Par Maria Nadolu, Bucarest
Quand on est pris dans les méandres d’une histoire, soit elle est personnelle, politique ou sociale. Souvent l’on manque de recul. Et, généralement, c’est dans ce recul, dans cette fraction de seconde de paix, de réflexion, que se trouve la solution.
L’enthousiasme est le moteur des actions, c’est l’impulsion du court terme, le carburant des manifestations, des révolutions, des rocades ; mais, cette adrénaline des foules, suffit-elle pour nourrir une stratégie à long terme et trouver des solutions durables?
L’année 2017 a débutée par des manifestations, des Etas Unis, en Roumanie. Dans ce dernier pays, moins connu en Afrique que le géant américain, tout est parti de la libération, de la grâce ou des aménagements de peine accordés à quelques gros pontes du pouvoir, accusés de corruption.
Aurons-nous le pouvoir de combattre, pas seulement les effets, mais aussi les causes de ces déséquilibres qui ont engendrés des mouvements de masse au niveau international ?
Quelques réflexions, en regardant le monde à vol d’oiseau et en réseaux 4G : les jeux de pouvoir sont en train de changer, et le dynamique leadership – société civile- est elle-même en pleine mutation. Les manifestations pacifiques prennent de l’ampleur autour du monde. On assiste à la prolifération de #resist sur les réseaux sociaux et des protestations dans la rue.
Les pays du «premier monde» passent par une crise existentielle, plus qu’économique. Et leurs élus ne sont pas tous exceptionnels, vu que le populisme et le mythe du «leader charismatique» ne fait pas naitre que des lumières. Suite à la confusion corrosive de 2016 par rapport aux traces sanglantes des guerres portées outre-mer, au Brexit, au questionnement relatif au concept de l’Union européenne , aux vagues de refugiés, et à la lutte contre le terrorisme, il y a toute une problématique interne éruptive. Les élections aux Etas-Unis font croire que le maladif peut être validé en tant que leader au plus haut niveau.
Juste après les élections américaines, un groupe appelé Citoyens Thérapeutes contre le Trumpisme (Citizen Therapists Against Trumpism) a été créé, joignant des milliers de psychologues. Ils ont publié un avertissement manifeste de la psychose de Trump. Dans un article récent de Psychology Today, on note que Trump montre des signes clairs de «narcissisme malin», qui est défini comme un mélange de narcissisme, trouble de la personnalité antisociale, agression et sadisme. «Le narcissisme empêche sa capacité de voir la réalité, donc vous ne pouvez pas utiliser la logique pour persuader quelqu’un comme ça», déclare la psychologue clinicienne Julie Futrell. «Trois millions de femmes marchent? Cela ne l’impressionne pas. Les conseillers soulignent qu’un choix de politique n’a pas fonctionné? Il s’en fout. »
En décembre, trois grands professeurs de psychiatrie ont écrit à Barack Obama pour exprimer leurs graves préoccupations concernant la stabilité mentale de Trump: ses symptômes largement signalés d’instabilité mentale – y compris la mégalomanie, l’impulsivité, l’hypersensibilité aux faussetés ou la critique, et une apparente incapacité à distinguer le fantasme de la réalité – amenaient à remettre en question son aptitude pour les immenses responsabilités de sa fonction.
Malheureusement, son cas n’est pas singulier et crée l’espace des rêves autocratiques et / ou dictatoriaux pour ceux qui en ont la prédisposition. Dans ce sens, en faisant un zoom dans notre vol d’oiseau: voilà la Roumanie, au sein de l’Union Européenne, secouée par les plus grandes manifestations depuis le temps du changement de régime communiste et la chute du fameux Ceausescu : plus de 600,000 personnes sont sorties dans les rues, manifestant pacifiquement, contre la corruption et les actions du gouvernement; le pays témoigne une autre situation d’abus de pouvoir qui vise, à la limite, le maladif.
A Bucarest des leaders politiques profitent des certains contextes pour passer des mesures d’urgence à fin de sauver leur propre peau mise en danger par des accusations de corruption. La situation rappelle le cas anthologique de Marcellino Pipite qui en 2015, exerçant l’intérim du président de la République de Vanautu pendant que Baldwin Lonsdale était à l’étranger, se gracie immédiatement lui-même, ainsi que treize de ses collègues qui faisaient l’objet d’enquêtes.
De retour au Vanuatu quelques heures plus tard, le président élu Lonsdale s’interroge publiquement sur la légalité de l’acte de Pipite, et promet de « nettoyer » la situation pour lutter contre la corruption et s’assurer que personne ne soit au-dessus des lois.
