Par Cheickna Bounajim Cissé
Economiste et essayiste, Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE
Le 22 juin 2014, à la suite des élections municipales et européennes, dans un article intitulé « Crises de la vie politique française : à chaque pied son soulier ! », et publié sur le site des Echos.fr, j’écrivais que la France Nouvelle, allusion faite au sigle du Front National (FN), est en marche. A plus de deux ans de distance, l’incroyable feuilleton se poursuit avec des épisodes inédits, au-delà de la raison et de la combinaison. Le paysage politique français s’éclaircit et se raccourcit en vue des prochaines batailles électorales. Sauf accident de parcours – et le boulevard politique en est parsemé – Emmanuel Macron marchera sur le tapis rouge qui le mènera au Palais de l’Elysée en mai prochain. J’ai trois hypothèses à émettre et une certitude à partager.
Les hypothèses
1ère hypothèse : La Gauche, en rangs dispersés
Le second tour de la primaire de la Belle Alliance Populaire a consacré la large victoire de Benoît Hamon avec 58,72 % des voix (résultats quasi définitifs). Ce « frondeur » qui était qualifié de « petit poucet » de la compétition par les analystes politiques et les instituts de sondage, avec à peine 7 % d’intentions de vote, est désormais le nouveau patron d’un Parti Socialiste (PS) en grande difficulté, où tour à tour les deux têtes de l’Exécutif ont été écartées (scénario inédit sous la Ve République), à la faveur d’une situation économique, sociale et sécuritaire plus que difficile, même si un léger infléchissement est observé depuis quelques mois. Mais cette primaire à gauche consacre aussi une fracture de ligne entre le courant libéral incarné par Manuel Valls, le candidat finaliste malheureux et l’aile gauche tenue par l’impétrant du jour. Et c’est maintenant que les difficultés commencent pour le parti du défunt François Mitterrand.
C’est de notoriété que Benoît Hamon n’a ni la capacité ni les moyens pour rassembler la gauche, en l’espace de trois petits mois, à même de lui assurer une place au second tour des prochaines élections présidentielles. Il devrait plutôt s’investir à éviter l’implosion de sa famille politique entre deux courants que tout oppose et, au mieux, d’assurer au PS la place de troisième force politique, derrière Les Républicains (LR) et le FN. Sinon, ni Emmanuel Macron, ni Jean-Luc Mélenchon, au petit nuage dans les sondages, n’accepteront d’être enrôlés par moins qu’eux pour une destination connue à l’issue incertaine. Manuel Valls, candidat finaliste malheureux aux primaires, a même prévenu les électeurs que le choix de Benoît Hamon est celui de « la défaite assurée » pour la Gauche en raison des « promesses irréalisables et infinançables » de son rival. L’ex-chef du gouvernement a enfoncé le clou en assenant que c’est « l’avenir du PS qui est en jeu […] une gauche qui s’efface pour longtemps, une gauche qui s’efface dans l’opposition, et devient spectatrice » Et il est difficile, après de tels propos, de s’afficher pour l’union sacrée de la gauche. D’ailleurs, la violence de sa déclaration prémonitoire n’est pas tombée dans l’oreille des sourds. A mille lieues de ces « chicayas », le candidat d’En Marche, Emmanuel Macron, a eu des mots très durs à l’adresse du PS dont il a qualifié la primaire de « OK corral ! », allusion faite à ce grandparc d’attraction. Quant au candidat de La France Insoumise (FI), Jean-Luc Mélenchon, en fière embuscade, rêve d’un dernier round pour porter l’estocade à ses anciens camarades socialistes, et ainsi s’imposer comme le leader incontestable de la Gauche plurielle.
