritée de Gamal Abdel Nasser s’est estompée, laissant la place à un humour et à l’art de la dérision qui fait des téléfilms égyptiens les Champions du monde arabe. A Port Gentil, on verra sans doute une équipe égyptienne fougueuse et à l’attaque face à une équipe marocaine stratège. Le match s’équilibrera et se gagnera aux points compte tenu du poids de l’histoire.