La Nation arc-en-ciel serait-elle l’une des plus grosses désillusions de l’Afrique? Les attaques répétitives contre les africains, conduites par des bandes armées de gourdins, de machettes et de fusils, montrent en tout cas que les héritiers de Nelson Mandela n’ont pas expliqué à leur peuple le rôle décisif joué par l’Afrique unie contre le système raciste qui avait cours à Pretoria de la fin des années 60 au début des années 90.
Ce sont les lobby des pays africains, comme le Liberia et l’Ethiopie, appuyés par les nations libres du tiers monde (Inde), l’Europe de l’Est et l’Europe du Nord (Suéde, Danemark et Norvège) , qui ont poussé l’ONU à progressivement mettre le régime Afrikaners au ban de la communauté internationale. Mais qu’est ce que cette ONU a été hésitante, excluant le représentant de la nation raciste de son assemblée générale sans lui déchoir de sa qualité de membre. Qu’est ce que l’Occident de la guerre froide, si attaché au commerce, a longuement hésité, soliloquant avec l’économiste français Phillippe Hugon, que, « malgré l’Apartheid, l’Afrique du Sud est la plus grande démocratie de l’Afrique au sens de Montesquieu, avec la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ». N’eut été l’Afrique, alliée indéfectible des héros sud-africains, que serait devenue les noirs sud-africains?
Des doubles pressions africaines et noires américaines ont forcé par la suite l’Amérique, principale alliée de Pretoria, à lui retirer son soutien en plusieurs étapes. Mais ni Washington, ni Tokyo, encore moins Paris et Bonn ne sauront, véritablement, couper les ponts avec ce régime construit sur la théorie des inégalités des races humaines.
Quand les nations démocratiques tentaient de se donner bonne conscience à travers le scandaleux comprehensive anti-apartheid act, les pays africains multipliaient les dénonciations et parvenaient à créer un bloc dur avec la ligue arabe, l’OPEP, l’Amérique Latine et l’Asie du Sud -Est à la notable exception de Taiwan et, faut-il le rappeler, du Malawi, seul pays africain entretenant des relations avec l’Afrique Sud. Le Malawi dont l’ambassadeur en poste était élevé à la dignité de « blanc honoraire ». Qu’est -ce que la lutte fut longue et douloureuse.
Il faut le dire, l’OUA est parvenue de guerre lasse à isoler le régime raciste, interdit de toutes les compétitions sportives internationales et des jeux olympiques et soumis à un embargo général sur les armes. Ce n’est qu’à contre-coeur cependant que le Comité International Olympique (CIO) a consenti à exclure l’Afrique du Sud, rejoignant l’Afrique, l’Europe de l’Est et les courageux athlètes afro-américains. Comment oublier tant de sacrifices en si peu d’années?
Exclue des jeux olympiques de Mexico en 1968, l’Afrique du Sud réapparaît aux Jeux Olympiques de Montréal boycottés par l’Afrique et le tiers-monde. Oui, les événements sont réversibles si l’on n’en tire pas les leçons générales au profit de l’humanité. A la longue, les dirigeants actuels de l’Afrique du Sud en répondront devant l’histoire pour n’avoir pas su fructifier l’héritage de Nelson Mandela, Steve Biko et Walter Sisulu.
Il en répondront pour n’avoir pas pu enseigner à leur peuple que l’apport du Zimbabwe, des pays de la ligne de front et de l’OUA a été décisif dans l’affaiblissement de l’économie sud-africaine et la dévaluation du rand (qui perd 50% de sa valeur) au milieu des années 80. Ils en répondront pour n’avoir pas pu expliquer que le Nigeria était prêt à tous les sacrifices pour libérer le dernier bastion raciste et colonial en Afrique. Ils en répondront pour n’avoir pas su comprendre que les alliances militaires entre Cuba et l’Angola aboutirent à la plus grande défaite de l’armée raciste sud-africaine, conduisant à la libération de la Namibie et, l’édifice étant fissuré, à la fin de l’apartheid.
Xénophobe Afrique du Sud, souviens-toi des jours amers? En dix jours d’attaques et d’incendie des échoppes nigérianes et africaines en général, aucun membre influent de l’Africa National Congress (ANC), parti au pouvoir, occupé à une guerre de succession symptomatique de l’embourgeoisement des élites, n’a présenté un semblant d’excuses aux peuples d’Afrique. Le gouvernement nigérian s’en émeut et appelle l’Union Africaine à admonester Pretoria. Si encline à jouer les premiers rôles au sein de l’instance panafricaine, l’Afrique du Sud post apartheid traîne des pieds dès qu’il s’agit d’intégration et de libre circulation. La contribution positive d’une puissance économique, jouée par la Chine dans l’Asie du Sud-Est, n’est pas encore de mise dans cette Afrique du Sud qui se comporte, elle-aussi, en puissance coloniale, donc négative.
Comment un pays libéré par la pression internationale conduite par l’Organisation de l’Unité Africaine peut-il aujourd’hui tourner le dos à ses alliés au nom d’ un soi-disant rempart contre la pauvreté?
Trop facile, en effet, d’imputer ces mouvements d’humeurs meurtriers aux couches défavorisées. Ces rixes traduisent certes un malaise généralisé né de l’échec d’une nomenklatura corrompue et ivre de pouvoir. Mais, dans le fond, ce sont les élites sud-africaines elles-mêmes, légataires infidéles des valeurs de fraternité et d’émancipation, limon de toute lutte de libération, qui indexent les africains, « envahisseurs », disent-ils. A l’instar du maire de Johannesburg, Herman Mashaba, les élites repues appellent à chasser les sans-papiers africains.Mandela réveille-toi, ils sont tous devenus fous.
Adama Wade