2ème hypothèse : Le duel des « 2M » (Macron vs Marine)
Le second tour des prochaines élections présidentielles françaises se dessine avec plus ou moins de netteté, entre deux acteurs politiques, un candidat inattendu (Emmanuel Macron) et une candidate favorite (Marine Le Pen). A l’opposé d’une gauche divisée et dont la primaire a entériné la fracture, la droite républicaine fait front commun autour de leur candidat, François Fillon, dont la cote de popularité subit, depuis quelques jours, de sérieux trous d’air. L’ancien premier ministre qui a terrassé, à la grande surprise générale des observateurs, les dinosaures de son parti (Alain Juppé et Nicolas Sarkozy) n’a pas pu capitaliser sur la dynamique qui l’a propulsé au devant de la scène politique française. Fraîchement déclaré vainqueur de la primaire de la droite et du centre, il avait renvoyé dos à dos ses deux principaux adversaires politiques : « La gauche c’est l’échec, l’extrême droite c’est la faillite ». Il a peut-être raison. Mais, il a certainement, et volontairement, oublié d’ajouter que la droite c’est l’incertitude. Imaginer un seul instant, en ces temps de crise, que les Français accepteront, dans leur écrasante majorité, une remise en cause de leurs droits et acquis sociaux, c’est faire preuve d’imprudence manifeste. Cet « avis de tempête » sur le modèle social français risquerait bien de l’emporter en le ramenant à une situation plus lucide. En attendant, son plus grand défi actuel c’est de s’extirper, sans grosses cicatrices, des « sables mouvants », ces scandales à répétition qu’il qualifie lui-même de « boules puantes ». Nul doute s’il la joue fine, mettant l’esprit avant le cœur, il pourrait au moins arbitrer le sprint final à la course pour l’Elysée. Et au mieux, profiter du faux pas d’un des finalistes présumés pour se hisser au second tour.
Et à ce jeu, Marine Le Pen a la vaisselle dans les poches. Tous les analystes la voient au second tour de la présidentielle de mai prochain. Le travail d’enracinement de son père et sa stratégie de dédiabolisation ont fini par transformer le « vote de défiance » en « vote d’adhésion » à son parti. La persistance de la crise socioéconomique dans le pays et en Europe a parachevé leur œuvre. Quant au jeune loup de la politique française, Emmanuel Macron, en déclarant n’être encarté ni à gauche ni à droite, il a eu le nez fin et l’œil avisé. Les sages africains disent : « Si vous voyez un sourd courir, ne vous posez pas de questions, suivez-le, car il n’a pas entendu le danger, il l’a vu ». Encore méconnu du grand public il y a deux ans, le phénomène Macron passionne et impressionne. Pour échapper au piège « des querelles de clans », l’ancien ministre de l’économie a adopté la stratégie de l’écureuil : rebondir en sautant d’une branche à l’autre. Et pour le moment, ça lui réussit. Pourtant, il doit se rappeler que la vitesse n’a jamais réduit la distance. S’il veut arriver à bon port, il doit se hâter sans précipitation, regarder droit devant lui, se soucier de là où il pose la langue, et ne pas confondre foule et peuple, sondages et suffrages. Pour les autres candidats, déclarés ou non, ce sera plus l’affermissement d’un défi personnel que la construction d’un destin national au sommet de l’Etat.
3ème hypothèse : Emmanuel Macron, président
Dans la configuration projetée, la situation au second tour de la prochaine présidentielle, pourrait être un remake de celle de 2002. A l’époque, Jacques Chirac a été réélu in fine, par un score presque à la « soviet » de 82,21 %, grâce à une coalition sans précédent des « républicains », composés de partis politiques et de la société civile. Le concept du « vote utile » prenait racine pour barrer la route au candidat du Front National, Jean-Marie Le Pen. Depuis, le père fondateur a raccroché les crampons, à son corps défendant, remplacé aux forceps par sa progéniture qui multiplie les initiatives et les annonces pour se défaire de l’image de « croque-mitaine » que ses détracteurs lui collent à la peau, et ainsi rassembler au-delà des clichés de xénophobie, de racisme et d’ostracisme dont son parti est régulièrement l’objet. Et si la politique était une pure arithmétique – ce qui n’a jamais été le cas – Marine Le Pen devrait être, avec un score inédit, la première femme présidente de la République de France. Pourtant, cette ambition politique a peu de chance de prospérer face à la forteresse qu’érigerait le « vote utile ». Les contrefeux sont déjà allumés dans les chaumières politiques. Et quelque soit le candidat qui sera opposé au leader frontiste, Macron ou autre, celui-ci sera pratiquement assuré d’une victoire nette même si le score pourrait être en deçà du niveau de 2002.