En 2017, on assiste à un cas résonant dans un pays européen qui avance sur le chemin historique de la démocratie, où la lutte contre la corruption est parmi les conditions d’intégration régionale et internationale, mais des fois reste surchargée par des connotations de vendetta politique : Liviu Dragnea, président du Parti Social-Démocrate au pouvoir, est accusé par un grand segment de la population et par le président lohannis d’avoir voulu affaiblir la lutte anticorruption, imposant des ordonnances d’urgence que son gouvernement a passé sans avoir des justifications légales ; avec ces ordonnances, on reproche à Dragnea d’avoir surtout voulu éclaircir sa situation judiciaire et celles de ses acolytes.
Les mesures ont été finalement annulées dimanche 5 février sous la pression conjuguée des manifestations pacifiques, du président, de la justice et des milieux diplomatiques internationaux. A présent, son cabinet reste accroché au pouvoir en dépit des pétitions du peuple et des avertissements du monde entier. La mise est grande : le chef du parti, son premier ministre et quelques autres, risquent la prison. Mais le peuple continue les manifestations, partout dans le pays et à l’étranger où il y a des communautés roumaines. Durant les derniers jours, ces actions ont été rapportées par la presse internationale comme faisant partie des repères de la lutte pro démocratie, source d’inspiration pour les sociétés civiles.
Gaspard Koenig, philosophe et président du think tank Generation Libre, écrit dans les Echos le 7 février : « Au-delà d’une saine réaction populaire contre la licence politicienne, les événements roumains participent à l’émergence d’une nouvelle conception du politique. » Ce qui semble notable : les révoltes sont spontanées et articulées autour de causes uniques, au-delà du colorature politique visant les valeurs fondamentales de la démocratie. Impossible d’identifier un leader dans la foule ; même s’il y a des groupes qui organisent ; monitorisent ; débâtent. Les réseaux sociaux et les smartphones tissent un rhizome imprévisible et éphémère de connexion, conscientisation, convergence.
Au-delà de l’enthousiasme, en faisant un raccourci régional, on se rend compte qu’il nous reste le challenge de la durée, de l’endurance et d’une approche efficace, systématique et versatile : les Polonais ont manifestés en 2016 – pacifiquement- contre les dérapages constitutionnels du parti au pouvoir ; et leur cas est toujours ouvert, in process et exposé dans des tribunaux internationaux. Des manifestations pacifiques Ukrainiennes se sont élevées contre la corruption au début de Maidan, et puis le pays s’est écroulé dans des confrontations sanglantes.
Certes, on est plus équipés que jamais pour résister efficacement à l’injustice en utilisant la résistance civile, mais aboutissons nous? Erica Chenoweth, co-auteur de Pourquoi la résistance civile réussit : la logique stratégique du conflit non violent aujourd’hui (Why Civil Resistance Works: The Strategic Logic of Nonviolent Conflict Today), note dans Guardian : les études suggèrent qu’il faut 3,5% d’une population engagée dans une résistance non violente soutenue pour renverser des dictatures brutales, note l’auteur.
Aujourd’hui, ceux qui cherchent des connaissances sur la théorie et la pratique de la résistance civile peuvent trouver plein d’informations à portée de main. Dans pratiquement n’importe quelle langue, on peut trouver des manuels de formation, des outils de création de stratégies, des guides de facilitation et des documents sur les réussites et les erreurs des campagnes passées non violentes.
Mais, la résistance non violente ne se produit pas du jour au lendemain ou automatiquement. Elle exige un public informé et préparé, intéressé par la stratégie et la dynamique de son pouvoir politique, souligne t- on dans le même article.
Bien que les campagnes non violentes commencent souvent par un noyau engagé et expérimenté, les réussites élargissent la diversité des participants, maintiennent une discipline non violente et élargissent les types d’actions utilisées. C’est à ce point que le moment de recul et réflexion devient stratégique. Comment projeter l’enthousiasme ad hoc du moment dans une stratégie durable, du développement de la démocratie ?
Les données historiques montrent que lorsque les campagnes sont capables de se préparer, de s’entraîner et de rester résilientes, elles réussissent souvent indépendamment du fait que le gouvernement utilise la violence ou l’injustice contre elles.
Il semble évident que la qualité d’une démocratie est influencée par la pro activité, et l’investissement de sa société civile. La société civile doit être partie prenante dans le processus de développement démocratique. Y compris créer les mécanismes pour s’engager dans un dialogue constructif avec le pouvoir. A nous de traduire l’espoir en action et l’enthousiasme en faits démocratiques. C’est un pari à long terme.