Une certitude
Au-delà des sondages et des analyses, plusieurs fois démentis, le dernier mot revient au peuple français qui décidera le 7 mai 2017 du successeur de François Hollande à la tête de l’Etat français. Le célèbre écrivain Marcel Proust qui passa sa vie A la recherche du temps perdu écrivait : « Il n’y a pas de réussite facile, ni d’échecs définitifs ». Sachons ne pas l’oublier !
Cheickna Bounajim Cissé
Economiste et essayiste, Président de la Commission « Banques & Compétitivité » du CAVIE
5 commentaires
Première erreur de Emmanuel Macron: ses propos polémiques sur la colonisation française en Afrique. Il faut que le candidat « En Marche ! » n’oublie pas l’évidence rappelée dans mon papier: ce n’est pas les Africains qui vont élire le prochain président de la République francaise mais bien les Français.
Encore une fois, c’est plus facile à dire et à écrire qu’à faire – pourtant c’est la clé qui va lui ouvrir la porte de l’Elysée – il doit faire attention à là où « il pose sa langue ». Il a deux mois interminables de tenue et de retenue à tenir.
L’ENTRISME
Le candidat d’En Marche ! doit éviter le piège – et non rejeter – du ralliement massif et systématique de tous ses anciens camarades de l’appareil politique qui l’avaient traité de « félon » et d’« ingrat » envers son bienfaiteur et le parti au pouvoir. Aujourd’hui, ses pourfendeurs n’hésitent pas à comparer son mouvement politique de PS bis, réincarné, réchauffé, tout uniment reconstitué.
Rappelons que toute la campagne de Macron est basée sur la refondation de la vie politique, le renouvellement de la classe politique française. Même si dans la mode, le vintage, et de façon générale, le recyclage, ont en ce moment le vent en poupe ; en revanche, en politique, il est très difficile de faire du neuf avec de l’ancien. Les sages africains préviennent : « A force de confier sa tête à plusieurs personnes, on finira bien par la donner à celle qui doit la couper ».
Pour autant, Emmanuel Macron doit se garder de propos âpres, à la limite âcres, du genre : « « Je n’ai pas fondé une maison d’hôtes », faisant allusion à son mouvement politique. Cette déclaration, loin d’être un bouclier pour décourager les « militants de la 25e heure » et rassurer les « militants de la 1ère heure » sur l’intégrité, osons le dire l’imperméabilité, de son programme peut être perçue comme un manque de sagesse et de maturité politiques. Il doit se mettre au-dessus de la mêlée. Il a eu à faire un choix douloureux, en claquant la porte du gouvernement. Il a crû à son « étoile » et il a décidé de poursuivre son chemin. Et pour le moment ça lui réussit. Si dans son marathon, la réalité a fini par lui donner raison, et que ses pires détracteurs d’antan décident de rejoindre son mouvement, tant mieux ! Cela doit lui suffire largement. Aucune vengeance et aucune revanche ne doivent transparaître dans ses propos ou ceux de son équipe de campagne : « Ils [ses anciens collègues du Gouvernement] sont simplement en train de démontrer que j’avais raison de ne pas subir les règles du système actuel ». Là-dessus, voici une autre préconisation des paroliers africains : « On peut retirer sa main dans celle d’un lépreux sans la tirer avec force ».
Après les élections, il va bien falloir à l’impétrant de rassembler, bien au-delà des contingences politiques, et surtout d’être le « Président de TOUS les Français ». A ne pas l’oublier !
LE DILEMME DU PRISONNIER
Tous les jeunes étudiants en stratégie connaissent la « théorie des jeux ». Ils doivent s’interroger que son domaine d’application, jusque-là réservé à l’économie, à la psychologie et même à la biologie, puisse s’étendre à la sphère politique. Je suis loin d’être à l’origine de ce nouveau paradigme. Ses concepteurs ont pour noms Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon.
Au coude à coude dans les sondages (11-12%), chacun veut que l’autre s’efface à son profit. Acteurs politiques de premier plan, friands de littérature française qu’ils sont, je ne peux que leur servir, pendant qu’il est encore temps, la citation culte d’un de leurs mentors Jean Jaurès : « Le courage, c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel. » M. Hamon a d’ailleurs voté pendant les deux tours de la Primaire de la gauche dans le centre Jean Jaurès à Trappes, une façon pour lui de rendre hommage au « père spirituel » du PS. M. Mélenchon n’hésite pas aussi à s’en inspirer : « Je veux le célébrer pour trouver la braise intacte sous la cendre ». Alors, comment comprendre l’exaspération des divisions internes dans la grande famille de la Gauche, la cristallisation des postures individuelles, la dilacération des valeurs progressistes, la prolifération des courants identitaires, la vitupération des candidatures en tout genre (presque 8 sur les 11 retenues par le Conseil Constitutionnel sont de Gauche), la persévération des conditions rédhibitoires de ralliement ?
A défaut d’unité (et non d’unanimisme), comme l’aurait prévenu Laurent Ruquier de ONPC et comme je l’avais déjà écrit, « au lieu d’avoir un vainqueur, on aura deux perdants » de Gauche. A moins que la stratégie de l’un ou des deux est de gagner en échouant : s’autoproclamer, plus tard, héritier légitime du Parti Socialiste (et de la Gauche), ou de ce qui en restera.
LA POLITIQUE FICTION
Aucun candidat (PMU présidentiel : favori, favori caché, seconde chance, outsider, gros outsider) à l’élection présidentielle ne dispose actuellement de l’appareil politique lui permettant de gouverner, avec une majorité parlementaire, après mai 2017. Chacun mise sur la dynamique de la Présidentielle qui le porterait à l’Elysée, avec l’espoir que les Français seront cohérents dans leur choix : « si vous m’élisez comme Président de la République, c’est que vous me donnerez aussi la majorité nécessaire à l’Assemblée Nationale pour gouverner », tonnent et entonnent-ils à l’unisson.
Marine Le Pen, à la peine avec la justice de son pays, ne dispose que de deux députés à l’Assemblée Nationale. A dire vrai, que d’un député (« la nièce ») et demi (« l’ami », élu sous les couleurs du Rassemblement bleu Marine, se défend d’être un militant du FN).
Emmanuel Macron déroule son manuel de campagne, en rappelant bien à ses derniers soutiens venus du PS, qu’il y a un fauteuil présidentiel et non un canapé présidentiel. Fondateur du mouvement « En marche ! », il ne s’est pas encore posé dans l’hémicycle. Il continue son marathon avec des élus issus de divers bords politiques. Certains de ces « transhumants » ont retourné leur veste pour ne pas faire apparaître leur étiquette politique.
François Fillon continue de tracer son sillon, en dépit de « boules puantes » qui ne cessent de fumer et d’enfumer la campagne. Malgré une brillante élection aux Primaires, il compte et décompte les mécomptes. Les élus LR quittent son navire comme s’il était infesté par le virus Ebola. Aujourd’hui, ses soutiens au Parlement se comptent sur le bout des doigts et, avec un brin de générosité, les orteils des pieds. Il devrait se souvenir des bons conseils du politologue Babacar Justin Ndiaye: « la politique c’est la combinaison des bons P (Palais, Pognon, Privilège) et des mauvais P (Prison, Privation, Persécution) ». Le journaliste sénégalais poursuit: » la politique est le grand cimetière des amitiés. C’est aussi le grand berceau des retrouvailles ».
Au Parti Socialiste, c’est l’éclatement avant l’implosion. L’ancien premier ministre, Manuel Valls fait valser sa formation politique. Battu à plate couture, il joue le mauvais perdant, en refusant de parrainer l’impétrant. Et, dans son sillage, il emporte toute l’aile libérale du PS. Benoîtement, Benoît Hamon accuse le coup, le sourire affiché mais figé. Le PS changera-t-il de nom comme l’UMP ? Déjà, en panne d’inspiration, je ne peux que les suggérer « Les Démocrates » pour ainsi constituer la paire « américaine » avec « Les Républicains ». Chut ! Allez-y vite, les autres sont « en marche » !
Jean-Luc Mélenchon souhaite soumettre les « insoumis » à sa 6e république. Pour y arriver, il compte convoquer une Assemblée constituante dès les premiers jours de son mandat. Selon plusieurs juristes, il faut que le Parlement (Assemblée Nationale et Sénat), issu des nouvelles élections, vote sa propre disparition (avec au moins les 3/5 des membres). Pour le moment, le tribun de la Gauche qui s’est émancipé des partis politiques ne dispose d’aucun élu au Parlement.
La France sera-t-elle ingouvernable après mai 2017 ?